Numéro 18 (été 2025)

Le Pays basque n’est pas à vendre

Face à la pression foncière, la spéculation et le tourisme de masse, habitant·es, associations et paysan·nes se mobilisent pour défendre les terres agricoles et le droit au logement. Le photographe Guillaume Fauveau documente ce combat.

Au Pays basque, la terre n’est pas seulement un paysage : elle est une mémoire, une culture, une promesse d’avenir. C’est ce qu’incarne Maina, une bergère qui, sans posséder la terre, la parcourt et la fait vivre avec son troupeau de brebis. Au printemps, elle part du domaine de la maison Elguia où elle est hébergée, pour faire sa transhumance jusqu’au cayolar d’Oillaskoa1 où elle passe l’été2. Nombreux sont les discours politiques de tout bords qui louent, sans vraiment la soutenir, cette figure pittoresque de la petite paysanne. Mais derrière cette com’ se cache une autre réalité : chaque année, des hectares de terre disparaissent sous le béton ou les projets spéculatifs, avec l’approbation empressée d’une large part de la classe politique.

Pour préserver ce bien commun irremplaçable qu’est la terre nourricière, la population s’organise. Aux portes de Biarritz, à Arbonne en juin 2021, ELB3 et Lurzaindia4 ont occupé un terrain pour s’opposer, avec succès, à sa reconversion vers une fonction de loisir. La propriété en question avait fait l’objet d’une importante spéculation qui la rendait inabordable pour un·e paysan·ne5. Même mobilisation en janvier 2022, à Ayherre où la multiplication par six du prix des terrains, achetés en 2017 par une habitante de Biarritz, a provoqué la colère des habitant·es du village6. À Saint-Pée-sur-Nivelle en juin 2023, cinquante personnes ont occupé la ferme Olha7, pour dénoncer la vente de la propriété pour 1,3 million d’euros, un prix deux fois plus élevé que celui estimé par la Safer pour des terres agricoles. L’acheteur, une riche famille propriétaire de deux biscuiteries à Saint-Jean-de-Luz, prétend vouloir y faire pousser des noisettes, une bonne excuse pour spéculer selon les opposant·es qui pointent son absence d’expérience agricole. L’acheteur a finalement eu gain de cause.

À Cambo-les-Bains, l’emblématique dossier Marienia est un défi pour tout le Pays basque nord dans la lutte contre l’artificialisation des terres agricoles. La mairie a rendu ce terrain constructible en 2019 pour pallier à un prétendu déficit de logements sur la commune. Celle-ci refuse pourtant toute législation pour encadrer la prolifération des plus de 300 locations touristiques sur son territoire8. Deux ans plus tard, Bouygues immobilier et Office 64 de l’habitat déposent un permis de construire sur ces parcelles afin de construire une centaine de logements. Pour marquer le coup, les opposant·es interrompent une réunion du conseil municipal, en avril 2024 (photo 4), et exigent la sanctuarisation des terres. Le 17 mai 2025, un nouveau pas est franchi quand 500 personnes investissent le site pour ensemencer la terre menacée9. Promesse d’un engagement pour la préservation de cette prairie, les participant·es ont planté leur bâton de marche dans le sol. C’est le « serment des makila », un acte symbolique qui s’inspire de cérémonies du même genre dans le Larzac ou lors de l’occupation de Notre-Dame-des-Landes. Bien entendu, ces mobilisations ne se font pas sans répression. Quatre activistes ont ainsi été condamnés en mai 2025 à la cour d’appel de Pau à verser 8 700 euros de dommages matériels à Bouygues, pour avoir répandu de la terre sur une maquette du projet Marienia dans une de ses agences, à Anglet10.

Ces luttes s’inscrivent dans un mouvement pour la défense des terres, de l’autonomie alimentaire mais aussi du droit de vivre dignement. Car si les terres agricoles sont menacées, c’est jusqu’à la possibilité pure et simple d’habiter au Pays basque qui est mis en péril pour les classes moyennes et populaires. Faute de trouver des logement abordables, certaines personnes sont poussées à vivre dans des mobil-homes desquels ils doivent partir une fois l’été venu11. Les étudiant·es de l’Estia, une école d’ingénieurs au sud de Biarritz, sont ainsi jusqu’à cent-cinquante chaque année poussés dans cette situation de précarité.

Là encore, de nombreux militant·es sont sur le front. C’est notamment le cas d’Alda, une association qui mène un combat acharné pour défendre le droit au logement dans la région12.

La lutte est rude face à des pouvoirs publics essentiellement préoccupés par l’attractivité économique du territoire et la protection de la propriété privée. En juin 2023, les membres du collectif Maurizia ont ainsi été expulsés d’un bâtiment désaffecté depuis huit ans à Bayonne. Ils n’ont pu l’occuper que quelques semaines 13. Âgés de 25 à 30 ans, iels voulaient en faire un refuge pour des jeunes sans logement mais aussi y construire un espace de vie socioculturel ouvert sur la ville et à tous et toutes. À Hendaye, le 23 mai 2025, les militant·es d’Alda ont réussi à faire condamner les propriétaires d’un Airbnb illégal, après trois jours d’occupation. Le couple avait poussé son locataire à quitter les lieux après sept mois alors qu’il bénéficiait d’un bail classique de trois ans minimum. Ils n’avaient pas non plus déclaré ce logement comme étant à vocation touristique, une obligation dans cette zone de forte tension.

Au Pays basque, cette puissante résistance prend racine dans un esprit sans cesse renouvelé de transmission et de révolte collective. Un combat inspirant pour nous tous·tes.

Texte : Guillaume Fauveau et Elie Toquet / Photos : Guillaume Fauveau

  1. Cabane de bergers dans certaines zones des Pyrénées-Atlantiques.
  2. Confédération paysanne du Pays basque.
  3. Association pour la sauvegarde de terres agricoles.
  4. Lettre ouverte d’Alda à Christian Devèze, maire de Cambo.
  5. « Autodéfense au Pays basque », L’Empaillé n°16.