Numéro 13 régional

NI D’YEUX NI M’ÊTRE

Des sujets pour l’Empaillé, des envies d’exploration, c’est pas ce qui manquait. Ce qui a fait défaut là, c’est le temps. On s’est fait doubler, on a pas assez regardé dans le rétro, et paf, la deadline était là. Du coup on a réduit la voilure et on a repris la rubrique Bonus tracks, celle des petites chroniques torchées fissa, là où on l’avait laissée.

BONUS TRACKS : En bref et en vrac musiques de proximité & des lointains.

Un (nouveau?) duo qu’on aimerait voir par chez nous, ou par chez vous : Plastron Kapok, avec deux feux follets qui se connaissent bien, Frédéric Le Junter aux objets sonores fabriqués maison et Jean-François Vrod au violon, voix et objets. Remontons-nous les manches, déblayons les chemins et invitons les à jouer !

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Prolixité et éclectisme, voilà les deux mots qu’on a envie d’accoler à la production musicale de La République des Granges, label installé depuis un bail à Chenaud en Dordogne, sous la houlette de Manuel Duval, entre autre musicien dans Rien Virgule. Beaucoup de disques et cassettes sorties ces derniers mois. Voyage éclair dans ce magma.

Nina Harker s’est baladée et est revenue avec un nouveau LP sous le bras, avec ses pianos douchés à la lumière blanche, ses voix cryptiques et polyglottes, ses comptines marécageuses faussement badines, voire parfois un brin angoissantes. Mamiedaragon allie le rock-noise brut avec la poésie sonore ancrée dans le réel et bien absurde avec des titres comme Le RSA a été augmenté ou J’ai jamais été dans le Black Block, le tout déposé dans un vinyle très joliment emballé et nommé Pas de ; quelques passages sur la platine et on le connaît par cœur. Une cassette de Semestre, au contenu plus atmosphérique dont l’un des charmes réside dans la présence rare de l’instrument nommé serpent, sorte de tuba en S. Avec Reliefs, Bonne Humeur Provisoire nous envoûte et nous effraie ; on ferme les yeux, on divague et on a l’impression d’écouter le poète lettriste Maurice Lemaître accompagné par Radikal Satan. Il y en a eu plein d’autres, pas tous écoutés, d’autres vite épuisés (petits tirages et grands succès, comme la cassette du Diable Dégoûtant ou le disque de Kou), et ce que ça nous dit, c’est que l’édition artisanale est bien vivante, hyperactive et toujours à l’affût. www.larepubliquedesgranges.org

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D’ailleurs, de cette vivacité on en aura une vision non exhaustive mais panoramique dans Pause, un gros et beau livre regroupant des entretiens avec des fondateur·ices de labels cassettes ; leurs points de départ, leurs motivations et choix de l’objet, leurs esthétiques. Presque une politique de la cassette, un humble manifeste loin du revival vintage de l’objet. 352 pages en quadri, plein d’illustrations. zine@no-log.org

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Et hop, le pont est directement construit pour aller de ce pas faire un tour à Villefranche-de-Rouergue du 1er au 5 mai 2024 pour la première édition de MICRO FAUNE, salon consacré à la micro-édition ; zines, bouquins, disques et cassettes, etc. Plein de belles choses à voir et entendre : Marie & Gautier, Hors Cadre, Mascarpone Discos, Super Loto Édition, Imprimerie Trace, Matière Grasse, Lea V Curtis, Imen Roulala, Imagora Éditions, L’Accalmie, La Bim, Frissons Cassettes, Quercy k7 Club, Tune Zitoune, Générique Mardi, etc. Expositions, ateliers et concerts dans toute la ville, ça devrait pas être moche.

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Tant qu’à être emberlificotés dans les bandes magnétiques, autant s’enrouler dans celle qui vient de sortir chez Scolopendre, Waiting Music for Stoned People, de Catherine Danger, mini navette spatiale navigant à l’aveugle au milieu d’une boutique qui répare les vieux postes transistors et les juke-boxes fous. www.scolopendrescolopendre.bandcamp.com

Puis on ira chez Tanzprocesz chercher des Preuves de la vie avant la mort avec Groupe Froid, soit l’acoquinement d’Arno Bruil de (feu) France Sauvage et de Colin Pastor aka Prix Libre, qui, comme son nom l’indique plus ou moins, distribue le chaud et le froid, l’acide et le suave, le chagrin et la pitié. www.tanzprocesz.bandcamp.com

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Ça fait tout drôle, c’est le titre du nouveau disque des filles de BassbassGâterie, coproduit par plein de labels dont les antédiluviens Potagers Natures. Inclassable et pourtant familier, le style reste ici pop et relevé, sur lequel plane un voile d’inquiétude tant dans les paroles que dans la couleur générale. www.bassbassgaterie.bandcamp.com

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Comme tous les films de Kaurismäki, son dernier, Les feuilles mortes, laisse une grande place à la musique. On y voit des groupes jouer, des gens chanter, souvent des choses populaires. Tout cela fait partie de la dramaturgie, on sent que le réalisateur tient à ce que la musique soit physiquement présente, visible, à nu. Et le film, une fois de plus nous touche au cœur, avec ses êtres perdus, ses amours en fuite, ses cigarettes fumées à la chaîne.

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Philippe Robert a mis un certain temps à écrire et articuler son livre Musiques : Traverses et horizons en 400 disques, qui est une bonne façon de partir à la rencontre de tout un tas d’artistes plus ou moins souterrains, comme une histoire en négatif de la musique des cent vingt dernières années.

Quant à David Toop, il a plongé très profond pour écrire Ocean of Sound, acheté et lu passionnément il y a plus de vingt ans (publié précisément en 2000 chez Kargo, réédité salutairement en 2022 au format poche aux Éditions de l’Éclat). Il y explore ce qu’il nomme l’Ambient music, les mondes imaginaires et les voix de l’éther. On enfile son scaphandrier et on part nager en compagnie des poulpes, méduses et autres raies manta qui s’appellent Sun Ra, Aphex Twin ou Brian Eno, et plein d’autres créatures fascinantes des abysses. Une somme dont la lecture peut s’accompagner de l’écoute de la double compilation éponyme, pour une immersion complète.

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Mécréants, ignares, méconnaissants, débutants, ne passez pas votre chemin, n’ayez pas peur d’aller voir de plus près ces propositions. Souvent confidentielles dans leur diffusion, elles n’en sont pas pour autant réservées aux happy-fews ou connaisseurs spécialisés. On peut en trouver une partie dans les distros aux concerts (caisses de disques trimballées par les musicien·nes dans leurs tournées) et chez certains disquaires éclairés. On peut aussi commander facilement sur le net, et écouter la plupart de tout ça sur certaines plate-formes comme bandcamp, gratuitement (pour le moment…).

Plein de choses peuvent plaire à plein de gens différents. On peut vraiment être surpris, et se découvrir des goûts insoupçonnés. On n’est pas obligé d’avoir un DEA en noise ou un DEUG musiques expérimentales pour apprécier toutes les productions non commerciales. Juste besoin de curiosité, accepter les territoires inconnus et partir faire du hors-piste.

Pour tout renseignement, cris de joie ou aboiement féroce, écrire ici : nidyeuxnimetre@free.fr