Numéro 4 Régional

Autopsie d’un vomi contagieux – PasseZ votre chemin

Il est partout, dans toutes les bouches, sur tous les plateaux, dans chaque discussion moisie de PMU mal embouché. Et il paraît que son dernier bouquin se vend comme des petits pains. Du coup je me suis plongé dans la prose du Voldemort de la politique, celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, parce que, merde alors, ce serait lui faire trop d’honneur. Rapport d’autopsie.

Bordel. Je dois être maso. Je vois pas d’autre explication. Déjà au sein du mensuel CQFD je suis l’expert de ce genre d’exploration des territoires politiques battus par la houle brune. Je me suis ainsi farci avec les collègues un marathon de 25 heures de Cnews (1) et m’étais il y a quelques années noyé dans le marécage de Radio Courtoisie(2). Et là, qu’est-ce que je réponds quand Yvette vient me proposer de chroniquer pour L’Empaillé le dernier bouquin fangeux de celui dont le nom maudit est partout ? Bonne idée.

Texto.

Mais qu’est-ce qui tourne pas rond chez moi ?

La question brame dans ma tête alors que je sors le bouquin du sac à dos où je l’ai laissé macérer deux jours entiers – forte impression de transporter un rat mort sur le râble – et le regarde droit dans les yeux. Sur fond de drapeau tricolore, il m’assure que son pays n’a pas dit son dernier mot, nom d’un chien policier. Et il me dévisage les bras croisés, avec dans le regard et le faciès cette espèce de déliquescence de l’âme propre aux fachos irrécupérables, mêlant haine, délire de puissance et parano. On avait dit pas le physique, je sais bien, mais lui appelle forcément un commentaire de ce genre car tout dans sa posture rappelle la petite revanche du parvenu triomphant qui veut se venger de ceux qui dans la cour de récré lui piquaient ses goûters choco-REM.

Puis, le livre ouvert d’une main décidée, surgissent les mots, qui éclipsent sa gueule dans leur laideur. Et c’est très bien ainsi : on pourra pas m’accuser d’avoir privilégié la forme sur le fond, tant les deux sont hideux.

Multi-sauveur de la France

« J’ai pêché, je le confesse ». Si la première phrase a été moquée par ces nazes de l’émission Quotidien, ravis de déceler une faute de français (orthographiée ainsi, le mec confesse qu’il a été à la pêche), ce n’était pas pour la bonne raison. Car la vraie farce est ailleurs : dans sa posture faussement contrite. Qui annonce la suite de l’intro dans laquelle il sera question, assure-t-il, de prendre de la hauteur, de dire toute la vérité. À savoir : le mec est un chouïa orgueilleux. Il raconte ainsi qu’après son dernier bouquin il s’était vautré dans l’autosatisfaction : « Je me disais vaniteusement que j’avais tiré le pays de son déni ». Sauf que non, sacrebleu, le boulot n’était qu’à moitié fait. D’où ce bouquin où il rempile, animé par cette idée qui n’est plus une obsession mais bien davantage un genre de monozygotisme du raisonnement : « J’ai l’impression qu’aucun politique n’appréhende à sa juste mesure l’enjeu : la mort de la France telle que nous la connaissons. ». Et puisque certes il l’a déjà dit mais que, malgré son immense aura dégoulinante, l’hexagone n’en a pas été durablement régénéré, il veut passer la vitesse supérieure. L’occasion pour lui de citer son fiston adorateur : « Le diagnostic tu l’as fait. Maintenant il faut agir. »

Armé de cette conviction martiale, l’admirateur de Pétain aux joues flasques se met alors en marche tel un maréchal teuton sous amphét’ fonçant en tank sur les Ardennes, animé par cette détermination à combattre la décadence française qui vrombit dans son petit cerveau obsédé. Pour triompher, il a une arme imparable : les déjeuners et dîners dans des restos chics. Car c’est ainsi qu’il s’insurge : en sautant de restos en restos, comme une puce mondaine. Et c’est là que son bouquin est clairement fascinant. Non pas dans son diagnostic politique, resucée mal digérée des vieux tromblons nationalistes moisis Maurras, Drumont & co, sénilité argumentaire qui ferait presque pitié si on ne connaissait pas l’influence dudit penseur, mais dans la pratique du politique qu’il met en avant – laquelle consiste essentiellement à bouffer avec les potes influenceurs du game fascistoïde.

La grande bouffe

Son pauvre livre médiocre court de 2006 à 2021. Il est constitué d’extraits paresseusement adaptés des diverses pensums ronflants qu’il a scribouillé tout au long de cette période en se prenant pour un combattant. Une succession de saillies ébouriffantes de vide. Hormis quelques lourdes critiques de films trop universalistes à ses yeux, il n’y a rien d’autre que cela : des agapes avec les élites – soit réactionnaires de souche, soit virant brun – qu’il raconte comme d’héroïques maquis du Vercors, fier et boursouflé. À chaque virée au bistrot chic, il palabre, s’écoute, se trouve génial. Car de source sûre, lui, il a toujours le bon mot. Le bon diagnostic. La bonne intuition de ce qui ronge la France. Et ça marche selon lui avec tous ses interlocuteurs, lesquels repartent illuminés par tant de finesse et de courage.

La liste est triste comme un jour sans pain dans sa gueule : la girouette socialiste Dray. Le macroniste Minc. Les vieilles ganaches sarkozystes Guaino et Buisson. Sarkozy himself. Pasqua-la-matraque. Le théoricien du « grand remplacement » Renaud Camus (un « résistant ») ». Le Pen père. Dupont-Aignan. Wauquiez… Un pur who’s who de la veulerie politique à tête de flétan.

Cette valse des rencontres dînatoires de type poignée-de-main-à-Montoire n’a apparemment pas de fin, puisqu’elle se continue à l’heure actuelle avec des chefs d’entreprise et politiques censés nourrir sa future campagne. Elle est en tout cas indéniablement, avec les plateaux télé, le centre de son existence, sa seule connexion avec autrui, sa manière de diffuser son virus. On ne peut imaginer plus déconnecté de ce peuple auquel il se réfère parfois (et dont il ne croise qu’un genre de représentants : les chauffeurs de taxis et d’Über). Et plus éloigné de toute forme de diversité. Car ses interlocuteurs sont tous les mêmes : des mâles blancs et puissants, peu ou prou interchangeables, barbotant tous dans ce marigot de rumeurs et de rancœurs qu’est le tout-paris politico-médiatique. Son seul talent : nager dans cette mare avec délice. Le crocodile de la brune tentation.

Mâle à la tête

Émerge aussi de ces pages une dimension très pathologique. Pour le dire autrement : le mec est dangereusement siphonné. Notamment dans son rapport aux femmes, envers qui il adopte une rhétorique misogyne XXL. Hormis Marine le Pen décrite en capitaine falote dépassée par les événements et la toute-puissante productrice d’émission Catherine Barma, elles n’existent pas comme des égales, même pas des adversaires, mais sous forme de jolis bibelots qui doivent rester à leur place, car congénitalement inférieures (3). En fait, il n’y a dans son bouquin que deux manières d’être une femme véritable. Soit avoir de belles et longues jambes découvertes qu’il peut admirer pépouze de la terrasse des bistrots. Soit être membre de l’hydre féministo-hystérico-racisée qui fait tant de mal à sa Rance. Dans les deux cas, le physique passe au premier plan. Alors que ses camarades de dîner grassouillo-républicains ne sont jamais décrits par leur pourtant peu ragoûtante apparence, cette deuxième catégorie n’est ramenée qu’à cela. Rokhaya Dialla « au regard buté et mauvais ». Assa Traoré et sa menaçante « tignasse de jais ». Happatou Sy (que lors d’une récente émission il voulait rebaptiser Corinne parce que son prénom serait une insulte à la France), « la jolie jeune femme noire aux cheveux longs frisottés ». Jusqu’aux femmes de loi officiant dans l’un de ses procès, tancées pour leur « laisser-aller » et leur « manque de goût ». Soyez belles pour celui qui estime qu’ « il y a une malédiction féminine qui est l’envers d’une bénédiction » (Le Premier sexe, 2006), Mesdames, et fermez votre gueule.

Le temps des cathédrales

L’autre figure convoquée avec obsession, c’est évidemment celle de l’étranger venu saborder la France et ses traditions. On connaît sa rhétorique, la même que celle des « théoriciens » du grand remplacement. Et on peut en résumer l’intrinsèque puanteur dans le récit qu’il fait de deux événements distincts.

Il y a d’abord la publication de la photo d’un enfant exinoyé en Méditerranée sur la route de l’Europe durant l’été 2015, Aylan, qui, un temps, a secoué l’apathie occidentale en la matière. Sa réaction : il est outré par le fait qu’on « ne peut pas y échapper ». Et il voit en ce cadavre une forme de cheval de Troie, un envoyé du mal : « La méthode s’est inversée, mais l’objectif reste le même : servir une invasion et un asservissement des peuples qui se laisseraient circonvenir. » Voilà. Il regarde la déchirante photo d’un enfant mort et il ne voit qu’une chose : l’avant-garde des hordes « barbaresques » venues islamiser l’Europe.

Et puis, à l’autre bout de son spectre, il y a ce moment où il admet une forme de sensibilité. C’était il y a quelques années, quand un bout de la cathédrale Notre-Dame a cramé. Et il l’avoue franco de porc : bordel, il a chialé. Dignement, bien sûr, mais de vraies larmes.

Cet homme est ainsi : plus sec qu’une pierre face à l’humain dans ce qu’il a de plus vulnérable, attendri face aux vieux fantômes cagneux du patrimoine.

« Symptôme morbide »

D’autres immondices hissent leur gueule au fil de la lecture. Macron qui lui aurait demandé une « note » sur l’immigration. Des phrases aussi pétées que « La mediapartisation des esprits est le cancer de notre République agonisante ». Une vision toute personnelle de l’affaire DSK, qui serait en fait équivalente à la « castration de tous les hommes français », avec une puissante analyse : « Le séducteur est devenu un violeur, le conquérant un coupable. » Son angle unique, absolu, la « guerre des civilisations menée sur notre sol ». L’indigence absolue des analyses et raisonnements. Mais la nausée guette. Et l’utilité du passage en revue exhaustif se délite.

Car tout dans ces pages est de cet acabit. Réactionnaire. Raciste. Misogyne. Stupide. Poussiéreux à l’extrême. Bas de plafond. Très Hubert de la Bath, au fond, cet OSS 117 qui ramène tout à la « France du Général » – qu’il aurait ripoliné d’une forme aiguë de délire fasciste. Il y a sans doute beaucoup à dire sur la construction d’une telle non-pensée, sur cette défaite bipède de l’idée d’humanité et il y a paraît-il une biographie récente, Le Radicalisé d’Etienne Girard, qui le fait très bien tout en détaillant un pan important du continent Voldemort, son réseau – de sa jeune conseillère de l’ombre Sarah Knafo énarque à la galaxie catho-souverainiste pétée de type De Villiers qui jubile face à ses outrances. Reste qu’à la lecture on est vite frappé par l’aspect profondément caricatural de ses thèses et soi-disant fulgurances. Comme le dit le camarade Ugo Palhetta dans Contretemps (4): « L’énigme c’est qu’un personnage aussi médiocre puisse à ce point occuper le devant de la scène médiatique et bousculer le jeu politique d’une des principales puissances capitalistes. » Et de résumer cette émergence aux allures de triomphe médiatique par un emprunt à ce Gramsci qu’aime tant piller l’extrême-droite : « [C’est] un symptôme morbide. »

Enrayer l’immonde

Confronté à cette déferlante de stupidités morbides, il n’y a au fond qu’une interrogation qui tienne : comment enrayer leur diffusion ? Et ce corollaire : pour mieux l’affronter, faut-il en parler ou bien l’ignorer ? Dans un article du quotidien israëlien Haaretz(5), la question est ainsi posée : « Est-ce qu’on doit encore discuter de lui ? Selon certains critiques, il faudrait s’abstenir. Écrire sur lui, aussi critique puisse être la perspective, c’est lui donner ce dont il raffole le plus : de l’attention. »

La pantalonnade de son affrontement télévisé survendu avec Mélenchon le 23 septembre a en tout cas secoué le panier d’extrême-gauche, ceux qui estiment qu’il faut l’affronter dans l’arène médiatique et ceux qui rétorquent que toute tentative en ce sens sur une chaîne de type BFM ne peut que nourrir le monstre. « Comment imaginer que se soumettre aux dispositifs médiatiques dont il est un pur produit pourrait contribuer à le combattre ? », estime le sociologue Geoffroy de Lagasnerie dans un récent article de Mediapart(6). Et d’ajouter : « C’est juste alimenter la scène et le dispositif qui l’alimentent. »

J’en ai parlé avec quelques amis il y a peu. On n’était pas forcément d’accord. Pour Yvette, à l’origine de cet article, il y avait urgence à le désarçonner : « Il faut le défoncer ». Une ligne d’attaque qui ne faisait pas l’unanimité : « Taper sur la merde, ça éclabousse », estimait l’amigo Juan. Mais les présents ce jour-là étaient plus ou moins d’accord pour dire, selon la formule d’Yvette, que c’est « un écran de fumée, l’arbre qui cache la forêt. »

Car, évidemment, ledit virus n’avance pas seul, solidement inséré qu’il est dans un système médiatique penchant de plus en plus vers l’outrance, le clash, à la pêche des bons clients fachos. Pire, ainsi que le rappelle Ugo Palhetta dans l’article de Contretemps déjà cité : « Ce n’est pas qu’un artefact médiatique et sondagier ; il représente aussi pour certaines franges de la bourgeoisie une possible solution de rechange. » Et d’en tirer le constat qui selon lui s’impose : « L’ignorer n’est malheureusement pas une option pour les anticapitalistes et les mouvements sociaux. Si celui-ci est bien le produit de deux décennies au moins de transformations politiques et idéologiques, et en grande partie un monstre créé de toutes pièces par les médias dominants, il est à présent un acteur central de la fascisation, qu’il nous faut impérativement combattre en tant que tel.(7)»

C’est ici que débarque en vrombissant la conclusion qui s’impose, et paraphrase la précédente citation : le critiquer ne suffira pas. Occulter son discours ou son patronyme non plus. Et contrairement à lui, injustice flagrante, on ne consolidera pas notre position politique en enchaînant les dîners chics. En conséquence de quoi il va falloir se retrousser les manches, dans la rue et partout où s’agitent les nouveaux bruns. Le « Toi qui entre ici, abandonne tout espoir » de la Divine Comédie s’adapte fort bien à la lecture de la prose de ce morbide Voldemort, et le monde qu’il convoque ne constitue pas, à l’évidence, un horizon des plus désirables.

Pour bifurquer, il faudra rétorquer.

Emilien Bernard – Texte : Foolmoon

(1) « Marathon CNews : 25 heures en enfer cathodique », CQFD n° 192, novembre 2020.

(2) « Les Zombies de radio courtoisie », CQFD n° 160, décembre 2017.

(3) Propos déjà développé dans un de ses précédents ouvrages vomitifs, Le Premier sexe (2006), dans lequel il pique pas mal des fonds de tiroir d’Alain Soral sur la question.

(4) « De quoi Voldemort est-il le symptôme morbide ? », 11/10/21

(5) « Voldemort Isn’t France’s Donald Trump. He’s Far Worse », 25/10/21.

(6) « Les intellos de gauche phosphorent sur la ‘voldemorisation’ des esprits », 23/09/21.

(7) À toutes fins utiles, mentionner que le même Ugo Palhetta vient de sortir avec Ludivine Bantigny un petit livre fort utile et précieux, Face à la menace fasciste, Textuel.