Numéro 18 régional

L’armée drague la jeunesse

Engagement cool, classes défense, commissions armée jeunesse : le 22 juin à Bobigny, après la manifestation « Guerre à la guerre », Fanny, du collectif Non au service universel, fait le point sur tous les dispositifs avec lesquels les militaires essayent de séduire dès l’enfance.

 

« En tant qu’enseignante, je forme la future main d’œuvre qui va porter les armes. Un grand nombre de dispositifs, qui ont des liens entre eux, infiltrent l’école depuis quarante ans pour créer « l’esprit de défense » parmi la jeunesse pour rendre la guerre acceptable et naturelle, dire qu’« il faut s’y préparer », que ça a plein d’aspects cool la guerre, que c’est bien d’en être. Le collectif Non au SNU est parti du service national universel, une des créations chères à Macron, vraiment son petit joujou. Elle est pensée en partie avec l’armée pour recruter des jeunes, avec une volonté non pas d’embrigadement mais de susciter un enthousiasme.

Le SNU se déroulait en plusieurs phases : un séjour de cohésion, une colonie présentée de façon très cool. Certains de mes élèves en sont revenus enchantés. Il y a eu des dysfonctionnements, des propos racistes, sexistes, c’est remonté dans la presse et ça a monté l’opinion un peu contre ce dispositif. Mais beaucoup d’élèves m’ont dit qu’ils avaient passé un super moment dans le séjour de cohésion, une colo sympa où on parle aussi des inégalités femmes-hommes, où on parle aussi d’écologie… un truc bien pensé pour susciter de l’adhésion.

La deuxième phase c’était notamment de l’investissement volontaire soit dans des corps en uniforme, gendarmerie et police, soit dans « l’économie sociale et solidaire ». Ça fait des travailleurs pas chers, quasiment gratuits, mais le mot qui ressort chez les jeunes c’est l’engagement. Avec une sorte de détournement de ce mot. On dit « engagement » en général et en fait tous les dispositifs SNU mènent à l’engagement militaire. La jeunesse doit être engagée, on l’amène sur des questions sociétales, et à la fin c’est militaire.

Le SNU n’a pas été abrogé. Il a quand même mis tout le monde contre lui, même au sein de la macronie, à cause de son coût notamment, et des problèmes logistiques parce qu’il fallait acheminer tous les jeunes dans des lieux, les nourrir, tout ça, donc des coûts et des difficultés. Macron s’est retrouvé un peu seul à défendre son machin. Il voulait le généraliser mais on sentait qu’il y avait de la réticence de la part de la jeunesse elle-même. Passées les premières recrues qui étaient des enfants de militaires, ce n’était plus si évident de trouver des gens prêts à faire le séjour de cohésion.

Donc ils ont renoncé au SNU tel quel. Ça a fait du bien à tous les collectifs Non au SNU, ça a un peu démobilisé paradoxalement, mais il n’est pas abrogé. C’est une coquille vide qui reste activable. Et quelle que soit la suite, si une Marine Le Pen, un Bardella ou même un Mélenchon arrive au pouvoir, il aurait cette structure-là, mobilisable. Et le financement du SNU est inscrit dans la loi de programmation militaire. On nous disait que ce n’était pas militaire, que c’était une colonie… Il n’y a pas d’ambiguïté, c’est militaire. Il n’a pas été abrogé, mais mis de côté.

Ce qu’on a vu au sein de mon collectif, c’est que le SNU était une vitrine médiatique, une sorte de tête de gondole. Derrière ça dans l’Éducation nationale il y a une hydre, un imbroglio de toute une série de dispositifs très implantés, très mis en avant. Beaucoup d’argent est mis dans ceux qui créent des liens entre l’armée et l’école. Au niveau de chaque rectorat, il y a un trinôme où le recteur ou la rectrice est accompagné·e d’un responsable militaire et d’un auditeur de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN, des civils qui œuvrent pour « l’esprit de défense »). Ces trois personnes donnent de l’argent et développent des projets permettant de faire des relations entre l’armée ou des corps en uniforme et l’école.

Il y a aussi la CAJ, la commission armée jeunesse : une structure rassemblant des syndicats de l’éducation, des fédérations de parents, des mutuelles, des associations de jeunesse, qui réfléchissent ensemble à comment parler à la jeunesse. C’est du donnant-donnant : « Voilà, on vous explique comment on parle à la jeunesse, et, en réciproque, on a de l’argent pour faire des choses, etc. » On a contacté par exemple la FCPE, qui fait partie de cette CAJ et qui nous a dit : « Ah bon ? On ne savait pas, on va voir, mais c’est bien d’y être, pour défendre d’autres projets, etc. »

L’artillerie lourde, c’est la CDSG, la classe défense et sécurité globale. Ça arrive dans les collèges. Par exemple dans une classe de troisième et on apprend aux élèves qu’ils sont dans une classe défense, c’est-à- dire que pendant toute l’année ils vont être reliés à une unité militaire de gendarmerie locale. On a vu une convention signée au sein d’un établissement scolaire avec des militaires qui sont là, qui signent le contrat d’association entre la classe et l’unité locale. Donc c’est des visites et c’est pour montrer que « ces gens-là », les militaires, ils ont une vie dure quand même, qu’il faut savoir quelle est leur réalité, montrer qu’ils font des choses sympa… Créer du lien. Les militaires parlent de la « surface de contact » : augmenter la surface de contact avec la jeunesse. Parce que plus on se rapproche des « vrais gens » qui travaillent, plus on se dit « ah oui, quand même, ils sont importants ».

Ce qui est important aussi, c’est tout ce qui est cérémonies mémorielles. Le 11 novembre, le 8 mai, etc. On se recueille parce qu’il y a eu des morts mais c’était des morts nécessaires. L’armée est importante parce qu’elle nous a défendus à des moments importants. Et tout ça, c’est des processus insidieux qui font que la jeunesse adhère à l’armée parce qu’elle s’en rapproche, parce qu’elle est familiarisée. On peut citer une série de concours en élémentaire et secondaire. On fait dessiner des bandes dessinées aux petits d’élémentaire. Ça s’appelle « les petites bulles » de mémoire. C’est mignon, on va parler de l’engagement des Poilus. Il y a toujours une vitrine mémorielle émouvante et poignante. Et c’est pour amener à la guerre. »