Sahara occidental libre !
D’Ivry-sur-Seine à Kenitra, au Maroc, la Marche pour la liberté s’est donné pour objectif de faire connaître la cause du peuple sahraoui et d’obtenir la libération des prisonniers politiques détenus dans les geôles marocaines. Reportage lors de l’étape toulousaine, du 17 au 20 avril.

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est reconnu par l’ONU comme territoire à décoloniser. Il est occupé illégalement par le Maroc depuis l’invasion de 1975, qui a contraint un grand nombre de Sahraoui·es à se réfugier dans la région désertique de Tindouf, en Algérie. Dans le territoire occupé, véritable colonie de peuplement où les Sahraoui·es sont maintenant très minoritaires, la monarchie marocaine pille les ressources dans l’illégalité et mène une répression féroce contre les revendications du droit à l’autodétermination.
En octobre 2010, plus de 20 000 Sahraoui·es décident de camper à Gdeim Izik, à proximité de Laâyoune, la capitale du territoire occupé, pour exiger le respect de leurs droits. Quatre semaines plus tard, le « campement de la dignité » est saccagé dans un déferlement de violence de l’armée royale marocaine, causant plusieurs morts1. Vingt-quatre militants sahraouis sont condamnés par le tribunal militaire de Rabat à des peines de prison allant jusqu’à la perpétuité. Au total, ce sont 32 prisonniers politiques sahraouis qui sont actuellement incarcérés au Maroc2. Parmi les prisonniers du « groupe de Gdeim Izik » se trouve Naâma Asfari, condamné en 2013 à trente ans de réclusion3. Depuis, Claude Mangin, son épouse, mène un combat opiniâtre pour sa libération et celle de tous les prisonniers politiques sahraouis. Face à l’échec de ses recours, elle décide d’organiser une marche d’Ivry à Kenitra (où sont incarcérés son mari et cinq de ses camarades) en passant par l’Espagne, en deux mois et une vingtaine d’étapes. Six personnes constituent le noyau de ce convoi : Claude Mangin, Brahim Sidha et Limam Bah (journalistes sahraouis d’Equipe média4), Jacqueline Fontaine (présidente de l’Association pour la promotion de la francophonie) et Elli Lorz (photographe). Connaissant mon intérêt pour la cause sahraouie5, les organisatrices m’ont invité aux événements de l’étape toulousaine.
Un conflit colonial qui dure depuis cinquante ans
Jeudi 17 avril. En entrant dans le hangar de la Cépière, une salle associative toulousaine, je suis d’emblée saisi par les portraits des trente-deux prisonniers politiques accrochés le long des murs. Drôle d’effet de regarder ces hommes l’un après l’autre dans les yeux et de lire en bas de l’affiche : condamné à vingt ans, à trente ans, à perpétuité.
Ce soir, une cinquantaine de personnes ont répondu à l’appel, des familles sahraouies de Toulouse et de Montauban, des personnes qui ont un lien fort avec cette cause, ainsi que des militant·es anticoloniaux que l’on voit défiler le samedi en soutien à la Palestine. Sur l’estrade est installée une longue table habillée de drapeaux sahraouis, derrière laquelle prennent place les cinq « marcheur·euses ». Sur un panneau, on peut lire : « Mohammed VI, Donald Trump, Pedro Sanchez6, Emmanuel Macron : respectez le droit international ». Actuellement, ce sont eux les principaux responsables de la non-résolution de ce conflit colonial qui dure depuis cinquante ans. « Alors qu’il s’agit d’un problème simple, comme le rappelle Claude : un peuple et un territoire sur des frontières coloniales ». « Un beau gâchis ! » conclut-elle.
Un black-out médiatique imposé par le Maroc
Vendredi 18 avril. Ce matin, pour la conférence de presse à la Bourse du travail, la vingtaine de chaises prévues pour les journalistes restent vides. En revanche, un conseiller régional communiste (Pierre Lacaze), et un député La France insoumise (Hadrien Clouet) ont répondu présent. C’est la première fois depuis le début de cette marche que des élus se déplacent.
Nura, une lycéenne qui réside non loin de Toulouse, entreprend de les briefer sur la situation politique et économique au Sahara occidental. Son exposé, parfaitement clair et sans l’ombre d’une hésitation, mériterait de passer sur une chaîne nationale pour éveiller les consciences de nos concitoyens. Lorsqu’elle a fini, je lui pose quelques questions. Nura est née en Espagne et sa famille a déménagé en France en 2014. Comme tout élève de terminale qui souhaite poursuivre ses études, elle a fait ses vœux sur Parcoursup. Je lui demande si elle compte vivre au Sahara occidental le jour où son peuple aura obtenu son indépendance. « Ce sera une décision difficile pour nous, les enfants de la diaspora », me répond-elle avec beaucoup de franchise. La seule fois où elle y est allée, elle avait deux ans et n’en a aucun souvenir évidemment. Sa vie est ici.
Puisque nous avons des élus sous la main, autant ne pas les lâcher ! Cette fois c’est Brahim Sidha qui prend la parole. Limam Bah et lui font partie d’Equipe média, une agence de presse sahraouie dont la vocation est de briser le black-out médiatique imposé par le Maroc au Sahara occidental7. Les journalistes8 subissent une terrible répression : Hassan Dah, un des co-fondateurs d’Equipe média, a été condamné à vingt-cinq ans de réclusion. Mohamed Lamin Haddi, condamné à la même peine, est dans un état critique. Brahim, lui, a été arrêté cinq fois et contraint à l’exil de peur de connaître le même sort que ses collègues. En 2016,cette agence de presse a réalisé un documentaire Three stolen cameras9 qui montre à la fois la réalité de la résistance et les conditions dans lesquelles les journalistes exercent leur métier au Sahara occidental.
La jeunesse sahraouie mobilisée
Samedi 19 avril. À 11 heures, au métro Jean-Jaurès, nous sommes une grosse centaine de personnes. Je salue l’équipe des marcheur·euses et Jacqueline en profite pour me confier un prisonnier. Enfin, son portrait sur un panneau. Ainsi je fais connaissance avec Brahim Laaroussi, un ado ou très jeune adulte (d’après la photo) condamné à quatre ans de prison et dont je ne saurai rien de plus car personne ici ne le connaît.
Aujourd’hui, les femmes ne sont pas les seules à porter la tenue traditionnelle : quelques hommes portent le draâ, longue tunique blanche ou bleu ciel, et le chèche. Ce ne sont pas eux qui prennent la parole, mais une autre enfant de la diaspora, Nabila, infirmière récemment diplômée et représentante de la jeunesse sahraouie de Toulouse et Montauban, une association culturelle, sociale et politique. Elle se fait le porte-voix « d’une génération qui a hérité de l’exil, de la souffrance et de la résistance, mais aussi de l’espoir et de la dignité ». Et avec une belle détermination, drapée dans les couleurs sahraouies, elle clame : « Assez de silence complice, assez de répression, assez d’impunité ! Libérez les prisonniers politiques sahraouis ! Respectez le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination ! Sahara libre maintenant ! » Son discours s’achève sous les ovations.
Un immense drapeau sahraoui est déplié, sur lequel les mômes se précipitent joyeusement pour en tenir un bord. Le cortège se met en route le long des boulevards en scandant « Une seule solution arrêter l’occupation ! » et « De Toulouse à Laâyoune : Résistance ! Résistance ! ». C’est le week-end de Pâques, le centre-ville de Toulouse est bien vide. Arrivés à Arnaud-Bernard, il commence à pleuvoir. Mohamed Zerouali, le représentant du Front Polisario10 en France, fait un petit discours dans lequel il exprime la gratitude du peuple sahraoui et rappelle que tous les présidents français depuis 1975 ont soutenu le Maroc. Emmanuel Macron, le dernier en date, s’assoit purement et simplement sur le droit international en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental11. De retour chez moi, je contacte mes informateur·ices sahraoui·es au sujet de Brahim Laaroussi. La réponse arrive peu de temps après sous la forme d’une vidéo postée sur Facebook, où l’on voit Brahim embrasser sa famille à sa sortie de prison. Ce dont je me réjouis.
Écrire aux prisonniers
Dimanche 20 avril. En arrivant au Hangar de la Cépière, en début de soirée, j’informe Claude de la libération de Brahim Laaroussi, dont le portrait est toujours présent parmi les autres prisonniers. Visiblement, mes questions de la veille ont fait leur chemin et je ne suis pas le premier à lui signaler. « Ils pouvaient pas nous le dire quand on préparait !? » s’agace-t-elle, et pour clore le sujet, elle attrape le panneau de Brahim et le retire de la galerie des emprisonnés. Quelqu’un lâche : « C’est pas grave, ça resservira ! » et je ne peux m’empêcher de rire à cette réflexion typique de l’humour sahraoui.
La soirée commence par une petite pièce de théâtre, Les voix du Sahara occidental, écrite par Nabila et jouée par de jeunes personnes, françaises et sahraouies, qui ont visiblement pris du plaisir à répéter ensemble. En une dizaine de minutes on y voit, comme dans un film en accéléré, une manifestation pacifique à Laâyoune pour réclamer le droit à l’autodétermination et sa violente répression par les forces de sécurité marocaines, l’incarcération des manifestant·es, un simulacre de procès et des condamnations à des peines de prison délirantes.
Puis nous passons à l’atelier d’écriture de lettres aux prisonniers (cf. dernière page). Claude rappelle le double rôle de cette opération : leur soutenir le moral et montrer au Maroc qu’ils ne sont pas oubliés. De grandes tables sont installées sur lesquelles les organisatrices posent des piles de feuilles vierges, des stylos et des enveloppes. Je choisis d’écrire à Khatri Dadda, un jeune journaliste condamné à vingt ans de prison, à qui j’envoie une pensée fraternelle en attendant le jour où il sera libéré. Une fois terminé, je vais déposer ma missive dans le grand sac en toile de jute déjà rempli au tiers. En circulant entre les tables, je constate que les enfants sahraouis, plutôt que de dessiner des maisons et un soleil, dessinent leur drapeau avec l’étoile et le croissant rouges.
Nous nous mettons en cercle pour les dernières prises de parole et lectures. Difficile d’obtenir des témoignages personnels de Sahraoui·es, les discours politiques sortent plus volontiers. Plusieurs femmes déclinent l’invitation en dissimulant leur visage derrière un pan de leur voile et en gardant la tête résolument tournée, mais l’une d’elle se lance courageusement. En quelques phrases, elle raconte la difficulté et la souffrance de l’exil et conclut en disant : « C’est plus dur d’être Sahraouie en France qu’en Espagne ». Pendant ce temps, une dizaine d’enfants jouent silencieusement sur l’estrade. Une gamine a attrapé un drapeau et, consciente de l’importance de ce geste vu en manif, elle fait flotter les couleurs sahraouies pour animer le fond de la salle. Les graines de la relève sont semées.
Épilogue
Samedi 31 mai. Après un mois et onze étapes le long de la côte méditerranéenne de l’Espagne, où les marcheur·euses ont rencontré un public plus nombreux et globalement mieux informé, le convoi arrive à Tarifa pour prendre le ferry, accompagné d’une centaine de Sahraoui·es et d’Espagnol·es. Malgré les consignes, les youyous retentissent pour leur souhaiter bon voyage. Hélas, celui-ci sera de courte durée, la douane marocaine, présente sur le bateau, refusant de leur délivrer le tampon d’entrée au Maroc. Retour à Tarifa, donc, par le même bateau et fin de ce voyage de plus de deux mois. Jacqueline avoue sa déception : « Tout ça pour ça ! » Les autres sont plus optimistes : « Ça a un peu fait bouger les choses ».
Même si cette marche n’a pas atteint la prison de Kenitra (l’objectif initial), même si l’impact médiatique reste limité, même s’il y a peu de chance que les États français et espagnol infléchissent leur politique marocaine, cette belle initiative aura eu le mérite de faire sortir de l’oubli les prisonniers politiques sahraouis et de leur soutenir le moral (350 lettres leur ont été adressées), de resserrer les liens entre les différentes communautés sahraouies, en territoire occupé, dans les camps de réfugié·es (où l’essentiel a été retransmis) et en exil, et de prouver, en actes, que l’amitié entre les peuples n’est pas un vain mot.
Texte : Nicolas Marvey / Illustration : Aloys
- Le bilan officiel (11 agents des forces de sécurité marocaines tués ainsi que 2 civils sahraouis) est contesté à défaut de preuves matérielles et de rapport d’autopsies (« La justice marocaine, instrument de pouvoir et de répression », L’Humanité, 28/12/2016)
- La liste des prisonniers et les adresses pour leur écrire sur le site ecrirepourlesliberer.com
- « Maroc : Le procès des civils sahraouis a été entaché d’irrégularités », Human rights watch, avril 2013
- Agence de presse sahraouie créée en 2009. Facebook : EquipeMedia2010
- « Voir Laâyoune et repartir », CQFD, mai 2019.
- Premier ministre espagnol depuis 2018.
- Les journalistes et observateurs étrangers sont interdits de séjour en territoire occupé : depuis 2014, 322 personnes (dont 8 député·es européen·nes) venues de 21 pays ont été expulsées (source AFASPA).
- Parmi les quinze journalistes d’Equipe média, notamment, cinq sont des femmes.
- Disponible ici.
- Créé en 1973 pour lutter contre l’occupation espagnole, ce mouvement politique indépendantiste est reconnu par l’ONU comme représentant légitime du peuple sahraoui (résolution 34/37 du 21/11/1979)
- « La France reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ce qui relance les tensions avec l’Algérie », Public Sénat, 31/07/2024.
