Défaire la Coordination Rurale 47
Peu connue jusqu’alors, la Coordination Rurale a percé nationalement depuis que sa section du Lot-et-Garonne (CR 47) a appelé à bloquer Rungis en pleine contestation des agriculteurs. Dans son fief, le syndicat participe au renouveau d’un mouvement identitaire paysan et cultive une haine de « l’écolo » avec des méthodes parfois violentes.
Début février à Agen, alors que la colère agricole n’est pas redescendue, 1500 personnes galvanisées se retrouvent à l’Assemblée Générale de la CR 47 : « Il y a vingt ans, on était une centaine. Aujourd’hui, on est dix fois plus » (1). Depuis que le syndicat dirige la chambre, remportée en 2001, il n’a cessé de gonfler son score : de 43 % des suffrages en 2013, il en obtient 60 % en 2019, la victoire la plus massive sur le plan national. Comment expliquer une telle montée en puissance ?
Virée en terre brune
La Coordination rurale est issue d’une scission avec la FNSEA suite à des désaccords sur la Politique Agricole Commune en 1992. « Une coordination s’est créée dans le Sud-Ouest avec des militants de la Confédération paysanne, du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), proche des communistes, des dissidents de la FNSEA et des paysans non syndiqués. C’était un mouvement construit sur la contestation du modèle dominant et qui a pris de l’importance » (2), explique Christian Crouzet, ancien porte-parole de la Confédération paysanne 47. En 1995, « une partie de la CR s’est transformée en un nouveau syndicat, accentuant la division des paysans, c’est la partie droitière du mouvement qui en a pris la tête. ».
La CR 47 est la première branche locale de ce syndicat, et elle se distingue très vite de l’instance nationale par sa radicalité et ses actions violentes. N’affichant pas de couleur politique, la CR est cependant perçue pour être à droite, voire à l’extrême droite. Véronique Le Floc’h, la présidente de la CR nationale, indiquait ainsi sur France Inter le 20 janvier 2024, que si tout le monde avait les idées du Rassemblement national en matière agricole, « on pourrait aller dans le bon sens ». Entre le RN et la CR, une proximité idéologique et des accointances locales sont palpables, à l’image de Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne et leader du syndicat, qui a déclaré à Mediapart qu’il voterait pour Jordan Bardella aux européennes. Sans compter que son fils a longtemps été une figure du parti de Marine Le Pen (3).
Un syndicat pro-bassine
Partisan inconditionnel de toutes les retenues d’eau, Serge Bousquet-Cassagne s’est impliqué personnellement dans la réalisation d’un immense lac collinaire illégal dans le département, le lac de Caussade. Le projet de retenue d’eau de 900 000 m3 porté par la chambre d’agriculture avait d’abord été validé par la préfecture en 2018, puis retoqué en septembre sur pression des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique. Serge Bousquet-Cassagne et la CR 47 ont quand même décidé de le réaliser, menaçant quiconque se mettrait en travers de leur route : « L’eau du lac irriguera nos champs, comme le sang irrigue notre corps, vitaux tous les deux. Si l’une est versée, le nôtre le sera aussi » (4).
Denis Barrault, ancien directeur de la chambre d’agriculture du département, se souvient : « Le passage en force a fait la promotion de la CR 47. L’État a été inconséquent dans cette affaire et a été incapable de s’opposer à lui. » (5) Depuis, Serge Bousquet-Cassagne et l’ex-président de la CR 47 ont été condamnés à de la prison avec sursis et la chambre à une amende. Le lac, lui, est actuellement en voie de régularisation. L’annonce, faite à quelques jours du Salon de l’agriculture, a été perçue comme un geste du préfet pour apaiser la colère des agriculteurs suite aux mobilisations des dernières semaines. France Nature Environnement dénonce alors un « État complice, qui a peur de la Coordination rurale » (6).
Des méthodes radicales
L’action violente fait partie de l’identité de départ de la Coordination rurale, selon l’historien Édouard Lynch : « Dans les années 1980, la FNSEA a pour partie pacifié ses actions. La Coordination rurale a repris le répertoire plus musclé des dégradations matérielles, des actions hautes en couleur à la forte visibilité médiatique comme les cadavres d’animaux. Et puis, on retombe sur l’idéologie agrarienne : le paysan est un costaud, il est masculin, presque viriliste et ne craint pas l’affrontement physique.»(7) Les slogans du syndicat reflètent cette posture : « Foutez- nous la paix, laissez-nous travailler ! », « Hulot : de l’eau et du glypho ! » ou encore « L’écologie sans les écologistes ! ». Ainsi en mars 2023, lors de la venue dans le département de la secrétaire nationale des Verts Marine Tondelier, Bousquet-Cassagne l’a traquée, déversant du lisier là où il espérait la trouver. « Ma poule, tu t’es encore échappée. Je vais t’attraper et te plumer… »(8) l’avait-il menacée par téléphone. Il lui reprochait notamment sa participation à la manifestation de Sainte-Soline.
Dérive identitaire vs lutte des classes
La CR se bat à la fois contre la mondialisation et les mesures écologiques : moins d’impôts, moins de démarches administratives, moins de normes, à quoi s’ajoute une critique virulente des mesures environnementales. Elle profite du désarroi des agriculteurs pour développer un sentiment identitaire paysan. « Serge Bousquet-Cassagne aime se comparer à un chef de meute et répéter que les paysans sont seuls contre tous. Cela plaît. Nous [La Conf’], nous demandons aussi que les paysans décident de leur avenir, mais avec un programme syndical et un projet agricole cohérent, ce que ne fait pas la CR 47 »(9), décrit Christian Crouzet.
Comment dès lors penser l’action de la Confédération Paysanne de manière à visibiliser une ligne de conflit au sein du paysage syndical, en dissociant les identitaires des forces sociales émancipatrices ? Selon les opposant·es à la ligne très à gauche du syndicat qui s’est réaffirmée lors du dernier congrès, le combat contre les mégabassines aurait pu creuser un fossé avec certains agriculteurs. Thomas Gibert, l’un des secrétaires nationaux de la Conf’, nuance pourtant : « J’ai d’abord craint que notre implication dans les Soulèvements de la Terre et le mouvement anti-mégabassines nous ait isolés. Mais je me suis vite raisonné : ce que nous avançons est fédérateur. On travaille depuis longtemps à ce que les paysans prennent conscience de leur appartenance de classe »(10).
Alors, comment construire l’agriculture de demain, à l’heure où l’extrême droite laboure la campagne ? « On va voir sur la longueur, mais beaucoup estiment que les troupes de la FNSEA ne croient plus vraiment en leur direction », exprime Thomas Gibert. « Certains ont déchiré leur carte et rejoignent la Conf’, d’autres la CR… »(11). Il y a quarante ans mourrait Bernard Lambert, qui a écrit Les Paysans dans la lutte des classes (1970), un classique qu’il faudrait remettre au goût du jour…
Texte : Lilian Louvert / Photo : Lise
1 : « Agen : l’assemblée générale hors norme de la CR 47 », Sud Ouest, 10/02/2024.
2 : « Serge Bousquet-Cassagne, l’agriculteur qui fait sa loi dans le Lot-et-Garonne », Reporterre, 12/06/2023.
3 : « Anti-écolo, anti-FNSEA : la Coordination rurale, le syndicat qui attise la colère agricole », Médiapart, 28/01/2024.
4 : Barrage de Caussade : histoire d’un projet illégal et dangereux pour le Lot-et-Garonne, www.fne.asso.fr, 23/06/22. 5 : Ibid.
6 : Sud Ouest, 25/11/23.
7 : « Virile, anti-écolos, protectionniste … que défend la Coordination Rurale ? », Reporterre, 19/02/2024.
8 : Ibid.
9 : Ibid.
10 : « Tordre le bras à la grande distribution », entretien avec Thomas Gibert, CQFD, mars 2024.
11 : Ibid.