Numéro 15 régional

L’Échappée contre les décoloniaux

Ce livre est la traduction de six articles qui critiquent le mouvement décolonial latino-américain, pour la plupart parus sous la direction de deux chercheurs au Mexique il y a quatre ans*. En effet, la pensée décoloniale se développe depuis vingt ans, au départ sous l’impulsion d’universitaires latino-américains. Ce livre considère qu’il ne s’agit que d’une mode et d’une imposture intellectuelle qui idéalisent les peuples colonisés, qui relèguent au second plan les questions de classes, et qui simplifient toute la conflictualité sociale en la résumant à un rapport entre méchants Blancs et gentils Indigènes. Il est co-traduit par Mikaël Faujour, qui – sans qu’il n’en soit question dans les articles qui sont centrés sur l’Amérique – englobe, dans la préface, le mouvement décolonial français dans ces mêmes critiques.

Cette prise de parti anti-décoloniale est surprenante à l’heure où la colonisation poursuit clairement ses ravages de la Palestine à la Kanaky. Pierre Madelin, co-traducteur de ce livre, avait publié sur Lundi matin début 2023 une critique précise des positions géopolitiques, parfois « campistes » et pro-Poutine, de certains militants décoloniaux (« Des pensées décoloniales à l’épreuve de la guerre en Ukraine »). Mais dans le présent livre, on ne trouve rien qui déstabilise tout ce que le mouvement décolonial apporte : la mise au premier plan de la domination raciale et de la manière dont ses racines coloniales perdurent. Il n’y a pas à choisir entre lutte des classes et lutte antiraciste, or ce livre tend à nous resservir une énième fois de « l’universel », un universel au final toujours assez blanc.

Critique de la raison décoloniale, collectif, L’Echappée, octobre 2024.

* Peau blanche, masques noirs : les études décoloniales, autopsie d’une imposture intellectuelle, Pierre Gaussens (professeur au Colegio de Mexico) et Gaya Makaran (Centro de Investigaciones sobre América latina y el Caribe, UNAM), novembre 2020.