Numéro 1

Le casino de Cransac : un bras d’honneur en bande organisée

La mairie socialiste de Cransac a œuvré pendant trente ans afin qu’un « complexe casinotier » s’installe sur sa commune. L’inauguration en 2015 s’est faite dans la joie et l’espérance. Les élus, les hommes d’affaires, les journalistes, tous applaudissent le travail accompli et s’agenouillent devant les emplois à venir, la revitalisation économique, et le sur-développement touristique pour le bonheur de tous. Et vous, miserez-vous votre paye à la roulette ?

L’ambiance classe et feutrée du casino à l’ancienne, la clientèle aisée s’en allant siroter un scotch et s’adonner, relaxe, au plaisir des jeux de hasard ? Oubliez ça. Voici le casino moderne, populaire et ses bandits manchots. La déferlante des machines à sous, autorisée par Pasqua en 1987, a radicalement changé la donne. Fini les horaires de saison, la sobriété, les costumes de rigueur et le droit d’entrée. Place au 24h/24h, du matin au milieu de la nuit, place au clinquant, au tape à l’œil, place au jean-basket et à l’ambiance Skyrock. Les fumeuses machines à sous ont peu à peu amené leur public : les catégories les plus modestes, les précaires, les pauvres. La fréquentation des casinos compte plus de 40% de retraités et chômeurs, environ 14% d’employés et 12% d’ouvriers (1). Le reste regroupe les classes plus aisées, davantage coutumières des tables de jeux. Les machines à sous sont considérées comme « le casino du pauvre » (2) avec de faibles mises, pour ceux qui n’ont pas les moyens de flamber à des jeux plus prestigieux. Aujourd’hui, le secteur des casinos fait essentiellement son beurre sur ces machines, à hauteur de 93% de leur chiffre d’affaires.

Casinos de misère

Souvent proches du pouvoir pour obtenir les autorisations administratives, certains groupes et quelques riches familles ont flairé la bonne occasion. Car si l’industrie du jeu dans son ensemble a explosé sur le dernier demi-siècle, le monde des casinos n’est pas en reste. Grâce à Charles Pasqua et à tous les gouvernements successifs qui ont su déréglementer et assouplir fiscalement cette activité, une trentaine d’établissements supplémentaires ont vu le jour depuis 1985, portant leur nombre à 197. Le chiffre d’affaires est passé d’une centaine de millions d’euros à un pactole dépassant les deux milliards et demi. Les groupes Partouche, Barrière, Tranchant ou Arevian s’en sont mis plein les poches avec une relative facilité. Une machine à sous coûte environ 7600 euros à l’achat et peut rapporter jusqu’à 100 000 euros par an. Les fonds spéculatifs peuvent aller se rhabiller. Pas étonnant, lorsque l’on sait que la probabilité de gagner le gros lot y est dix fois inférieure à celle de se faire frapper par la foudre… Autant dire à peu près inexistante. L’illusion du jackpot amène pourtant chaque année 60 millions de personnes à entrer dans un casinos. Ils étaient trois millions en 1980.

Les études ont montré que plus une personne est pauvre, plus elle est tentée à jouer, et au plus la situation économique est maussade, plus la population joue (3). L’appauvrissement de la population et la croissance continue du chômage de masse ont donc contribué à l’explosion de l’industrie des jeux d’argent. S’y ajoutent la flambée des casinos « populaires », l’apparition des jeux en ligne ou le matraquage publicitaire du PMU et de la Française des jeux (FDJ). Tout concourt à booster un secteur affichant en 2014 un affolant 37 milliards de recettes, contre 98 millions en 1960. Plus de la moitié du pays joue aux jeux dans l’année et des centaines de milliers de joueurs en sont dépendants (voir ci-contre).

Le virus bandit manchot 

Si toute l’industrie du jeu est nocive, les casinos le sont particulièrement pour la population alentour. Pendant que l’État, les communes et les casinotiers se partagent la recette à 50-50, les habitants et habitantes les plus précarisés vident leurs poches. En comparaison du PMU ou de la FDJ, les mises engagées sont en moyenne de quatre à huit fois supérieures, et les adeptes y retournent plusieurs fois par semaine. Les études montrent que les machines à sous induisent un effet addictif important par rapport aux autres formes de jeux d’argent, par l’accessibilité, la rapidité ou l’illusion d’adresse procurée aux joueurs. L’environnement d’un casino et le comportement du personnel est également conditionné pour inciter « à jouer », notamment pour les tables de jeu, quitte à faire usage de différentes techniques de manipulation. Ces établissements sont donc considérés comme aliénants en créant une dépendance psychologique et physique.

D’après le psychiatre Marc Valleur, le fait « que le jeu de hasard et d’argent puisse devenir passion dévorante, obsédante, envahissante, au détriment de tous les investissements affectifs et sociaux, est un fait socialement reconnu. Les milieux scientifiques le considèrent aujourd’hui comme une forme majeure de toxicomanie sans drogue » (4) Jean-Pierre Papart montre que « le syndrome de sevrage présente beaucoup de similitudes avec ceux rencontrés dans les toxicomanies (irritabilité, douleurs abdominales, tremblements, etc), et demeure à l’origine d’importantes conséquences personnelles ou sociales (divorce, dettes, dépression, suicide, échec professionnel ou scolaire, etc.) »(5)

Souriez, on va vous plumer

L’unanimisme le plus complet a été réalisé autour du projet de casino, mené de bout en bout par la clique politicienne locale. Le consensus règne, le débat politique est inexistant, les scrupules sont laissés au vestiaire. Tout paraît justifiable au nom d’une poignée d’emplois et du sacro-saint « développement local » qui n’a de sens que pour quelques notables et capitalistes locaux, et deux ou trois quotidiens de presse dociles. Les voici s’adonnant aux applaudissements polis, aux embrassades, aux remerciements. Tout le landerneau semble s’être arrêté au bandeau publicitaire du casino de Cransac : un mannequin en décolletée en guise de croupier, des pantins en-cravatés au sourire béat douchés par des piécettes d’or, quelques étoiles et paillettes, des machines rutilantes, si prometteuses à déverser une montagne d’euros au premier venu. BANDEAU

En mai 2014, lors de la pose de la première pierre, Centre presse nous fait vibrer lorsque l’ancien maire PS de Cransac, Jean-Paul Linol, «  la voix étranglée par l’émotion » annonce un « jour historique », d’un « aboutissement », « fier d’être arrivé jusque-là », persuadant l’assemblée que l’ouverture du casino « participera à sortir [la] commune de sa léthargie. » La députée PS Marie-Lou Marcel nous fait partager sur Internet « la bonne nouvelle pour le bassin », et souligne chez Linol qui a longtemps porté le projet, « son élégance subtile et son honnêteté intellectuelle vivifiante ». Le servile Centre presse souligne son « parcours du combattant qui aura duré plus de 20 ans » et son « émotion sincère ». La dépêche est en extase devant ce « fou projet », « impensable à l’époque », relatant les paroles de Linol qui fait dans la surenchère  : «De l’utopie au rêve, du rêve à la réalité, ce fou projet était-il utopique ? ». Le quotidien de Baylet salue encore « l’acharnement des équipes municipales » face à la machine administrative. Quel courage !

Le grand bluff

Cet enthousiasme pour un projet si piteux nous a mis la larme à l’œil. Oubliant les toxicos du jeu, les smicards qui rêvent en jetant cent cinquante balles chaque mois par la fenêtre, on s’est mis à y croire avec eux, que ce projet, c’était pour nous, pour notre avenir : l’Aveyron, le vivre vrai. À l’unisson avec tous les élus de la communauté de commune du bassin, qui clame dans sa gazette l’avènement d’un « vecteur supplémentaire de dynamisation et de valorisation de l’ensemble du territoire ». Le jour de l’inauguration, avec les maires, la députée, le préfet, et tout le petit patronat local, on s’est pris à en rêver, avec la ministre Sylvia Pinel, de cette « vitrine exceptionnelle pour l’Aveyron », à vanter « le courage de ces élus », à s’émouvoir sur « cette belle aventure humaine et de développement économique ». Époustouflés devant « la pugnacité de ceux qui se sont battus pour que ce qui n’était qu’un rêve voilà 30 ans devienne réalité ». Comment ne pas applaudir des pieds et des mains la remise par la député Lou marcel de la médaille de l’assemblée nationale au héros du pays, Monsieur Jean-Paul Linol ?

Lorsque Antoine Arvian, le boss de la société Avev Finances qui va exploiter le futur casino, a pris la parole, le désenchantement fut total : trente misérables emplois. Quarante tout au plus. À l’échelle du chômage environnant, on s’approche du ridicule. D’autant plus lorsqu’on sait la nature de ces emplois. Outre leur durée plus ou moins déterminée, les niveaux d’emploi (entretien ou surveillance), c’est peut-être les employés des salles de jeux qui sont le plus à plaindre, les croupiers n’ayant comme but que de manipuler et plumer au possible la clientèle. Dans un cadre où les horloges et la lumière du jour se font discrets pour mettre les pauvres gens hors des repères du temps, le croupier a la tâche de faire jouer les gens au maximum. Toutes les petites manœuvres sont encouragées : un instant on accélère la cadence, puis on ralentit, on joue sur les petites coupures quand il faut, on paie un coup si besoin, on incite coûte que coûte à jouer, on fait l’impressionné, on rassure, et toujours on fait tourner la roue… et en voiture simone. Le tout surveillés et mis sur écoute par toute une hiérarchie précise, du chef de table au floorman, du pit boss au directeur des jeux. Ajoutés au stress et aux horaires de nuit, certains en ressortent dégoûtés (cf témoignages ).

Cransac l’arnaque

Que reste-t-il alors aux huiles locales pour louer l’arrivée d’un casino à Cransac-les-thermes ? Le « développement », la « valorisation du territoire », « l’attractivité » ? On connaît ces formules de marketing communal. Qu’on vienne à Cransac pour se payer une cure thermale, on le comprend bien. Mais des casinos, il y en a deux cents en France ! En réalité, le casino ne sera pas un attrape touriste. Selon une thèse récente (6), il y a d’un côté les casinos « de destination » et notamment de bord de mer, qui attirent les touristes et conservent une clientèle en partie huppée, et de l’autre les casinos « locaux », qui misent sur les communes alentours, à l’instar de tous ceux qui s’installent récemment dans les grandes villes ou comme ici à Cransac. Antoine. Arevian ne dit pas autre chose : son « étude d’impact (…) laisse apparaître plus de 210 000 clients potentiels sur le nord du département de l’Aveyron et même au-delà, sans parler des curistes ». Les curistes sont bien la cerise sur le gâteau et non le « cœur de cible » : la population du bassin et des environs. Selon le sociologue Jean-Pierre Martignoni, il existe un lien direct entre proximité géographique et fréquentation du casino. Au nouveau casino lyonnais, 80% des joueurs ne jouaient pas auparavant : « Ils se sont découvert un nouveau passe temps » reconnaît le patron. Martignoni souligne aussi que «  les régions où le chômage est plus élevé que la moyenne jouent beaucoup et épargnent peu, et inversement. » (7). Dans le bassin, avec 15% de chômeurs selon les chiffres officiels sous-évalués et 17% de taux de pauvreté, le casino Arevian sera donc au bon endroit. Et ils ne s’y sont pas trompés : les premières publicités de plusieurs mètres de long ont été placardées sur les bus publics du bassin.

Le fric. Enfin un vrai motif valable. Certaines communes ponctionnent « leur » casino pour des sommes qui peuvent représenter 20% du budget municipal, comme à Deauville, ou 15% à Lille. De quoi permettre à un élu communiste de Lille d’affirmer, le regard dans le vide, « qu’il ne faut pas cracher dans la soupe » (8). Ici on est loin du compte. La soupe est floteuse. La société Arev Finance aux sept casinos et aux quinze millions de chiffre d’affaires a conclu le marché en acceptant de payer un loyer, presque anecdotique, de 17 000 euros mensuels. Encore une belle blague. Pour sortir le bled de la léthargie, il va falloir ramer. En lot de consolation, les cransacois et tout l’ex-bassin minier pourront se rendre aux concerts gratuits que la famille Arevian doit d’organiser chaque semaine dans ses locaux. Elle en profitera à coup sûr pour créer de nouvelles vocations de joueurs et les rendre addictes à sa cinquantaine de bandits manchots, ses black jack et sa roulette anglaise.

Les luttes de mineur aux vestiaires

Comme ailleurs, le parti de la rose et ses alliés continuent sur la voie de l’obéissance à la raison du marché. Mais cette fois-ci, ils militent pendant des années pour avoir le droit… d’installer des temples du jeux d’argent dans leur commune. Ce fut ainsi à Lille ou Lyon ces dernières années. Lorsqu’ils ne sont pas aux commandes, comme à Toulouse, ils retrouvent leurs méninges lorsqu’un casino prévoit de s’implanter au cœur des quartiers populaires du Mirail et d’Empalot. Stéphane Dupraz, élu PCF, dénonce alors l’ignorance et l’irresponsabilité de la mairie devant ce « fléau » des jeux d’argent : «  la fiscalité sur le casino est au bout du compte une taxe sur la misère, un impôt sur l’illusion. Messieurs les libéraux, l’impôt sur la détresse sociale vous gêne moins que l’ISF ! » (9). À Cransac, de l’élu municipal à la ministre, personne n’a « bouder le plaisir » de Linol. Au vu de la législation, ce sera le seul casino du département, et le bassin va « monter en puissance » et renaître de ses cendres. Puisqu’on vous le dit.

Les élus locaux piétinent idéaux et convictions comme ils marchent sur l’histoire du pays. Un bras d’honneur aux luttes ouvrières, sans détours. Les mille mètres carrés loués à la famille Arevian prendront place dans la salle des carreaux, qui habritait les anciens vestiaires des mineurs du puits numéro un. Jean-Paul Linol n’a pas honte d’utiliser cet « héritage direct du passé charbonnier de la commune », d’avoir même « privilégié cet endroit » et d’affirmer avec solennité : « nous conseillerons fortement le futur prestataire pour qu’il lui conserve son cachet architectural originel ». Peut-être la famille Arevian pourrait-elle construire un mémorial dans l’entrée du bâtiment en souvenir des luttes des mineurs de 1886 et de 1961, lorsque leurs ancêtres exploitaient les decazevilllois pour une misère et les réprimaient sans vergogne ?

(1) Selon l’Inserm, pour l’ensemble des jeux, la tendance « modeste » est encore accentuée avec 41% d’inactifs, 27% d’ ouvriers et 19% des employés.

(2) D’après Brasey Édouard, dans La république des jeux, 1992.

(3) D’après la «théorie de la pauvreté» du sociologue Martignoni. Plusieurs études ont montré une corrélation entre la baisse des revenus et la hausse du jeu.

(4) : Marc Valleur,« Le jeu pathologique », 1997. La revue Neuron a publié une importante recherche en 2001 démontrant que ce sont les même zones et régions du cerveau qui sont impliquées dans la consommation de cocaïne.

(5) : Docteur JP Papart, Université de Genève, le jeu pathologique, juillet 2000.

(6) : Matthieu Prévost, Des établissements au service de destinations », 2011.

(7) : Interview dans la Voix du Nord du 28/12/05.

(8) : Dossier sur le nouveau casino de Lille, La Brique, mars 2007, en ligne sur www.labrique.net.

(9) : Intervention en conseil municipal de Toulouse, 4/05/05

NB : Toutes les citations concernant le casino de Cransac proviennent de La Dépêche et Centre Presse.

Du jeu, du jeu, du jeu…

Selon le rapport 2014 de l’Inserm, le nombre de joueurs misant plus de 50 fois par an est passé de 22% en 2010 à plus de 31% en 2014. Deux millions de français claquent plus de 1500 euros par an, cinq fois plus qu’il y a quatre ans. Un million d’entre eux auraient une pratique relevant de l’addiction « à risque modéré », 400 000 de plus qu’en 2010. S’y ajoutent 200 000 joueurs compulsifs en grande difficulté. Un chiffre qui peut doubler selon les études, et qui est du même ordre que le nombre de toxicomanes. A coté de badit manchot

Témoignages de croupiers : Le grande bluf

« Au début ça va, c’est un métier relativement valorisant. Mais au fur et à mesure, tu vois les gens revenir. Ils sont à la dèche, ils jouent leur RMI, etc. Et à la fin, tu vois toute la misère. Tu vois les gens venir pour gagner, mais tu sais très bien qu’ils vont perdre. Il y avait une vraie tension, un vrai stress. Une fois, une dame haut placée genre directrice de communication, avait beaucoup joué. Elle a fini complètement bourrée, à genoux à l’entrée : ils ont dû la virer. Il y a aussi des gens qui te traitent, comme « p’tit con ». D’autres sont vraiment agressifs. (…) En fait, ce boulot c’est comme faire CRS, il faut s’en détacher complètement pour ne pas lâcher. Moi j’en avais ras-le-bol de voir les gens se ruiner pour rien. Et je bossais pour des clopinettes ».

Philippe, casino de St Amand, interview, 2005, La Brique

« On apprend aussi à ne pas trop « plumer » le client d’un seul coup, afin qu’il ne soit pas déçu par une seule soirée et qu’il continue à revenir. (…) J’ai été confronté à la misère humaine (…) Interdiction, donc, de freiner les ardeurs et les envies de jeu. Même si les joueurs sont au bout du rouleau, même s’ils s’avèrent être compulsifs ou visiblement en détresse. Un barman, par exemple, arrête normalement de servir le client s’il est trop soûl. Nous, nous devons assister impuissant à la déchéance d’hommes et de femmes et même l’encourager. Je me rappelle de nombreux exemples qui m’ont marqué, comme cette mère de famille qui avait perdu près de 2000 euros en une soirée et qui m’avait avoué avoir emprunté de l’argent à son fils pour continuer à jouer. J’ai vu de nombreuses personnes craquer, pleurer, et même certaines menacer de se suicider. »

Pierre, casino de Normandie, interview, 2015, L’obs

Visite payante. Plomber les finances de L’Empaillé avant la première impression, on l’aurait eu en travers de la gorge. Mais c’était dit par le tout jeune agent d’accueil du casino de Cransac : pour rentrer, « il faut une carte d’identité… et de l’argent ! » À part une autre hôtesse de caisse, très jeune également, et un barman, on aura affaire qu’aux dizaines de machines à sous. On peut néanmoins estimer que derrière la vingtaine de globes de vidéosurveillance qui encombrent le plafond, il y a un vigile. À parier, encore un jeune sous-payé. Côté emploi donc, c’est pas l’orgie qui sortira le bled de la léthargie décrite par le maire. Pour le reste, tout est conforme : on nous paye gratos le café et toutes boissons chaudes, grenadine et gâteaux pour que ni la faim, la soif ou le sommeil n’encombrent notre irrésistible envie de jouer. La salle est remplie de machines et nombre d’entre elles affichent « à partir de 1 cent », ou « à partir de 2 cents ». Pourtant, à chaque coup de « spin », la machine nous prend 30 ou 60 centimes, jusqu’à 1 ou 2 euros d’un coup. Après tout le mensonge fait partie de l’univers. Les machines envoient le pâté, certaines avec de grands écrans, du fluo, du stroboscopique, du gros son qui fait croire au gros lot à chaque euro gagné. Tout va si vite qu’on y comprend pas grand chose. Sauf qu’il faut y mettre le billet et qu’il faut se tirer de la machine avant le banqueroute, en pressant le « pay out », et récupérer le ticket qui indique les euros restant. Quand aux joueurs et aux joueuses, braqués sur les machines, silencieux, c’est sans aucun doute des salariés modestes, smicards, chômeurs, à guère trois ou quatre chemises près. Ce qui explique qu’il n’y a quasi que des machines, et une seule table de jeu, le soir. Tout cela semble banal et triste. Une fois notre mise de départ sauvée, on se taille avant de se faire voler par les bandits manchots. On croise à l’entrée un dernier joueur, hagard, qui vient sans doute miser sa prime de Noël de la CAF.