Liquidation des pizzaïolos automatiques

Quatre cents salarié·es ont été mis au chômage du jour au lendemain en juin par l’entreprise Just Queen, qui avait installé un millier de distributeurs de pizzas au bord des routes. Les patrons, des millionnaires gavés d’aides publiques, vont s’en remettre. Pour les salarié·es, c’est plus compliqué.

Du Nord de la France à l’Aquitaine, de la Bretagne à la Savoie, on a vu apparaître ces boîtes en métal gris marquées en jaune « pizzas fraîches et locales » avec un faux graffiti de couronne un peu partout dans les campagnes, en 2023 et 2024. Tous ces robots sont déjà hors service. Le 3 juin 2025, les ouvrier·ères, livreur·euses, chef·fes d’équipe et autres employé·es qui se rendaient dans les 23 usines en France apprenaient de la bouche de leur « rex » (« responsable d’exploitation ») que l’activité de la société Just Queen s’arrêtait net. La liquidation a été ouverte par le tribunal de commerce de Dijon le 23 juillet. Les contrats de travail ont officiellement pris fin le 3 septembre. Pour partager leur colère, une partie des 382 ex-salarié·es se retrouvent dans le groupe Facebook « Contre Just Queen qui inonde nos pizzerias », créé au départ par des pizzaïolos qui s’opposaient à la concurrence déloyale de ces machines installées à côté de leur restaurant.

Les six ex-salarié·es que nous avons joint·es (en septembre et octobre 2025) vivent en Limousin, Bretagne, Centre-Val de Loire, Bourgogne, et en Allemagne près de l’unique usine ouverte à l’étranger. Elles témoignent toutes d’un management brutal, et ne veulent pas être identifiables. « Si vous mettiez une olive de trop dans la margarita, vous pouviez avoir un avertissement et au bout de deux fois vous faire licencier », explique Frédéric, qui travaillait à Sarrebruck. « On était insulté·es tous les jours et on nous répétait en permanence «si t’es pas contente, la porte est ouverte », raconte Marion, une employée de la Nièvre, marquée dans sa chair par ce travail : « On nous demandait une cadence élevée. Des pâtes à pizza, j’en étalais 280 à 300 à l’heure. À ce rythme, tous les jours pendant cinq heures, les épaules ne suivent plus au bout d’un moment. » Un retard d’une minute était sanctionné 55 euros.

 

Rage

Recruté·es à tour de bras au rythme des départs des ouvrièr·es qui ne tenaient pas le choc, lors de journées collectives organisées par France Travail ou via les sites Indeed ou Hellowork, aucun·e de ces salarié·es ne se souvient avoir eu de contact avec un représentant du personnel durant leur contrat à Just Queen, jusqu’au moment de la liquidation, le 23 juillet. « On n’a jamais eu de contact avec notre PDG ou notre DRH puisque notre chef de secteur ne nous transmettait aucune coordonnée et on avait interdiction de joindre la direction », explique Marion. En Corrèze, Amélie, ouvrière de 26 ans, confirme la sale ambiance : « Au niveau du management c’était l’horreur. La pression toute la journée, le fait qu’on nous reproche toujours de pas aller assez vite alors qu’on tournait à 250 pizzas par heure, qu’on se démenait comme des fous, que quand il fallait faire des heures sup on était là. Mais ce n’était jamais assez. » Ajoutons encore ce post de Stéphane sur Facebook qui interpelle l’un des patrons fin septembre 2025 : « Jusqu’à quand vous allez manquer de respect aux personnes que vous avez licenciées sans états d’âme ? J’ai une rage contre vous Frédéric Deprun. Nous sommes laissés à l’abandon mais apparemment cela ne vous empêche pas de dormir alors que nous, nous sommes dans une tourmente continuelle. Nous nous sommes donnés corps et âme dans vos entreprises et vous nous avez marché dessus comme on marche dans une merde de chien. »

La liquidation de Just Queen (fabrication et livraison des pizzas) et le redressement avec suppression de 124 autres emplois chez Api tech (fabrication des distributeurs) ont été prononcés par le tribunal de commerce de Dijon en juillet. Depuis, les salarié·es attendent de recevoir leurs dus : derniers mois de salaires bien sûr, mais aussi simplement contrat de sécurisation professionnelle et autres documents basiques de fin de contrat.

 

Algorithme

Le groupe au sommet de tout cela est pompeusement baptisé « Mentor », au sens de « conseiller sage et expérimenté », créé par Benoît Michaux et aujourd’hui partagé avec ses trois fils. Cet entrepreneur lorrain de 63 ans a fait fortune dans le rachat de crédits des personnes surendettées dans les années 1990, et s’amuse maintenant à lancer des boîtes avec ses fistons dans les domaines où ça les stimule : l’immobilier, la chirurgie esthétique, la transfusion sanguine, et donc, les distributeurs automatiques de pizzas, en partenariat avec Frédéric Deprun. Le classement du magazine Challenges place la famille Michaux au 180ème rang des plus grosses fortunes de France en juillet 2025 avec 750 millions d’euros. « À chaque fois nous essayons de répondre à un besoin des particuliers, parfois élémentaire, comme se loger pour l’immobilier, ou se nourrir pour les pizzas par exemple », dit-il au journal « pro-business » La Semaine en 2023. Liquidation oblige, les « besoins élémentaires » des centaines de smicard·es que le groupe vient de jeter, à savoir leurs dernières payes, ont été pris en charge par le régime de garantie des salaires.

Bien sûr, les pouvoirs publics n’ont pas laissé ces millionnaires se lancer dans cette aventure courageuse sans leur donner de petits coups de pouce : 500 000 euros de subvention au titre « du développement expérimental » pour Api Tech en 2021, puis 500 000 autres l’année suivante en prêt de la part du même ministère de l’économie, la région Grand-Est ajoutant 370 000 euros pour aider « en raison du Covid ». Reste aussi, accessoirement, l’aspect esthétique de ces boîtes de métal abandonnées, pour certaines maintenant emballées dans des bâches noires. Sensible à cet aspect, peu enthousiaste lorsque l’arrivée de la machine était annoncée dans son village, le maire de Solignac (Haute-Vienne), raconte : « 90 % de la commune est en zones « bâtiments de France ». À partir du moment où l’architecte des bâtiments de France a autorisé l’installation du distributeur, c’était très difficile pour moi d’avoir des arguments pour m’y opposer. » Les propriétaires privés qui ont loué leur terrain à Just Queen pour ces installations font d’ailleurs aussi partie des personnes qui attendent encore d’être payées par le mandataire chargé de la liquidation, basé à Dijon. Les ex-patrons de Just Queen disent avoir coulé notamment en raison de leur croissance trop rapide et de la difficulté à obtenir les autorisations d’implanter leurs machines sur les communes. Une ex-employée d’une usine du Morbihan dit : « Certains jours on faisait 1 900 pizzas à une cadence infernale et le lendemain on en jetait 900. Leur algorithme n’était pas bon. »

Yann Bureller

 

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