Incendie des Corbières : Régénérer la terre

Les incendies ont presque fait table rase de la nature. Alors, comment reconstruire un territoire plus apte à affronter l’avenir et plus désirable à habiter ? Entre rêves un peu fous, luttes à mener et volonté de faire tous ensemble, une dynamique très excitante est en train de prendre forme.

plan rapproché sur un petit arbuste cramé et une petite plante qui repousse à côté et qui est verte

 

Ce qui suit est une synthèse d’entretiens concernant les actions de régénération menées au tiers-lieu paysan Beauregard. Les interviewé·es sont Nicolas et Karine, vigneron et vigneronne, et Laurelle, paysanne avec un projet de réinstallation.

Alors que le chant des tronçonneuses ne faiblit pas et que les employés de la voirie coupent les arbres calcinés pour sécuriser les bords de route, se pose la question de la gestion à grande échelle du bois, calciné ou non. Cela va-t-il être l’une des premières luttes à mener cet automne ?

Nicolas : Il faut que le bois des Corbières reste dans les Corbières. On doit réussir à faire entendre que le meilleur usage que l’on peut faire du bois qui est ici n’est pas d’en faire du bois énergie. L’enjeu urgent est d’empêcher l’aridification et l’érosion des sols qui vont être la conséquence des feux, d’autant plus si dans le futur on a à nouveau des épisodes cévenols. Il va sûrement falloir se battre avec l’Office national des forêts ou d’autres exploitants forestiers qui sont dans une logique extractiviste, qui cultivent dans la perspective de valoriser et d’exporter le bois.

Laurelle : Si le bois reste ici, cela permettrait de maintenir la matière organique sur place en broyant les restes des arbres, même calcinés. Ce broyat pourra jouer le rôle d’éponge et maintenir l’eau dans ses fibres. Ce serait idiot de devoir importer du broyat le jour où on voudra faire des replantations. Cela permettrait également de créer des fascines. Elles se construisent dans les pentes : les arbres sont coupés à hauteur de genoux, les troncs ébranchés, puis calés derrière les deux souches perpendiculairement à la pente en amassant les branches derrière. Ça fait une retenue qui ralentit l’eau de ruissellement, et accumule la terre. Ces espaces protégés facilitent la régénération spontanée ou les futures plantations, parce qu’il y a une épaisseur et une qualité de sol supérieure au reste des terrains en pente qui vont très vite s’éroder.

Est-ce qu’on peut dire que c’est mieux d’intervenir au lieu de laisser la régénération « naturelle » se faire ?

Laurelle : On ne pourra pas empêcher la recolonisation par le pin d’Alep sur tout le territoire car c’est une espèce pionnière1 et pyrophyte2. Par contre, on peut reconquérir des friches pour l’agriculture et notamment les pâturages. La problématique du pin c’est qu’il échoue à refroidir le sol et à capter la rosée, ce que font les prairies et les feuillus. Or les Corbières, comme beaucoup de territoires arides, sont exposés à la virga, un phénomène climatique dans lequel des masses d’airs arrivent chargées d’humidité… mais il ne pleut pas. La météo annonce des pluies mais au sol il n’y a rien ou seulement trois gouttes. C’est que le sol est tellement chaud qu’il évapore l’eau avant qu’elle n’y arrive, ou alors que la différence de température entre les masses humides et chaudes qui viennent de la mer et le sol n’est pas assez importante pour que ça condense. En mettant des couverts végétaux annuels, on protège le sol de l’érosion, on favorise l’infiltration des pluies, on capte la rosée, on rafraîchit les sols, on relance la vie bactérienne du sol et le cycle de l’eau. En occupant massivement le sol dès cet automne, on réhydrate le territoire.

Un peu comme les engrais vert que l’on sème dans les parcelles agricoles ?

Laurelle : Oui tout à fait. Les engrais verts ont fait leurs preuves dans les systèmes agricoles quand ils sont bien menés. Nous proposons une grande action citoyenne pour refleurir les Corbières avec différents types de mélanges selon les surfaces. Sur les terres agricoles qui peuvent être travaillées mécaniquement, nous proposons des semences certifiées d’engrais verts avec plusieurs espèces de plantes qui amènent une diversité bactérienne et racinaire afin de mieux structurer le sol. Cela a un impact direct sur sa capacité à retenir l’eau. En parallèle, un gros travail cartographique est en train d’être fait pour recenser les espaces de déprise agricole, c’est à dire les anciennes parcelles cultivées à l’époque du cheval mais qui ont été depuis enfrichées par le pin ou la garrigue. Pour ces zones non mécanisables, a émergé une idée un peu folle : récupérer des semences dans les minoteries et les semer à la volée. Ce sont essentiellement des coquelicots, des vesces et des graminées qui sont normalement brûlés dans des chaufferies. Or, ces annuelles sont aussi des pionnières qui peuvent germer dans des conditions difficiles. On peut même espérer concurrencer le pin d’Alep qui aura moins tendance à germer si le sol est couvert. Créer des couverts végétaux c’est une action de jardinier, une façon de prendre soin de son sol. Ça me parle parce que je suis paysanne, c’est des choses que l’on sait faire. Certes on va amener des espèces, mais on ne va pas introduire des espèces exogènes ou pas maîtrisées, ce sont des espèces qu’on connaît. Le réseau « semences paysannes » a été contacté ainsi que le réseau « nature et progrès », les minoteries, tous les paysans et paysannes boulanger·es sont en train de récupérer des semences. Ces couverts végétaux doivent être semés avant l’hiver, et c’est pour ça qu’il nous faut beaucoup de mains bénévoles très prochainement pour faire de grandes journées de semis.

Comment s’y prend-t-on pour aller réensemencer ces anciennes terrasses ? À qui on demande ?

Laurelle : Nous avons mis en place un formulaire en ligne pour s’inscrire dans l’action « refleurir les Corbières » sur le site du tiers-lieu paysan Beauregard pour coordonner les propriétaires de parcelles et les bénévoles (cf ci-contre). Je vois bien, depuis que je vais sur le terrain rencontrer des personnes sinistrées – en général des paysan·nes qui ont 10, 20, 30 hectares – que ça les intéresse. On est tous conscients que l’érosion va nous amener à perdre notre sol, c’est notre prochaine crise. Si on donne les moyens aux gens d’avoir des semences, d’avoir de la main d’œuvre pour faire ces semis, il y a beaucoup de personnes qui auront envie de prendre soin de leurs terres, de faire du beau, d’avoir des prairies de coquelicots à la place d’avoir du noir partout. Ces prairies fleuries au printemps, ça va nous faire du bien à tous et toutes. Donc je pense qu’on va réussir à avoir l’adhésion populaire.

Et les grands arbres ?

Laurelle : En ce moment c’est la saison, on peut collecter les graines d’espèces autochtones : chêne pubescent, chêne vert, micocoulier, cormier, cornouiller sanguin, nerprun, pistachier lentisque, laurier tin, arbre de Judée, frêne, acacias… Il existe aussi des associations qui font un travail remarquable comme Arbres et paysages 113 qui peut aider à la conception et à la plantation de haies et d’arbres, ou l’association Chemin cueillant4 qui peut proposer un appui technique, des formations ou des chantiers participatifs. La question c’est de savoir comment ces prairies arborées peuvent s’intégrer dans le paysage et les systèmes agro-sylvo-pastoraux. On pourrait avoir de belles prairies arborées qui seraient ensuite pâturées. Car c’est un tout, il ne s’agit pas de semer ou planter et de ne pas s’en occuper.

paysage brûlé des Corbières

Des voix paysannes, dont les vôtres, se sont fait entendre pour promouvoir l’élevage extensif et l’installation paysanne massive pour faire obstacle aux grands feux. Comment mettre ça en place ?

Karine : Au niveau du paysage, le feu a agi comme un révélateur en mettant à jour des terrasses, des murets, des anciens enclos de bergerie qui se trouvaient enfouis sous la garrigue. Cela nous apprend beaucoup sur l’histoire « hors-viticole » du coin. Et ce n’est pas si vieux… j’ai parlé avec des personnes de mon village qui m’ont dit que quand ils étaient jeunes, il y avait trois mille brebis à Bizanet ! Sans être nostalgique ou passéiste, voir que certaines choses ont existé permet de se dire qu’on pourrait les refaire avec ce que l’on connaît des nouvelles réalités climatiques et hydrologiques. Le feu n’aurait pas eu cette fulgurance si les sous-bois et les friches avaient été nettoyés par des troupeaux. On ne pourra pas empêcher les feux d’exister car ils vont continuer à se produire, ce qu’il faut éviter ce sont les mégafeux comme ceux que nous venons de vivre.

Nicolas : Les friches agricoles peuvent être transformées en surfaces fourragères, les troupeaux occuperaient l’espace et débroussailleraient, tout en régénérant les sols épuisés par la monoculture intensive de la vigne. Pour cela il faut partir sur des perspectives d’installations paysannes et structurer une vraie filière. Installer des éleveur·euses, c’est aussi se demander politiquement comment on leur procure un revenu et qui le prend en charge. La mise en place de couverts végétaux dans les friches viticoles est un premier pas pour accueillir des troupeaux. Mais ce qui est fondamental, c’est aussi de relever les éleveur·euses en place dans les Corbières et qui ont aujourd’hui un genou à terre quand ce ne sont pas les deux. Il est aussi possible de remettre au goût du jour les transhumances hivernales – celles qui vont des montagnes au littoral – pour repeupler ce territoire. On pourrait imaginer que les communes puissent salarier des berger·es pour avoir des gros troupeaux, ce qui permettrait d’assurer l’avenir professionnel de quelqu’un·e tout en sécurisant le territoire. Et puis, il faut requestionner et réorienter la PAC pour que la zone méditerranéenne soit reconnue comme étant un espace en « situation de handicap climatique majeur » comme les zones de montagnes sont des espaces en « situation de handicap naturel majeur ».

Comment gérer le manque d’eau qui va continuer à poser problème ces prochaines années ?

Laurelle : En 2020, au sortir du confinement, il y avait tellement d’eau dans la Berre que nous l’avons descendue en kayak sur dix-huit kilomètres. Depuis, la Berre comme les autres rivières sont à sec. Cette sécade est autant conjoncturelle que structurelle. J’ai vécu les inondations de 1999 à Portel et cela reste un traumatisme. Jusqu’à maintenant ce sont surtout des problématiques de « trop d’eau d’un coup » qu’il fallait gérer, d’où le fait de voir des parcelles agricoles systématiquement drainées. Avec les sécheresses consécutives et maintenant le feu, il nous faut repenser cette stratégie. Sortir de l’ère du drainage pour penser l’ère de la réhydratation. Ces replantations d’arbres et de haies peuvent être pensées selon les techniques de l’hydrologie régénérative comme le keyline design5 qui permet de ralentir l’écoulement de l’eau et favorise l’infiltration. J’ai été formée à ces techniques qui viennent d’Australie il y a plus de dix ans, aujourd’hui plusieurs domaines viticoles locaux se tournent vers l’hydrologie régénérative pour retrouver des rendements satisfaisants.

Pour retrouver le rôle d’éponge du sol, outre sa structure, les couverts et son taux de matière organique, il faut pouvoir le reconnecter aux rivières et ruisseaux. Or, nous héritons de rivières malades qui oscillent entre trop d’eau ou pas assez, et qui sont entrées dans un cycle d’autodégradation à chaque crue qui les déconnecte du sol. L’eau de pluie ne fait qu’y passer à toute vitesse… Ce cycle peut-être renversé en favorisant la re-sédimentation latérale des cours d’eau là où c’est possible. Des expérimentations qui ont été faites sur des rivières à sec en Californie ont permis de les refaire couler en continu au bout de quatre ans ! L’eau, au lieu de mettre six minutes à parcourir un kilomètre a mis vingt jours… C’est ce qu’on appelle augmenter le temps de résidence de l’eau. Ici, on a très peu de pluviométrie annuelle et c’est vrai que depuis quelques années, on n’a plus ces épisodes méditerranéens, mais ils peuvent revenir à n’importe quel moment et il faut être prêts à accueillir cette grande quantité d’eau pour et la retenir dans notre territoire. Il n’y a pas de solutions miracles, mais plusieurs stratégies et techniques peu coûteuses, à la portée de tous et toutes, qui additionnées les unes aux autres peuvent réhydrater nos terres. En tant qu’association du milieu agricole, on pourrait être l’interface entre les institutions gestionnaires des milieux (forestiers, agricoles, rivières), et les habitant·es qui pourraient avoir envie de s’impliquer et de participer à des chantiers sur leur lieu de vie pour le sortir du désert dans lequel il s’enferme.

Karine : Beaucoup de choses peuvent passer par l’éducation populaire. Discuter avec les habitant·es, c’est une manière qu’ils s’approprient leurs paysages et qu’ ils puissent défendre par exemple le fait qu’il y ait des brebis autour de leur village… Les chasseurs aussi aiment leur territoire, le connaissent et ne veulent pas le quitter, ça fait un dénominateur commun. À partir de là, on peut travailler ensemble et ne pas parler uniquement de ce qui nous confronte, mais de ce qu’on a en commun, ce territoire qu’on partage et qu’on a envie de défendre.

Propos recueillis par Chispa / photos : Lise

paysage brûlé des Corbières

  1. Les plantes pionnières sont les premières à s’installer dans un espace dénudé ou dégradé par la déforestation, les incendies, les éruptions volcaniques etc. ↩︎
  2. Un pyrophyte est une plante dont la propagation, la multiplication ou la reproduction sont stimulés par le feu. ↩︎
  3. www.ap11.fr ↩︎
  4. www.chemincueillant.org ↩︎
  5. Le keyline design est une méthode de conception agricole et paysagère, qui vise à faire le meilleure usage de la gravité par l’optimisation de la répartition et de la circulation des eaux de ruissellement sur l’ensemble d’un parcellaire pour stopper les phénomènes érosifs et augmenter la perméabilité des sols. ↩︎

Semer ensemble le paysage de demain

Si vous êtes propriétaires de friches (jeunes ou anciennes), ou de parcelles agricoles cultivables dans la zone incendiée, si vous avez du matériel de travail du sol à mettre à disposition, si vous avez des semences, ou si vous voulez juste venir avec l’envie de contribuer à ces journées de semis, vous pouvez vous inscrire sur la page ci-après. L’équipe de coordination prendra contact avec vous pour vous mettre en lien les un·es les autres, et pourra apporter de l’aide technique, humaine ou matérielle. Plusieurs tonnes de semences sont à distribuer.

« Refleurir les Corbières » sur www.beauregard-tlp.fr