Numéro 15 régional

Empêchons-les !

Depuis le 2 septembre, se tient le procès dit des « viols de Mazan ». Cinquante-trois accusés ont été identifiés sur les 83 hommes qui pendant plus de dix ans ont violé Gisèle Pélicot, soumise chimiquement par son mari. 83 hommes que la société patriarcale range dans la catégorie des monstres ou des malades mentaux, alors qu’ils ne représentent que la banalité d’un mâle présent dans toutes les classes sociales. Ceux qui ont répondu à cette annonce postée sur un site libertin sont les mille visages de cette France qui viole, dans une impunité totale. Ils ont entre 26 et 73 ans ; ils sont menuisier, militaire, informaticien, infirmier, pompier. Beaucoup sont en couple, bien « insérés », considérés comme de bons voisins ou de bons pères de famille. À la barre, si certains reconnaissent avoir violé, la plupart d’entre eux contestent avoir eu l’intention de le faire, ou disent l’avoir fait pour « faire plaisir au couple » ou « ne pas réfléchir dans ce genre de moment ». D’autres nient tout simplement, malgré les vidéos. Et parmi les hommes recrutés sur internet qui ont refusé d’avoir des relations sexuelles avec une femme inconsciente, aucun d’entre eux n’a levé le petit doigt pour faire cesser cette horreur.
Ce procès a mis sous le feu des projecteurs le « viol d’opportunité » – « Je n’avais pas prévu cette situation mais bon, maintenant que j’y suis… ». Pourra-t-il ainsi faire exploser à la face du pays toutes ces violences ordinaires vécues dans l’intimité des foyers, où l’absence de consentement ne suffit pas encore à caractériser le viol ? Ou est-on encore loin du procès des violences systémiques envers les femmes, de la culture du viol, d’un patriarcat encore solidement ancré ?

Dans tous les cas, en demandant un procès public, le courage de cette femme qui veut « faire changer la honte de camp » est immense. Elle nous permet de voir le fonctionnement de la justice, la violence des confrontations, les stratégies de déstabilisation et les arguments obscènes des avocats de la défense. À l’ouverture du procès, pancartes et cris de soutien accueillent Gisèle Pélicot. « Tu n’es pas seule ! », scandent les 3500 personnes présentes devant le tribunal. Car oui, une grande majorité de femmes vivent ou ont vécu des violences masculines, qu’elles soient sexuelles, physiques ou psychologiques. Mais il ne s’agirait pas de transformer Gisèle Pélicot en icône et ainsi d’éclipser toutes les femmes agressées et violées qui n’ont pas coché les cases de la « bonne victime » : avoir des preuves indiscutables et des traces de violences physiques, avoir une tenue et des « mœurs » irréprochables, porter plainte rapidement… Car aujourd’hui encore, l’écrasante majorité des viols n’aboutit à aucune enquête ni aucune condamnation, et sont en très grande partie commis par un proche – dans 90 % des cas. Si l’on ajoute que des milliers de femmes ne portent pas plainte, que les poursuites sont souvent abandonnées dès le départ, et que lorsqu’il y a procès il aboutit à un classement sans suite dans 94 % des cas… alors on peut dire qu’en France, les viols ne sont pas punis par les tribunaux. Le procès de Mazan n’est donc qu’une exception à cette règle sordide.

Évidemment il n’y a rien à attendre des médias dominants, allergiques au féminisme, lui préférant la pensée grotesque d’une Caroline Fourest qui déblatère contre MeToo sur tous les plateaux télé. Et face à ce gouvernement réactionnaire et fascisant, dans lequel les macronistes ont choisi de s’allier à des homophobes et des racistes, on ne pourra compter que sur un mouvement féministe populaire, qui doit continuer de s’armer pour dynamiter ce vieux monde. Et finir par lui couper les couilles.
En attendant, que ce soit par la force physique, par la parole ou par les tribunaux, il n’y a qu’une chose qui nous vienne en tête pour s’opposer aux hommes violents et qui s’adresse à chacun·e d’entre nous : peu importent les moyens, empêchons-les.

Le comité de rédaction