Lettre de Manina à Cheikh Banga, n° 3767 prison de Bouzakern 81050 Maroc
Pardonne-moi si mes mots me trahissent, je ne suis pas une écrivaine aguerrie. Mais tes écrits, qui ont si souvent touché mon cœur, m’ont poussée à t’écrire. Cette lettre te parvient avec la sincérité du cœur, la lucidité de l’esprit, et la douleur mêlée d’espoir qu’engendre toute véritable révolte.
J’ai lu chacun de tes textes, échappés des barreaux de la prison. J’y ai trouvé la puissance de la parole et la fermeté de la position. Ta voix ne parle pas que pour toi, elle porte celle de tout Sahraoui libre enfermé dans les geôles de l’occupant. Et en t’écrivant aujourd’hui, je m’adresse à toi, mais aussi à travers toi, à tous les détenus politiques sahraouis qui ont choisi la dignité, et payé leur engagement au prix de leur jeunesse et de leur liberté.
Je me souviens encore de ton courage sur le terrain, de ta place en première ligne lors de l’épopée de Gdeim Izik, de ta résistance face aux juges et aux tyrans des tribunaux de l’occupation. Ta fermeté, que ni les barreaux ni les bourreaux n’ont pu ébranler, t’a toujours désigné comme un exemple, un symbole de force pour ceux qui refusent de marchander leur liberté.
Aujourd’hui, plus de quinze ans après, nous ressentons à ton côté l’affaiblissement de la flamme de l’intifada, l’étreinte de cette étincelle rallumée par vos luttes et vos sacrifices. Nous ressentons aussi le poids du silence qui s’est abattu sur les territoires occupés, autrefois bastions de révolte, dont la jeunesse faisait trembler le colonialisme.
Nous partageons avec vous cette déception, cette amertume du calme imposé. Nous savons que l’intifada n’est plus ce qu’elle était. Mais nous croyons qu’elle renaîtra. Une nouvelle génération s’élèvera, croyant à ce pour quoi vous avez donné votre jeunesse. Une génération qui fera de nouveau résonner les slogans dans les rues, qui redonnera aux quartiers insurgés leur éclat. Maâtallah, L’Inchâa, l’avenue Smara, l’avenue Al-Qods… revivront pleines de foule et de cris de liberté.
Nous chanterons à nouveau, nous réécrirons les chants révolutionnaires qui rythmaient nos mariages, en secret comme en plein jour. La police politique traquera de nouveau nos musiques, les rues gronderont du bruit des véhicules de répression, les voix s’élèveront avec des pierres accueillies par les youyous des femmes libres, et les mehlfahs se déchireront pour couvrir les visages insurgés. Une génération grimpera sur les toits lorsque les quartiers seront encerclés, une autre immortalisera la scène, pour que l’Histoire se souvienne que notre cause ne s’est jamais éteinte.
Comme tu l’as toujours dit : « C’est dans les masses que résident les miracles. »
Et peut-être que le destin sera clément, et que nous sauterons par-dessus tout cela, pour entendre enfin les chenilles des blindés fouler nos terres de Saguia El Hamra et Oued Eddahab — que ce soit dans la paix ou par la guerre.
Reste cette voix inébranlable, cette plume indomptable, ce prisonnier libre devant des barreaux ébranlés par ta volonté.
Tu demeures un espoir pour tous les Sahraouis, un emblème de liberté. Et nous prions de te voir bientôt libre, sur une terre enfin libérée.
L’enfant de Gdeim Izik qui a grandi sur l’écho des slogans.
