Marché du logement : les proprios font la loi
Trouver un logement abordable et adapté à ses besoins devient de plus en plus ardu, au cœur de la métropole toulousaine comme en rase campagne aveyronnaise. L’immobilier se transforme en produit financier, l’État et le privé redoublent d’imagination pour sécuriser les profits engendrés par le secteur locatif, et vogue la galère pour les locataires…
Le prix des logements explose depuis près de vingt ans en France1. À la vente, les montants ont été multipliés par deux ou trois en moyenne. Côté location, les loyers ont flambé et la part du revenu qui y est consacré a doublé depuis les années 1970, passant de 11 % à 24 % aujourd’hui. Si on ajoute l’explosion des charges (électricité et gaz), le coût du logement devient intenable pour de nombreuses personnes. Résultat, en 2023 on compte 21 500 expulsions locatives, trois fois plus qu’en 2000.
La fabrique de l’inaccessibilité
Il est plus difficile de se maintenir dans un logement quand sa situation économique se dégrade, mais il est aussi plus compliqué d’en trouver un correspondant à sa situation : des grands logements pour les familles nombreuses, des loyers abordables dans les centres-villes, ou des logements adaptés tout simplement. Les personnes en situation de handicap ont ainsi toutes les peines à trouver une maison ou un appartement aménagé pour vivre avec un fauteuil.
Surtout, le logement est avant tout un patrimoine et un investissement qui doit rapporter. Aujourd’hui, 3,5 % des ménages détiennent 50 % des logements privés à la location2, tandis que les influenceurs immobiliers saturent l’espace numérique pour vanter toutes les combines en vue de faire fructifier le foncier.
Plusieurs solutions s’offrent aux propriétaires : la location au lit, à la chambre, ou la location saisonnière. Le propriétaire se transforme alors en marchand de sommeil dans le premier cas, ou optera pour la colocation et le Airbnb dans les deux autres cas. Victor Collet, auteur de Du Taudis au AirBnB, explique que ce sont les mêmes ficelles qui contribuent à la maximisation de la rente : « Airbnb fonctionne comme une essoreuse géante à blanchir les pratiques des marchands d’insalubrité tout en les appliquant : elle les légalise en partie tout en maintenant une certaine opacité qui permet de continuer à marchander le sommeil en toute confidentialité. »3 De la même façon, la colocation qui a longtemps été un moyen de s’arranger à plusieurs pour diminuer son loyer devient un nouveau produit d’investissement. Le site Colocatere.com propose ainsi des chambres dans un appartement meublé pour le prix d’un studio. Loin d’être un simple site d’annonce, la plateforme propose des investissements clefs en main : de l’achat à la mise en location en passant par la rénovation. On est là sur une tendance qui, avec les résidences de services4, est la pointe avancée de la financiarisation du logement. Encore marginale en France5 la transformation du logement en produit financier donnerait un dernier tour de vis à une situation déjà bien merdique.
Trouver un logement : la galère
Le résultat de cette optimisation immobilière offerte aux propriétaires est la réduction de l’offre de logements abordables. Avec trois dimensions qui se croisent : la localisation du logement, son prix et la situation sociale des personnes qui cherchent. Quand le logement n’est pas introuvable, il s’éloigne et c’est alors la galère pour aller au travail, pour maintenir des liens sociaux ou pour faire ses courses.
Dans les témoignages que nous avons reçus, tous et toutes s’accordent pour dire que la durée de recherche s’allonge et qu’elle devient de plus en plus stressante. En particulier du fait des exigences des propriétaires, qui sont de plus en plus pointilleux sur les garanties à apporter par les candidat·es.
Alexandra6 est étudiante et pionne à 700 euros par mois à Toulouse. Son compagnon touche le RSA. Leur logement étant mis en vente par le propriétaire, pendant cinq mois iels enchaînent les visites et les refus avec le stress de se retrouver sans rien. Le résultat : un appartement bien plus excentré et dépassant de 200 euros le budget prévu. De leur côté, Pauline, son compagnon et ses quatre enfants galèrent presque un an pour retrouver un logement du côté de Najac dans l’Aveyron, après que la mairie les ait poussés dehors pour cause de travaux. La concurrence est rude dans la zone, une annonce sur le Bon coin ne passe pas la journée. Il faut pouvoir montrer patte blanche, constituer le dossier – et sa liste de pièces interminable – qui aura grâce aux yeux du propriétaire et de l’agence. Demander à ses parents d’être garant·es alors qu’on a 40 ans et des enfants, ce n’est ni évident ni même possible pour tout le monde.
Bien évidemment, à cela il faut ajouter le racisme et les discriminations diverses…
Flicage à tous les étages
Lors de la recherche et de la signature du contrat de location, on découvre aussi toute une machinerie et des sociétés en pagaille pour resserrer encore davantage l’étau sur les futurs locataires et accroître les moyens de tirer des profits sur le marché du logement. Ainsi, des entreprises sous-traitent les états des lieux, d’entrée et de sortie. C’est le cas de Jean qui s’est trouvé contraint à faire un état des lieux d’entrée au pas de course immédiatement après la sortie de la précédente locataire. Il n’y a donc pas de possibilité de rénover ou de réparer ce qui doit l’être avant l’entrée dans le logement, et impossible de savoir si la personne précédente a été ponctionnée de tout ou partie de sa caution.
Mais c’est surtout sur le fameux dossier de garanties que les « innovations » se font sentir plus durement. Il est aujourd’hui courant de devoir laisser l’ensemble des pièces justificatives et des garanties sous forme numérique soit sur le Bon coin, soit à une agence lambda ou directement au propriétaire. La manœuvre est risquée, car la mise en circulation sur Internet favorise le piratage. C’est même la police qui le dit, avec près de 60 000 usurpations d’identités par an imputables à des escrocs qui publient de fausses annonces immobilières : 600 d’entre elles ont été déclarées sur Pharos7 au premier semestre 2022. Face à ce problème, loin d’être anodin, le gouvernement (qui ne nous veut que du bien) a mis en place « Dossier facile ». Une start-up d’État qui œuvre à « rétablir le lien de confiance entre les propriétaires et les locataires », depuis 2018. C’est ce qu’explique son directeur, Arthur Hatchuel : « Le futur locataire partage son dossier validé avec le propriétaire sous la forme d’une URL. Le bailleur, lui, a accès à un dossier sécurisé et organisé. Il peut facilement comparer les différents profils et choisir celui qui lui paraît le meilleur. »8 Si dans l’argumentaire l’usurpation d’identité tient lieu de déclencheur, le flicage du locataire et la lutte contre la fraude prend vite le dessus. Et ce dispositif va vite être répliqué par le privé sous diverses formes.
Pas besoin de moyens extraordinaires ou d’intelligence artificielle complexe pour vérifier les dossiers des locataires, il s’agit ici simplement de s’assurer de la cohérence des informations et que les fichiers PDF transmis n’aient pas été modifiés. Les impôts ont fait leur part pour « la confiance » en mettant dès 2022 un code-barres 2D-Doc (une sorte de QR code en plus complexe) qui permet à n’importe qui de vérifier les infos de la feuille d’impôt (date, nom, nombre de parts, revenu fiscal de référence) avec un téléphone.
Et ce n’est pas fini. Dans sa recherche de logement à Toulouse, Margot nous confie que l’agence lui a proposé qu’elle lui transmette un accès à ses comptes bancaires. « On a juste le résultat de l’analyse », rassure alors l’agent immobilier. Derrière cette « avancée », se trouve Verlingue, « courtier en assurances spécialisé dans la protection des entreprises » qui a mis en place l’application GoodLoc. L’objectif assumé : « Inscrire une nouvelle norme sur le marché locatif français autour de l’analyse instantanée du comportement bancaire et des données personnelles du locataire. »9 C’est le fruit du développement de techniques de contrôle issues du secteur du crédit à la consommation, non autorisées dans le cadre d’une location, mais rendues possibles par la demande du consentement. Les candidat·es à la location, sous pression, ont peu de marge pour refuser. Pour l’instant cette pratique est peu répandue, et l’ADIL et la CNL10 de Toulouse ne connaissent même pas l’application et encore moins ce procédé.
S’il existe de nombreuses associations de locataires HLM qui, si elles peinent à se faire entendre, ont au moins le mérite d’exister, c’est plus difficile dans le secteur privé. À Toulouse, le DAL assure des permanences11 et une « assemblée générale du logement » a émergé à l’automne afin « d’explorer et intensifier les possibilités de lutte autour du logement et se réapproprier la ville ! ». Au programme : « actions contre la gentrification, partage de savoirs autour du squat, ouvertures et occupations de lieux pour de l’hébergement et de l’organisation politique »12. Ailleurs dans la région, d’autres associations et collectifs tentent d’imposer un rapport de force face aux propriétaires, avec notamment Alda à Bayonne (cf. page 6). Et parfois dans certaines communes, des réglementations sont mises en place pour limiter la location saisonnière par exemple. Au quotidien, ce sont aussi d’innombrables petites formes de débrouilles et de coups de mains que chacun et chacune met en œuvre, pour que les garanties passent auprès des bailleurs par exemple. Reste qu’il faudra bien trouver le moyen d’attaquer frontalement la propriété privée et la marchandisation du logement pour sortir de ce bourbier !
Texte : J.K / Illustration : Alys
1 De nombreux chiffres sont disponibles sur www.friggit.eu.
2Insee, Portrait Social, 25 novembre 2021.
3Du Taudis au AirBnB Petite histoire des luttes urbaines à Marseille (2018-2023), Éditions Agone Marseille, avril 2024.
4 Ensemble de logements meublés ou pré-meublés auxquels on associe des prestations destinées à des populations spécifiques, en particulier les vieilles et vieux, les étudiant·es, les personnes en déplacement.
5Voir L’empire urbain de la finance, Antoine Guirronet, Ludovic Halbert, éditions Amsterdam, Paris, Février 2024. La financiarisation signifie que ce n’est plus un bien immobilier (une adresse) qui est acquis mais une part dans une société foncière ou un fond immobilier qui gère un portefeuille de logements.
6Les prénoms ont été changés.
7 Plateforme gouvernementale de signalement de contenus illicites sur Internet.
8Chef de produit chez Dossier, entretien sur www.destinationimmo.com le 7 février 2022.
9www.verlingue.fr
10Agence départementale d’information sur le logement et Confédération Nationale du Logement.
11Voir le site du DAL 31 pour les horaires et lieux : www.droitaulogement.org/tag/dal-31/
12 Cf. « Assemblée générale du logement #2, le 30 octobre à l’Impasse », www.iaata.info, 27 octobre 2024.