L’autoroute des barbouzes
Tentatives de meurtres, menaces de viols, présence de milice pro-autoroute… Depuis plusieurs mois, celles et ceux qui se battent pour enterrer le projet d’A69 subissent des actes d’une extrême violence, perpétrés en toute impunité.
Après une période d’accalmie obtenue de haute volée1, la répression reprend de plus belle fin août sur le chantier de l’autoroute. Les deux dernières zones à défendre – la Cal’arbre à Saïx dans le Tarn et le Verger à Verfeil en Haute-Garonne, sont rasées. Entre temps, le rapport de la Ligue des droits de l’homme de Toulouse2 est publié. Il dénonce « la complicité passive des autorités administratives et judiciaires, comme des responsables politiques [qui] laissent se poursuivre (…) de telles barbaries » contre les zadistes, parmi lesquelles la stratégie militaire « de siège et d’attrition » qui consiste en « un écrasement méthodique de l’adversaire » et amène « à des risques de mort pour les écureuil·les ».
Le nouveau ministre de l’intérieur, ânonnant lors de sa prise de fonction « de l’ordre, de l’ordre, de l’ordre », devrait peut-être commencer par en mettre dans ses troupes. En premier lieu dans la Cnamo, cette unité de gendarmerie chargée de déloger des arbres les opposant·es. Ces « gendarmes d’élite » ont provoqué quatre chutes de plus de six mètres (cf. ci-contre). Puis le 22 septembre les forces de l’ordre tirent au taser afin d’empêcher des ravitaillements. Amnesty international rappelle que cette arme mortelle ne doit être utilisée qu’en cas de danger immédiat. De surcroît, la LDH révèle des menaces de viols proférées par une compagnie de CRS, et questionne la responsabilité de ces ignominies : « S’agit-il d’ordres, dans le cadre du mille-feuille répressif ? »
Milices paramilitaires
Sur les comptes TikTok et Facebook de l’extrême droite tarnaise, les appels aux meurtres et à la violence se multiplient, et se concrétisent lorsqu’une milice pro-autoroute fait son apparition3. « Composée de petits patrons locaux, d’agents de sécurité » selon la LDH, elle menace de viols les opposantes et frappe des zadistes. Par deux fois à une semaine d’intervalle, un commando sème le chaos, alors même que la police patrouillait dans le secteur. Cette milice a lancé des cocktails Molotov vers l’habitation d’une famille avec un enfant de quatre ans, locataire de la dernière maison expulsable sur la zad du Verger, aspergeant d’essence le père, brûlant leur voiture, et les menaçant de mort en plaçant des cocktails Molotov à côté de leur gazinière.
Mais peut être est-ce le 7 octobre, lorsque le Verger est expulsé, que cette privatisation illégale de la « violence légitime de l’État » apparaît au grand jour. Cette après-midi-là, « un ouvrier de NGE [s’est jeté] sur une écureuille pour tenter de l’attraper et chuter dans un même mouvement ! », alertent les zadistes dans un communiqué. Ils et elles dénoncent alors des « scènes complètement ahurissantes qui traduisent l’absurde d’un monde en déroute qui s’agite bêtement pour un projet inutile avec l’entêtement malsain que provoque le pognon ». Ce qui amène la LDH a conclure que « la concomitance de l’action des forces de l’ordre, de l’entreprise Atosca et du commando nous laisse penser qu’il ne s’agit pas de hasard, mais d’actions appartenant au même continuum de violence où tous les moyens, légaux ou illégaux, sont utilisés ».
Destruction du vivant vs sabotages
Parmi la vingtaine de recours déposés, celui des Amis de la Terre Midi-Pyrénées et du GNSA expliquent que l’arrêté préfectoral d’autorisation environnementale interdisait de toucher à la prairie à trèfle écailleux de la Cal’arbre avant septembre 2025. Un champ aujourd’hui ravagé. Quant aux arbres ayant des « enjeux insectes », Atosca ne pouvait les couper avant le premier octobre de 2024. Un écologue avait même l’obligation de passer avant tout massacre de chêne, afin d’éviter que ne soient détruites les larves de grand capricorne. Et tandis que la loi oblige les bétonneurs à ne créer ni chocs, ni secousses, et interdit le retournement des tronçons d’arbres qui doivent rester droit ; que ce soit à la Cal’arbre ou au verger de Verfeil, les pelleteuses n’ont pris aucune pincette, et ont laissé derrière elles un paysage digne des déforestations les plus sauvages. Mais Martial Gerlinger, directeur général d’Atosca, assume sans gêne non seulement d’avoir dérogé au protocole d’abattage, mais aussi d’avoir abattu 95 % des arbres4.
En réponse à tant de cynisme, la vague de sabotage reprend. Depuis le début du chantier, Atosca en aurait recensé trois cents. Fin août, une trentaine de personne se coordonnent, détruisent du matériel, puis lancent des cocktails Molotov contre le coffrage d’une pile d’un pont de l’autoroute, qui prend feu. Ce qui rajoute trois mois de chantier à Atosca. Le directeur de projet de NGE, Walter Guyonvarch, se désespère : « Ils sont actuellement en train de nous observer et de bien nous narguer »5. Un pied de nez amplifié par les « lièvres vénères et libres », revendiquant la dégradation des clôtures d’un élevage de cet animal à Lacroisille, sur des terres que l’autoroute devrait traverser. Et les saboteuses et saboteurs de mettre en garde : « 53 km à surveiller ça laisse toujours des opportunités ». Dont celle de cramer un engin compacteur de bitume, parti en fumée quelques jours après de début de l’évacuation du Verger.
À n’en pas douter, lorsque le goudron de l’histoire coulera sur Atosca, les zadistes viendront l’agrémenter de plumes.
Loïc Santiago
1 ) Voir dans l’Empaillé n°13 notre dossier sur l’A69.
2) « Rapport de la commission d’enquête sur les atteintes aux droits contre les opposant·es à l’A69 », LDH Midi-Pyrénées, septembre 2024.
3) « Tirer à vue ; des pro-A69 appellent au meurtre sur les réseaux », Reporterre, 20 septembre 2024.
4) « A69, après la reprise des coupes », Libération, 4 septembre 2024.
5) « Autoroute A69 : un ouvrage incendié près de la ZAD, les secours ciblés par des cocktails Molotov », La Voix du midi, 23 août 2024.
L’ONU dénonce des traitements inhumains
Dès le mois de mars, le rapporteur spécial de l’ONU, Michel Forst, dénonce le traitement inhumain et les actes de torture infligés aux zadistes. Les autorités ont par exemple interdit le ravitaillement en eau des écureuil·les et lorsqu’elles leur ont enfin permis d’y avoir accès « l’entreprise NGE (…) a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre ». Le représentant de l’ONU alerte aussi quant à « la privation délibérée de sommeil par des membres des forces de l’ordre, qui entre également dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Parmi lesquels « l’usage disproportionné et indiscriminé de grenades lacrymogènes (…), des arrestations violentes, y compris des coups de matraques, coups de pieds et coups de poings portés contre des manifestants au sol ; et des entraves à l’accès des « médics » aux secours professionnels, notamment les ambulances »1.
1) « Écureuils mobilisés contre l’A69 : conclusions du rapporteur spécial de l’ONU », Nations Unies, www.unric.org.
Une immense fierté d’avoir tenu aussi longtemps
En pleine expulsion de la dernière zone à défendre, le Verger de Verfeil en Haute-Garonne, nous échangeons avec Nina, Cécile, Alex et Dominique, vivant sur la ZAD et soutenant les écureuil·les.
Pouvez-vous nous décrire la situation ?
Nina : Les forces de l’ordre cherchent l’épuisement des écureuil·les. La nuit ils les empêchent de dormir avec des cris, des spots lumineux. Ils appellent les personnes par leurs pseudos, tapent sur des tôles. Dès qu’ils ont accès aux arbres, ils détruisent les couchages.
Dominique : C’est la stratégie d’attrition, c’est du vocabulaire militaire, c’est de la guerre d’usure.
Alex : C’est très hypocrite, car on va voir la Cnamo faire tomber des sacs de nourriture ou d’eau, et une heure après on va devoir négocier, pour le peu de dignité que cela apporte, afin de remonter un bidon d’eau. Et rebelote le lendemain.
Comment envisagez-vous la suite ?
Cécile : Pour l’instant, c’est un pas après l’autre. Il y a une envie de continuer à faire chier le chantier chaque jour. Les arbres ont été salement élagués pour faciliter les interventions de la Cnamo, mais aussi parce que cela affecte le moral des personnes qui défendent les arbres. Du coup, c’est plus tellement la défense d’un arbre, mais le ralentissement du chantier, qui se joue là.
Que pensez-vous des recours qui sont déposés ?
Cécile : Que les recours marchent ou pas, l’autoroute est en train de se faire, et chaque jour qui passe, la perspective de suspendre les travaux s’éloigne un peu plus. L’occupation permet de montrer que l’on ne peut pas faire un projet aussi ravageur en toute impunité. Et il y a une bataille sur le juridique pour essayer de les faire payer, parce qu’à la fin cela risque d’être une histoire de tunes. Mais nous collectivement on a conscience que la tune, pour des gens qui en ont, c’est pas grand chose non plus. Et par contre ce temps qu’on leur prend, et cet argent dépensé pour nous contrer, pour nous c’est ça la victoire chaque jour.
Combien avez-vous de blessé·es ?
Nina : Depuis le 30 août, on a eu quatre chutes. La première c’était à Bourg-palettes. C’est quelqu’un qui s’est fait poursuivre par un cowboy enragé. Il y a vraiment ce regard de la police quand on voit qu’ils ont perdu toute humanité, le vide dans leurs yeux, juste la haine. La Cnamo est montée sans aucune nacelle, sans aucune protection, et a fait trembler la tour de huit mètres de haut. Le militant a chuté. Il a eu six fractures à la colonne vertébrale. Puis il y en a eux deux autres dans un arbre assiégé à la Cal’abre. [Quant à l’un·e des écureuil·les], les flics sont venus chercher cette personne à à l’hôpital. Alors que la personne a dit « non j’ai trop mal »… en train de crier de douleur, un médecin a dit « non mais vous n’êtes pas radiologue, j’ai vu les radios, vous êtes apte à la garde à vue ». On est quand même assez horrifié·es de voir que les médecins collaborent avec la police, sans aucune éthique. C’est révoltant.
Cécile : L’avocate est arrivée, a dit que cela n’allait pas du tout, et a appelé le parquet. Et ils l’ont ramenée à l’hôpital. Et là ils se sont aperçus sans même faire d’examen qu’il y avait la fracture.
Cécile : [Ce matin là, lorsque] la Cnamo a fait des grands mouvements de bras dans la cabane, les copaines ont eu un mouvement de recul et sont tombées en arrière, de six mètres ! En fait il n’y avait pas de ligne de vide dans cette cabane, c’est à dire aucun moyen de s’assurer, et cela la Cnamo le savait, parce qu’ils étaient venus plusieurs fois pour négocier. La première personne qui a chuté a essayé de se raccrocher au toit, qui était une bâche, et qui du coup s’est déchirée au fur et à mesure de sa chute, ce qui a permis de l’amortir sur les premiers mètres. Et la deuxième personne qui est tombée, un peu miraculeusement, elle n’a rien d’un point de vue physique, mais psychologiquement, elle est super atteinte.
Nina : Le lendemain, une personne qui était dans l’arbre a été interpellée par la Cnamo, la tête en bas. Ils lui ont fait une clé de genoux pour l’immobiliser. Actuellement la personne est en béquille et elle doit passer des IRM parce qu’elle a le genou complètement en vrac.
Cécile : Et dans la même vibe, fin août, on a un camarade qui s’est fait péter la gueule par un vigile, et qui a fini en garde à vue pour un faux motif. Alors même qu’il était physiquement et visuellement amoché, le médecin ne lui a rien filé. Quelques jours après il est allé faire des analyses, et la radio a montré qu’il avait quatre côtes pétées.
Nina : C’est le vigile qui a appelé les flics, parce qu’il n’avait aucune peur d’avoir une quelconque pression, alors qu’il avait tabassé quelqu’un.
Cet été, avec les promesses du NFP quant à un moratoire, avez-vous senti un peu de répit, voire de l’espoir ?
Nina : Déjà on n’attend rien des élections mais en plus, à partir du moment où il y a Carole Delga, promotrice de l’autoroute, qui est dans le NFP…
Cécile : Mais l’été à la ZAD, c’était hyper doux, joyeux, avec de beaux moments, où le vent a soufflé très fort sur le chantier de l’autoroute et du coup et il y a eu des petits dégâts…
Lou : …un ouvrage d’art qui a flambé (1) !
1) le sabotage du coffrage d’un pont, dans la nuit du 23 août
Dernière minute : lors du bouclage de cet article le 9 octobre, l’expulsion du Verger vient de se terminer. Nous échangeons de nouveau avec Nina.
Quel est ton ressenti par rapport à cette expulsion ?
Nina : Honnêtement on avait peur d’être tristes, et on l’était pas du tout en fait. Le sentiment, c’est à la fois une immense fierté d’avoir tenu aussi longtemps. Ce n’est pas beaucoup paru dans la presse, mais dans l’état de siège, y a les personnes perchées mais aussi celles au sol. Certes le corps est hyper engagé dans les arbres, mais pour cinq écureuil-les, il y a une trentaine de personnes qui font du soutien émotionnel à distance, du soutien juridique, de la com’ et de la vigie, avec toute la logistique que ça implique. Là, on avait un peu cette impression collective de fierté. Le siège du Verger est arrivé assez prématurément, on n’avait pas anticipé, et on a vraiment pensé collectivement que l’on ne tiendrait jamais, parce que l’on était fatigué·es par la Cal’arbre. Et il y a eu une surprise de voir que, et dans les arbres et au sol, on arrivait à tenir. L’heure est à la victoire de les avoir fait chier aussi longtemps et surtout de voir à quel degré d’absurdité ils étaient réduits. Parce qu’ensevelir les arbres, déplacer des quantités de terres assez astronomiques, pour accéder à des arbres… cela nous a confortés dans le fait qu’on les mettait en échec.
Comment vois-tu la suite ?
Nina : Cela va être beaucoup de soin, car on est beaucoup à être abîmé·es par la répression. Il y a un gros attachement au territoire et au réseau que les gens ont pu créer ici, donc une envie de rester. On est en train de réfléchir à faire une plainte à l’ONU, comme cela avait été fait à la Crem’arbre via des organisations. Là, l’idée c’est que cela vienne plus de la ZAD, même si on n’a pas grand chose à attendre des plaintes. Le seul avantage que cela peut être c’est l’ouverture d’une enquête, et qu’ils soient un minimum inquiétés par l’ONU. L’idée c’est de remettre une pièce dans la machine sur les événements de lundi [7 octobre] qui étaient assez dingues en terme de mise en danger.
Par exemple ?
Nina : Les flics étaient au sol. Les ouvriers créaient leur tas de terres avec une pelle mécanique pour ensevelir les arbres occupés. Une des écureuilles avait décidé de ralentir en faisant barrage avec son corps debout sur la pelle, qui continuait à travailler comme si de rien n’était. La pelle était à quelques centimètres du tronc de l’arbre, et si la personne avait fait un faux mouvement, elle se serait retrouvée écrasée entre le tronc de son arbre et le godet de la pelle !