Numéro 14 régional

À Foix, la santé est une question politique

Construire un centre de santé dans lequel des soignant·es, des professionnel·les du social et des patient·es réinventent ensemble un système de soins plus efficace et horizontal, c’est le pari que s’est lancé l’Association de Santé communautaire ariégeoise (ASCA).

Partons à la rencontre d’un projet que l’on aimerait voir essaimer partout.

Pouvez-vous commencer par présenter votre équipe?

L’ASCA est une association créée il y a deux ans dans le but de faire exister un centre de santé communautaire sur les communes du bassin de Foix. Aujourd’hui, l’équipe compte onze personnes, majoritairement des femmes cisgenres, mais il y a également un homme cisgenre, et une personne non-binaire. Nous sommes deux médecins généralistes, deux kinésithérapeutes, une sage-femme, une infirmière, une psychothérapeute, une conseillère conjugale et familiale, une travailleuse sociale spécialisée et une thérapeute manuelle. Nous vivons en Ariège et nous y exerçons nos métiers.

Nous partageons un militantisme et un engagement politique à plusieurs endroits, notamment le féminisme et certaines d’entre nous ont été actives au Planning Familial.

Qu’entendez- vous par « santé communautaire »? Quelle est la communauté à laquelle vous vous adressez ?

Dans notre cas, la communauté première est celle des habitant·es de Foix. Mais on peut aussi faire communauté autour d’un vécu social particulier, cela peut être la communauté des précaires par exemple ou celle des femmes. Une communauté peut s’articuler aussi autour d’une condition de vie, par exemple d’une maladie. Quant à la santé communautaire, c’est une manière globale de voir la santé, donc de croiser les regards médicaux et sociaux et d’intégrer la question des inégalités sociales de santé, en les prenant en compte dans la démarche du soin.

Le but est de placer les usager·es au centre, pour identifier leurs besoins en santé et trouver des leviers pour améliorer cette dernière. C’est pour cela que, même avant d’avoir des murs, on a procédé à un « diagnostic de territoire » pour comprendre comment se structure l’offre de santé à Foix. On a travaillé avec deux sociologues, on a fait des entretiens avec des praticien·nes de santé, des personnes qui travaillent dans le social et médico-social, ainsi qu’auprès des usagèr·es de santé. De plus, comme on pratique déjà toutes en Ariège, on a fait de l’auto-analyse de nos propres pratiques. Et on a relevé plein de choses !

Alors justement, qu’est ce qui ressort de ce diagnostic ?

En France, le système de soins actuel est dans un état catastrophique et la situation s’est encore détériorée depuis le Covid, Pour les praticien·nes, il devient vraiment difficile de faire son boulot correctement que ce soit en libéral ou en salariat. Pour les patient·es, réussir à avoir des rendez-vous avec des médecins généralistes ou spécialistes est un problème récurrent qui complique les situations personnelles (allongement de durée d’arrêt de travail, pertes de revenus), et qui souvent chronicise la pathologie. Le renvoi vers le privé avec dépassement d’honoraires devient monnaie courante.

Foix se situe dans l’une des communautés d’agglomération les plus favorisées d’Ariège, en terme de densité médicale, mais ce n’est pas le reflet de l’accessibilité réelle aux soins. Il y a toujours 8600 patient·es qui n’ont pas de médecin traitant. Et puis, la situation risque de fortement se dégrader dans un futur proche puisque sur les 29 médecins généralistes libéraux que compte l’agglomération, 11 ont plus de 60 ans et vont partir à la retraite. On manque aussi beaucoup de spécialistes.

Dans notre enquête, on voit l’émergence de plusieurs problématiques particulièrement présentes sur le territoire de Foix, à commencer par les questions de santé mentale. L’offre de psychiatrie et de pédopsychiatrie est sous-dotée (15,1 pour 100 000 habitant·es contre 22,4 en Occitanie), les capacités d’hospitalisation partielle ou complète en psychiatrie dépendent du centre hospitalier Ariège-Couserans (CHAC), à 45 minutes de voiture, et ne sont pas très étoffées.

La question des violences sexistes et sexuelles est également très présente. Le département enregistre le taux de violences sexuelles faites aux femmes le plus important de France pour 1000 habitant·es(1). On voit également beaucoup de demandes autour des questions qui concernent les enfants et la parentalité.

Maintenant, la prochaine étape est de faire un « diagnostic communautaire », c’est-à-dire d’engager les personnes dans un processus participatif et collectif, avec des ateliers et des groupes de parole pour faire émerger leurs besoins spécifiques. On va également se rapprocher encore plus de structures que l’on a rencontrées lors d’entretiens, comme le centre social du quartier du Courbet.

Concrètement, comment souhaitezvous faire fonctionner votre centre ?

Le principe d’un centre de santé est de faire du soin de premier recours, donc il faut, comme socle, de la médecine générale, avec au moins une personne du paramédical. Il est indispensable de remplir ce cahier des charges. Mais la démarche communautaire y ajoute des assistantes sociales, des éducateurs et aussi de la médiation en santé pour faciliter l’accès au soin à des personnes qui sont dites « loin du soin ». La plupart du temps, il existe un cloisonnement entre le champ du médical « pur » et celui du médico-social. Lorsque le lien n’est pas établi entre les différentes structures, les personnes se retrouvent souvent en errance. En d’autres mots, ce sont toutes les situations où l’on ne trouve pas de solutions qui soient bonnes car les personnes sont prises en charge de manière parcellaire. Par exemple, imaginons une patiente avec une hernie discale invalidante qui est la seule aidante de ses parents dépendants et précaires. Dans cette situation, tu peux arranger ce que tu veux pour la hernie, mais s’il te faut six mois pour un rendez-vous chez un spécialiste et des allers-retours à la ville pour se soigner alors, pendant ce temps on fait quoi des parents ? On fait quoi de la totalité de cette situation ?

Un centre de santé communautaire c’est une équipe pluridisciplinaire dont les différents acteurs et actrices coopèrent, mettent en commun leurs savoirs et leurs expériences complémentaires. Cela permet d’offrir un accompagnement plus complet aux personnes, avec des regards croisés et plus de solutions afin leur permettre de décider pour eux-mêmes. Et puis, il ne faut pas ignorer qu’il y a souvent un rapport de domination entre praticien·nes de santé, et entre les praticien·nes et usager·es. Nous, notre but, c’est d’atteindre l’horizontalité dans les pratiques.

On imagine aussi intégrer dans notre démarche des travailleurs-pairs, des gens qui vont avoir un « vécu de parcours ». Ce sont des personnes non-professionnelles mais qui, grâce à leur expérience, sont proches des usager·es et qui vont occuper une place dans l’accueil et l’accompagnement. Cela se fait déjà parfois en addictologie, en oncologie ou pour des publics minorisés.

Mais comment mettre sur pied un projet comme celui-ci ? Cela semble vertigineux en terme d’investissement financier, et puis encore faut-il trouver un lieu… Vous êtes soutenu·es par les pouvoirs publics ? Vous prenez exemple sur d’autres initiatives existantes ?

On a la chance d’être accompagnées dans le montage du projet par le réseau des centres de santé communautaire(2). Les structures de ce réseau qui nous inspirent sont la Case de santé à Toulouse, le Village de santé à Échirolles et le Château en santé à Marseille… Nous regardons attentivement leur fonctionnement mais nous devons créer quelque chose d’assez différent car ce sont des structures de quartier implantées en zone majoritairement urbaine, ce qui n’est pas notre cas. On est également en train de se rapprocher d’une équipe à Quillan dans l’Aude qui tente de monter quelque chose de similaire.

Il n’existe pas de financement clé en main pour faire exister un centre de santé. La plupart sont financés via des fonds privés ou des emprunts à la banque. Nous, on essaye de voir dans quelle mesure on pourrait avoir l’appui des pouvoirs publics locaux pour avoir accès à du foncier. Pour l’instant, on n’a pas eu une réception hyper-favorable de la part de la mairie de Foix. Pourtant on a repéré des bâtiments qui pourraient être intéressants, car notre projet nécessite quand même pas mal de mètres carrés, mais comme on n’a pas de fonds propres, c’est problématique. Alors, on cherche des financeurs et on va continuer à faire connaître notre projet. On a demandé des subventions pour mener à bien le diagnostic communautaire mais pour l’instant tout notre travail est bénévole. Cela implique que certain·es d’entre nous se mettent à temps partiel, et que l’on continue à porter ce projet tout en exerçant notre profession en libéral en même temps, ce qui peut nous mettre sous tension. Cela fait quatre ans que l’on y travaille ! Mais malheureusement, ce genre de projet n’existe que grâce à la détermination et au militantisme, parce qu’on a vraiment envie de voir émerger ce lieu et qu’on a envie de travailler dans ce cadre-là.

On imagine que les salaires, ça va être aussi le nerf de la guerre…

Financer les salaires de tous et toutes est l’une des grandes complexités lorsque l’on monte un tel projet. Pour les professionnels du médical, il y a le financement par le remboursement des actes par la CPAM. Les postes de coordination d‘équipe sont également financés. Mais là ou cela pèche, ce sont les financements pour le travail social, l’accueil, l’interprétariat, etc. Les centres de santé communautaire en France (il y a en plus d‘une dizaine) fonctionnent sur le modèle économique des centres classiques. Donc toute la part de leur activité qui fait la richesse de cette approche, c’est à dire le temps de concertation entre les salarié·es, de l’accueil, d’un poste de psy ou d’assistante sociale na pas de financement ! Il faut en permanence répondre à des appels à projets, fonctionner avec des subsides temporaires. C’est problématique car les dynamiques à long terme doivent être tenables. Depuis quelque années, il y a une expérimentation de la Sécu qui est faite au niveau national qui s’appelle SECPA (Structure d’exercice coordonnée participative), et qui voudrait tendre à inscrire le modèle des centres de santé dit « participatifs » dans un modèle économique pérenne, en intégrant la prise en charge de la médiation et l’accueil psy notamment.

Et puis, les retours que l’on a sur ces expériences ont démontré que la démarche de santé communautaire est largement profitable, y compris au niveau financier pour le système de santé !

Aussi, lorsque nous serons en poste, l’idée sera de tendre vers une égalité salariale ; on ne sait pas encore s’il y aura une égalité stricte, mais on voudrait essayer a minima de lisser la grille des salaires pour respecter notre envie d’horizontalité dans l’équipe et de ne pas poser de hiérarchie entre nous.

Comment vous allez prendre soin de vous en temps qu’équipe ?

C’est important quand on travaille dans le soin, d’essayer d’être attentif à ne pas tout le temps se dépasser. Il va falloir s’en tenir au volume horaire de travail, ce qui veut dire penser à y intégrer les différentes activités, même les moments de sociabilité, que ce soit du temps qui soit prévu. Prendre soin de nous, de notre charge mentale et émotionnelle, savoir appréhender les situations qui nous impactent et nous affectent. Certes, l’équipe sera structurée avec des salarié·es, mais le but est que chacun·e puisse se saisir du lieu pour s’entre-accueillir ainsi que pour porter des idées et des initiatives en intégrant la gouvernance du centre de santé. Pour l’instant, on imagine une structure tripartite, avec un collège d’usager·es, un collège de salarié·es et un collège de structures partenaires et de soutien. Et puis, au niveau de l’espace, ce qui est intéressant, c’est qu’il y aura différents endroits du bâtiment qui pourront être investis par des personnes sans l’accompagnement de professionnels, comme lorsque les groupes de pairs se retrouvent sans nous, et c’est le but aussi : de laisser les choses se faire. On imagine un espace d’accueil qui sera aussi un espace de sociabilité, où l’on pourra passer boire un café et venir discuter, que ce ne soit pas juste un guichet mais un espace circulant, un endroit familier et accueillant.

Vous êtes une grande majorité de femmes à porter ce projet, est-ce que c’est inéluctable dans le monde du soin ?

Et oui, c’est un « classique » dans la santé, où l’on retrouve beaucoup de personnes minorisées… enfin bien sûr cela dépend de l’échelle hiérarchique professionnelle ! Notre approche féministe nous amène à regarder en face la question du care, du travail du soin dans sa globalité et pas seulement depuis une place professionnelle, et à vouloir lui donner de la valeur. En reconnaissant, par exemple, que les aidantes de personnes malades, celles qui aident à faire les courses, à maintenir les espaces domestiques propres sont majoritairement des femmes et qu’elles aussi ont besoin de soutien, et que cela va ressortir dans ce qui pourra être mis en place au sein du centre. Par ailleurs, notre regard féministe nous fait inévitablement creuser la question des violences sexistes et sexuelles dans nos cabinets ; c’est un déterminant majeur influant sur la santé de manière profonde et durable. Il y une grosse corrélation avec les troubles de santé mentale, physique et les conduites à risque, et c’est une question d’ampleur en Ariège. On aimerait, bien sûr faire de la prévention des violences au sein du centre, avec l’animation d’ateliers d’autodéfense, de groupes de parole ou dans les consultations avec les mineur·es. Les personnes LGBTQIA+ vivent plus de violences que les autres et visibiliser cela est important pour faire savoir qu’il peut y avoir un lieu d’accueil spécifique. D’ailleurs, notre première formation commune d’équipe en 2022 a été sur l’accueil des personnes trans auprès de l’ASQF (2). Pour conclure, on va dire qu’on a hâte de voir naître ce lieu mais que, pour cela, on a encore besoin de soutien, notamment financier, n’hésitez pas à nous contacter si vous avez des pistes !

Pour les contacter: centresanté09@protonmail.com

* Merci à Maria, Pauline et Zoé de Radio Kipik à Saint Girons pour leur interview des membres de l’ASCA qui a servi d’inspiration pour ébaucher cet article.

1 : Service départemental de la communication interministérielle, Ariège : « Bilan délinquance & sécurité routière 2020.

2 : www. reseau-cdsc.fr/qui-sommes-nous

3 : Association pour le soin queer et féministe, basée à Toulouse depuis 2019.

Propos recueillis par Chispa / Illustration : N.Tagliatelles