Dans l’Hérault, les vignobles volent de l’eau
La sécheresse s’installe en Occitanie. Alors que des pratiques agroécologiques et la diversification des cultures sont des solutions avancées par les scientifiques et la Région, les logiques agro-industrielles de la viticulture héraultaise se poursuivent dans une fuite en avant technosolutionniste, avec des projets de méga-bassines.
En France, le Recensement Général Agricole révèle qu’entre 2010 et 2020, les terres irriguées ont augmenté de 14,6 %. L’Hérault est un cas d’école, en ayant doublé ses surfaces irriguées durant la même période. L’usage de l’eau agricole est principalement destinée à la viticulture qui représente 80 % de l’agriculture du département, occupe 45 % de l’espace agricole et emploie plus de 10 000 personnes. Selon la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt, en 2020, l’Hérault est le premier département viticole de la région, que ce soit du point de vue du nombre d’exploitations ou des surfaces cultivées en vigne.
Pourtant ces cinq dernières années, le volume d’eau potable acheminé dans des villages par camion-citerne a dû être multiplié par six. En mars 2024, douze communes sur 342 étaient déjà au seuil de crise, tandis qu’une majorité était placée en alerte renforcée.
Irriguer plus, pour (sur)produire plus
La sécheresse touche toute la viticulture occitane, qui en 2019 représentait 37 % du vin français exporté. Dans cette région, c’est le groupe BRL (Compagnie d’aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc) qui s’impose comme acteur majeur de la gestion de l’eau (et de sa privatisation), en gérant la conduite Aqua Domitia, qui achemine l’eau du Rhône jusqu’à Narbonne. Ces dix dernières années, dans le cadre du projet Réseau Hydraulique Régional, BRL a enfoui 5 000 kilomètres de conduites connexes pour irriguer environ 6 000 hectares supplémentaires entre le Gard, l’Hérault et l’Aude. Un programme financé à hauteur de 22 millions d’euros par l’Europe, la Région et les Départements. Pourtant la filière est confrontée à des crises de surproduction : en 2020, puis à nouveau en 2023, l’État a débloqué 200 millions d’euros pour transformer la surproduction de raisin en alcool blanc, servant aux industries pharmaceutiques et cosmétiques (1).
Par ailleurs, ces prélèvements sont très peu encadrés. Le Plan Eau National présenté en mars 2023 n’impose pas de contrainte aux irrigant·es mais appelle à la « sobriété », et seulement 1,1 % du financement prévu par le Plan Hérault Irrigation 2018-2030 est destiné à l’accompagnement vers une agriculture résiliente. Alors régulièrement, lorsque les différentes instances de l’eau appuient la nécessité de réduire les pompages, le monde de l’agro-industrie descend dans la rue, avec des forces de l’ordre soudainement très compréhensives du mal-être des travailleur·euses agricoles.
Se faire méga-bassiner
En accord avec le Schéma Hérault Irrigation 2018-2030, le Conseil Départemental souhaite aider les agriculteurs à changer de pratiques. Par souci écologique, il explique vouloir « une agriculture résiliente aux modifications climatiques », en préférant des maraîcher·ères avec des circuits courts, tout en garantissant « la pérennité de la viticulture héraultaise, en optimisant les ressources existantes ». Et pour cela rien de mieux que la construction de méga-bassines irrigant les vignes au goutte à goutte ! C’est ainsi qu’au nord-est de Béziers, la construction de sept méga-bassines est en cours d’étude sur les sites de Florensac, Pouzolles-Coulobres, Caussiniojouls, Autignac et Magalas, allant de 200 000 à 740 000 m³ (à titre indicatif, celle de Sainte-Soline peut contenir 628 000 m3 d’eau). Le coût d’accès aux méga-bassines étant estimé à 950 euros par année et par hectare pour l’exploitant et environ 10 000 euros par année et par hectare pour la collectivité, auquel il faut ajouter la facture d’eau, ces projets ne profiteraient qu’à une minorité d’acteurs. De quoi douter que les petites exploitations agricoles soient la cible première de ces projets portés par le Conseil Départemental et la Chambre d’Agriculture, en partenariat avec BRL.
Heureusement que le commercial Yvon Pellet, vice-président du conseil départemental délégué à l’économie agricole et à l’aménagement rural, a plus d’un argument de vente dans sa gourde. Il répète à qui mieux mieux que les « retenues hivernales » seraient remplies en hiver avec l’eau du Rhône « pour ne pas la perdre à la mer ». Problème : dans le rapport Explore2, il est annoncé une baisse de débit du fleuve de 30 % à 40 % d’ici 2050-2070, tandis que les bassines ne seraient pas opérationnelles avant 2030. Conscient de cet argument, le Département argue cyniquement que le débit hivernal du Rhône devrait augmenter en hiver du fait de la fonte des glaciers alpins, avant de sortir du chapeau que les retenues serviraient à effectuer une transition progressive en diversifiant les cultures. Diversification dont on entend beaucoup parler, mais qu’on ne voit pas poindre à l’horizon. Quant au sujet de la pollution du Rhône servant à alimenter l’ensemble, le Département garantit que l’eau rhodanienne est une ressource « potabilisable ». Allez dire cela aux habitant·es lyonnais·es qui boivent des PFAS (2), ainsi qu’aux poissons du fleuve qui survivent dans le tritium relâché par les centrales nucléaires.
Pomper l’eau et l’argent public
En aval du barrage du Salagou, l’ASA (l’Association Syndicale Autorisée – sic) du Canal de Gignac souhaite accroître l’irrigation des vignes, via le projet d’extension 3SFM. Pour ce faire, en plus de prélever l’eau du fleuve Hérault, il s’agirait de pomper dans la Lergue et dans le lac du Salagou, dont le niveau d’eau oscille depuis trois ans entre un et deux mètres en dessous de la cote d’exploitation. Actuellement en travaux, le projet 3SFM, dispensé d’étude d’impact par décision préfectorale, coûte d’ores et déjà huit millions d’euros, dont 80 % d’argent public.
Les collectifs « Sauvons Le Salagou » et « Coord’Eau34 » dénoncent un risque évident de surexploitation de la ressource aquifère alors que six autres projets, concernant 23 communes, sont répertoriés dans un rayon de 15 km2 autour de Brignac. Chaque projet se destine à l’irrigation de la vigne, pour une surface cumulée de 3000 hectares, nécessitant trois millions de mètre cube par an, et pour un coût total de 30 millions d’euros.
Par ailleurs, seuls les viticulteur·euses engagé·es à ne pas changer de modèle auront accès à l’eau. Les documents fournis par l’ASA du Canal de Gignac à l’Autorité environnementale (DREAL) explicitent qu’ « au regard du type de sol, peu profond et relativement pauvre, du secteur, il semble raisonnable de considérer que la vigne restera la culture quasi exclusive de la zone d’étude. Il ne semble donc pas nécessaire d’intégrer une évolutivité du réseau permettant à termes d’irriguer de nouvelles cultures ». Ainsi le projet 3SFM va à l’encontre de toute diversification des cultures.
Face à la crise viticole, inscrite dans une crise démocratique de la répartition de l’eau, ces accaparements ont de quoi continuer d’abreuver inégalités et tensions autour de la question de l’eau, qui doit rester un bien commun à partager avec l’ensemble du vivant.
Texte : Stan Mina / Photographie : Antoine Picard
1) « Il faut être très clair, il n’y aura pas d’autre campagne de distillation », Vitisphère, 19 octobre 2023.
2) « La distillation de crise reprend », Vitisphère, 3 septembre 2020.
3) « PFAS : Surveillance des eaux en Auvergne Rhône-Alpes », Générations futures, 24 janvier 2024. Voir aussi « Pollution aux PFAS : la métropole de Lyon attaque Arkema et Daikin », Actu Environnement, 20 mars 2024.