Numéro 13 régional

Un travail social avant tout

J’ai rencontré cette amie dans des évènements féministes, dans sa chaleureuse bibliothèque militante ou dans le bar de notre village paumé. Un jour, elle me dit la tête haute « je fais le tapin ». Je lui demande si ça marche bien à la campagne et je clôture fissa la discussion, inconfortable et tiraillée entre curiosité et peur d’ être maladroitement intrusive.

Ce jour-là, je consolide le tabou. Il est l’heure de corriger le tir. Voici ses mots sur son travail. Voici le témoignage personnel de mon amie, qui a choisi d’être Travailleuse du Sexe (TDS).

J’ai 40 ans passés… J’ai jamais voulu rentrer dans le monde du travail salarié. J’ai essayé deux mois d’été à 18 ans. J’ai pas tenu.

Trop d’exemples autour de moi de gentes qui vivent pour «  travailler-procréer-consommer et mourir » et moi ça ne m’a jamais fait rêver !

J’ai choisi de vivre avec peu. Pas de loyer. De la récup. De la démerde. De l’autonomie et le confort que je choisis. Un lit dans un camion, de l’eau dans un bidon, douche et internet chez les potes… Grand luxe !

Quand j’ai voulu mettre de l’argent de coté pour un hypothétique projet collectif de vie, de luttes, d’accueil, je me suis dit que travailleuse du sexe était envisageable.

Je suis née « fille ». Élevée comme telle, enfermée, privée de tout, soumise à l’autorité parentale patriarcale flippante. Une adolescence tristement courante. Une petit meuf dans un monde sexiste. Un parcours d’ado biatche (1) qui veut plaire, comme ce monde masculin l’exige et qui subit abus sur abus avant sa majorité.

Bienvenue dans l’hétéronormalité imposée aux petites filles dès que leur seins et leurs hanches apparaissent. Alors le tapin ça m’a jamais trop choquée ! Pas de blèmes à jouer le jeu de la parfaite amante pendant une heure contre 200 euros. C’est bien mérité voire même je le vis comme une sorte de vengeance personnelle, un retournement de situation après m’être faite baiser tant de fois gratos par des soi-disant camarades qui ne pensaient qu’à leur plaisir perso… Mais qui pour rien au monde n’auraient été voir une pute. Ah ça non ! Une belle bande d’hypocrites.

Pour oim le TDS aussi c’est travailler quand et comme je veux. Je décide de toutes les conditions. J’impose un contrat. Je dis oui ou non et on m’écoute.

Passer du potager au porte-jarretelle

Quand je me lance, y’a plus de 15 ans, je connais trois amies qui font ce boulot. Elles n’habitent pas à côté mais je décide de faire la route de temps en temps pour me renforcer auprès d’elles. Au début je prends quelques RDV dans leur ville. Ça me rassure d’être à leurs côtés avant d’aller au boulot et de pouvoir les retrouver en sortant. Elles me conseillent. Me bichonnent. C’est la seule période de ma carrière de pute où j’ai des collègues avec qui échanger, partager, rigoler sur les clients, bref débriefer après une journée de travail, comme tout le monde le fait.

Car oui c’est un travail comme un autre. On a des règles qu’on se fait tourner pour ne pas se saboter entre nous, même si on ne se connaît pas.

On casse jamais les tarifs en vigueur.

On vire les clients qui négocient.

On décide du contrat selon nos envies

On va pas au RDV si on le sent pas ou si on doute de notre forme.

Bien sûr, je parle en tant que TDS autonome. Je travaille pour moi et non pour un patron. Nous ne sommes pas toustes dans ce cas de figure.

Ces dernières années, j’ai croisé quelques autres collègues. Mais ce n’est pas facile de faire du lien dans un métier qui n’est pas reconnu comme tel. On se retrouve pas au bistrot le soir ensemble ou autour d’une bouffe. Surtout à la campagne. En ville heureusement, il y a des associations de santé communautaires, telles que Cabiria à Lyon ou Griselidis à Toulouse (il y en a d’autres…) qui font des maraudes, qui proposent un lieu pour prendre un café, parler des problèmes que l’on rencontre… un espace social entre TDS.

Ça fait toujours du bien de pouvoir échanger sur nos expériences communes. Aujourd’hui, je serais plutôt motivée de faire de l’écoute pour les collègues qui travaillent encore. Car s’il y a bien un truc qui me chagrine toujours, c’est tous ces fantasmes que celleux qui n’ont jamais été TDS ont autour de ce travail. Je crois que c’est pour cela que j’écris aujourd’hui.

Puis, il y’a eu le covid et j’ai décidé d’arrêter de faire ce taf. Il était impossible de rentrer dans les hôtels sans montrer un test ou un pass nominatif. Quelle galère ! Heureusement pour moi j’ai moins besoin d’argent. Alors après quinze ans de TDS, je ne suis pas triste d’arrêter. Je ne regrette rien. Je considère qu’en tant que TDS j’ai été une travailleuse sociale parmi d’autres, à panser, tant bien que mal, la misère affective des mecs de 50 à 80 ans en une heure.

Sacro-sainte baise

Je reviens sur les réactions de mon entourage proche face au travail du sexe…

Quand je commence à travailler, je suis squatteuse en ville puis rapidement je vis en camion seule en campagne ou dans des petites villes.

Avant mon tout premier RDV, je me lance à parler « prostitution » autour de la table du squat et deux très bons potes avec qui je vis balancent « Ahhh ! Dans ce boulot t’es obligée de baiser avec des flics et des matons. Ça craint ! La baise c’est quand même sacré. »

Waouhhh cette remarque je l’ai jamais oubliée. Elle craignait cette remarque. Moi qui voulais être rassurée par ma bande de potos.

Moi, je suis née meuf dans un monde patriarcal oppressif, j’ai été traitée comme du bétail quelques fois, trop de fois entre mes 10 ans et mes 17 ans, je suis devenue féministe à 17 ans sans hésitation, sans besoin d’argument, j’en avais bien assez en moi ! Alors la baise ça n’a jamais été un truc sacré. C’est l’argument des cathos soi-disant féministes.

Le sexe, une activité banale

Je reviens sur la baise. ça a été un truc à décoder, mettre de coté la violence, les agressions, une sorte de normalité à reproduire, des performances… pour me réapproprier mes plaisirs, mes envies, mon corps.

Plus tard, ça devient enfin un truc qui m’appartient où je choisis tout ce que je veux, ce que j’aimerais expérimenter, ce que j’aime pas trop, pas du tout… et à partir de là j’adore cette activité ! Car pour moi, ça serait bien plus simple si on considérait le sexe comme une activité comme une autre. Un échange de plaisirs et mélange de corps sans tabou dans la confiance, la détente, la rigolade et le consentement le plus total. On se prendrait moins la tête, on se ferait beaucoup plus de bien, peut-être que la misère affective et sexuelle serait moindre… peut-être que le TDS serait moins stigmatisé.

Pour moi être TDS c’est procurer un service, exercer une activité comme une autre, possiblement rémunérée, nécessaire à toustes pour se rassurer, pour se sentir humaines !

Écoute et pédagogie

Je bosse une heure par-ci, un heure par-là avec des inconnus mecs de tous âges bien que j’aie plutôt travaillé avec des soixantenaires et plus, je leur procure plaisir et attention sans jugement… au milieu de mes journées en collectif à faire potager, méca, cuisine, orga de concerts, cantines populaires… Dès que le RDV est confirmé, je dois trouver un créneau pour m’épiler, me laver, coiffer, frotter mains et pieds à la pierre ponce pour faire disparaître la corne, les taches d’huile moteur, mettre du vernis, me maquiller, m’habiller sans filer mes bas. La galère ! Marcher avec des talons sans me tordre la cheville. Et tout ça prend finalement plus longtemps que le RDV, sans parler du temps passé à répondre aux « blaires* » au téléphone ou par mail qui se comptent en journée.

Le RDV en lui-même c’est 1/4h de baise souvent au début de l’heure et 3/4 d’heure de travail social en grattouillant le dos du blaire tout en l’écoutant parler de ses soucis de famille, de boulot, de performances, qu’il trompe sa femme, qu’elle est trop ci ou trop ça, que ces enfants sont trop ça, que son patron est comme ça, qu’il stresse de ça ou ça… La baise, ils en font tout un plat au téléphone, ils veulent que tu mettes des dessous en dentelles sexy, un porte jarretelle alors qu’il fait 35 degrés dehors. Alors tu fais tout ça puis quand tu arrives, ils te regardent à peine tellement ils sont mal dans leur corps et ils te demandent de te déshabiller direct. Pfff… C’est toujours pareil ! Les positions, ben au téléphone ils te demandent tout ce que tu es prête à faire comme trucs incroyables puis ils te prennent dans la position du missionnaire trois minutes, tu les retournes deux minutes, ils jouissent et c’est fini. Après c’est le moment d’écoute où je dois rester calme et user de toute ma pédagogie pour expliquer à ces blaires que Non leur femme n’est pas frigide mais sûrement qu’il s’y prend très mal, que mentir à toute sa famille peut rendre dépressif et angoissé, que Oui je le comprends… Blablablabla…

Malaise général

J’ai souvent eu très envie de raconter tout ça, en rentrant avec un verre et une clope mais je crois que je peux compter sur les doigts d’une seule main les personnes qui ont compris mes besoins à ces moments-là.

J’ai toujours dit autour de moi quel métier j’exerçais, sans gêne. J’en ai finalement très très peu causé. Personne n’a jamais aucune répartie quand tu dis que tu es travailleuse du sexe. Tu dis que tu es charpentière, les questions s’enchaînent. Quel que soit le métier, les gentes sont toujours intriguées et veulent savoir comme tu t’en sors. Mais pas dans ce taf !

Ça baisse les yeux. Ça regarde ailleurs où c’est moins troublant.

Ça dit :« ah mais tu parles de prostitution, je pensais que tu employais tapin pour parler du travail en général. »

Ça fait les curieuses, ça pose des questions étonnantes, troublantes sur le taf mais jamais vraiment sur moi et comment je bosse ! Plutôt des questions sur ce qui aurait pu être le plus horrible… Quand on vous dit qu’on est charpentière, personne ne demande si on s’est déjà pris une maison sur la gueule !

Alors dommage qu’on en soit toujours là.

Cimer à celleux qui m’ont accompagnée au taf les jours où je me le sentais pas d’y aller seule. Cimer à celleux qui ont gardé leur téléphone allumé quand j’avais besoin d’une personne pour s’assurer que j’étais bien rentrée d’un RDV. Cimer pour les dépannages de bagnoles, pour les coupes de cheveux et coups de main relooking.

Cimer aux camarades et collègues de Cabiria, Griselidis, Stella, du Strass. Cimer à celleux qui ont écrit sur ce taf et qui m’ont permis d’étoffer mes arguments pour mieux répondre aux réacs.

Cimer à Ysé Volupté et sa chronique dans CQFD qui m’a réconfortée bien des fois.

*blaires : clients. Je les ai affublés de ce nom dès la première année de taf quand plusieurs clients m’ont demandé de leur donner une note à la fin du RDV. Désolée d’être si crue mais pour deux cents euros l’heure je peux donner un dix sur dix à n’importe qui !

Texte : Anonyme / Illustrations : Le Chat Bleu

1 cagole, meuf provocante avec tous les apparats clichés de la féminité telle qu’on nous l’apprend