Culture
La fête est politique
Arnaud Idelon est journaliste, critique d’art, professeur et fêtard invétéré. Autant de casquettes qui lui permettent de proposer une analyse originale des mille visages et paradoxes des fêtes contemporaines. Les courts chapitres de cet essai s’entrelacent pour nous emporter dans une déambulation du carnaval à la rave, du club aux afters entre ami·es… Au coté de l’auteur, on jette un regard tendre sur les espaces festifs, les corps épuisés, les dynamiques collectives qui surgissent sur le dancefloor et les bouleversements intimes qui peuvent s’opérer en chacun·e. Moments où le temps s’étire et se distend, où la transgression est possible, la fête permet de vivre des expériences exceptionnelles mais reste aux prise avec les mêmes systèmes de domination qu’en dehors. Alors pour faire sens, la fête doit être un espace politique. Elle qui nous fait et nous défait, elle devient une zone à défendre, au potentiel transformateur hors du commun : « Un espace de conversion de l’individuel en collectif, et de mobilisation de son énergie dans les luttes et transitions sociales, afin de ramener au jour les métamorphoses qui s’opèrent dans la nuit ».
Boum boum, politiques du dancefloor, Arnaud Idelon, Éditions Divergences, janvier 2025.
« Faire des arcs-en-ciel avec les armatures de la mort »
Ce recueil de poésie d’Orée Li tombe à pic pour célébrer le printemps. C’est une invitation à la mutation, à la renaissance, au commencement d’un nouveau cycle. La jeune poétesse ardéchoise signe ce premier ouvrage très inspirant dans lequel on se laisse avec grand plaisir entraîner à ses côtés tout au long de ce parcours qui ressemble à une mue. On y explore le corps, la mort, la famille, le soi et les autres, les plantes, les bourgeons et les fleurs. Sous sa plume, les mondes humains et végétaux s’interpénètrent et abolissent leurs frontières pour mieux communier. Une écriture vive et sensible qui vaut le détour.
Primevères fantômes, Orée Li, Éditions des Lisières, mars 2025.
Nos amis ont du talent
On ne parle pas souvent de cinéma dans l’Empaillé. On peut même reconnaître qu’on a tort d’en parler si peu. Et pourtant ils sont nombreux les films qui nous inspirent, et ces moments au creux des salles obscures (ou à la maison seul·e devant son écran) où on est touché en plein cœur. Alors cette fois-ci on a choisi de mettre sous le feu de nos modestes projecteurs deux documentaires réalisés par des camarades de longue date, actuellement projetés en salle.
Les fils qui se touchent,de notre ami marseillais Nicolas Burlaud, est une plongée dans les mécanismes de la mémoire. La mémoire individuelle du réalisateur, mise à rude épreuve depuis l’apparition récente d’une épilepsie foudroyante, qui s’entremêle avec la mémoire collective des habitant·es des quartiers populaires de Marseille, immortalisée grâce aux vingt-cinq ans d’archives vidéos du collectif de téloche de rue Primitivi (1) dont Nicolas fait partie depuis sa création. Un très beau documentaire plein de douceur et d’émotion pour ne pas oublier.
On est également transportés lorsque l’on plonge dans l’univers de Festa Major, le dernier film de l’ami Jean-Baptiste Alazard qui filme la fête annuelle de Fillols dans les Pyrénées-Orientales, le village dans lequel il vit depuis plusieurs années. Cinq jours essentiels et fédérateurs de danses, de rituels et d’ivresse que les habitant·es préparent tout au long de l’année. Un film plein de poésie et d’images sublimes qui donnent hâte de voir arriver l’été.
Les deux films sont encore en salle, alors n’hésitez pas ! Et puisque la vie dans les cinémas de ces films est malheureusement souvent trop éphémère, on compte sur vous pour prolonger le plaisir. Si vous souhaitez organiser une projection dans votre quartier, village ou lieu associatif, n’hésitez pas à contacter les réalisateurs.
Les fils qui se touchent : primitivi@no-log.org
Festa Major : jb.alazard@protonmail.com
1 : Voir « Primitivi : téloche de rue », l’Empaillé n°3
Cantairas caparrudas
Ou « chanteuses têtues », du nom du troisième morceau de Rojas, le nouvel opus de La mal coiffée, sorti en mars. Car ce quatuor s’entête à jouer pour transmettre l’énergie des luttes, du féminisme et de la culture populaire occitane. « Nous sommes les boiteuses à trois pattes, inassimilables, nous sommes les chanteurs à la jambe tordue, singuliers, à la dissidente dissonance, nous l’avons sous le nez notre Carmagnole ». C’est un mélange de polyphonie occitane et de différentes percussions, qui enchaîne passages a cappella lents et tristes, d’autres pleins de colère, d’autres encore pleins de fierté, d’énergie et de puissance sorties des cordes vocales des mal coiffées : Marie Coumes, Myriam Boisserie, Laetitia Dutech, Karine Berny, accompagnées par Laurent Cavalié (écriture et arrangements). Mais leur musique, c’est encore elles qui en parlent le mieux : « On la voudrait comme un pinceau pour colorer de ‘‘rouge-son’’ ce qui est invisibilisé : les histoires oubliées, les cultures méprisées, les individus niés mais aussi les initiatives alternatives à la morose fatalité du monde, les résistances joyeuses et les regards décalés. Elles sont rouges, rojas, les langues dominées, comme la nôtre, qui pourtant flamboient et ouvrent les consciences. » Rojas est produit par le label Sirventés, une coopérative qui réunit vingt-neuf artistes et technicien·nes du spectacle pour « donner vie à une culture localisée, transversale, militante et ouverte sur le monde ». Il n’y a plus qu’à les faire tourner, à acheter l’album ou à l’écouter sur bandcamp !
Rojas, La mal coiffée, Sirventés, mars 2025.
Sombre bilan de l’ingérence française en Afrique
17 février 2022, la France annonce le retrait de ses troupes au Mali suivi de peu de celles au Burkina Faso et au Niger. Un « redéploiement tactique » ou une mise à la porte ? En tout cas, ces départs mettent un terme quasi définitif à une série d’opérations lancées dix ans plus tôt. Serval, Sabre et Barkhane, ces trois déploiements d’ampleur visaient à « faire la guerre au terrorisme ». Dans une enquête très bien documentée, Raphaël Granvaud dissèque l’ambiguïté des mobiles de l’armée française. Derrière un « sauvetage » qui ne bénéficie en rien aux populations du Sahel, la France entendait sécuriser ses intérêts économiques et assurer un contrôle migratoire. Plus encore, l’armée française cherche, et ce depuis la fin de l’Empire, à rester aux yeux du monde une puissance militaire qui compte. Un positionnement néo-colonial dans une région qu’elle continue de considérer comme son pré carré. Ingérences, bavures, désinformation et paternalisme, tous les outils sont déployés par le « chevalier blanc » de la démocratie en Afrique. Chasser l’armée française devient dès lors une source de popularité pour les putschistes de tout poil. Et les groupes djihadistes du Sahel prospèrent plus que jamais. Plutôt que d’en finir avec la « repentance » comme le réclament les réac’, faisons tomber cette ignoble politique coloniale !
De l’huile sur le feu. La France et la guerre contre le terrorisme en Afrique. Raphaël Granvaud, Lux Éditeur, 2024.