Créer des bases arrières… municipales ?

Faut-il mettre de l’énergie militante à l’échelon municipal ? La question revient à l’aube de la campagne qui s’annonce pour les élections de mars. Si les départementales et les régionales n’intéressent pas grand monde et si les élections nationales sont réservées aux partis et à leurs partisan·es, les municipales et la possibilité de la « prise » d’une mairie mobilisent parfois davantage les militant·es associatifs, syndicaux et politiques, jusqu’aux milieux libertaires. Pourtant la gestion d’une commune au quotidien, l’application des directives de l’État, ou la nécessité de compromis et de négociations – notamment au niveau intercommunal – en font une institution et un échelon où la possibilité de transformation sociale est réduite.. Évidemment, une équipe municipale déterminée peut faciliter énormément de choses pour les mouvements sociaux et les associations militantes, ou sur le plan de la solidarité. Elle peut être à l’initiative de projets et de décisions qui vont dans le sens d’une gauche sociale, écologiste, féministe et antiraciste. Mais elle fait face bien souvent à un environnement très contraignant et chronophage.
La dynamique des « listes participatives citoyennes » s’est popularisée en 2020. Parmi les 600 listes revendiquées alors, nous écrivions déjà à l’époque qu’il y avait à boire et à manger. Il faut dire que l’adjectif participatif n’est pas des plus appropriés, puisque la démocratie participative telle qu’elle est appliquée depuis des décennies est une farce. Néanmoins pour ce mouvement, il faut l’entendre dans le sens d’une réelle participation – bien que cela dépende des différents degrés de « partage du pouvoir ». Mais cela n’augure en rien les positions politiques de ces listes. La coopérative Fréquence commune énonce des objectifs comme la réappropriation de l’eau, de l’alimentation, des terres agricoles, la création d’espaces d’expérimentation démocratique, d’auto-organisation et d’autonomie, ou la mise en place de politiques féministes. Mais cette base politique est souvent mise en arrière plan, derrière la vitrine un peu écrasante du fonctionnement « participatif » qui constitue en bonne partie l’alpha et l’oméga de ces mairies.
On aurait préféré la référence à des listes « communalistes », avec des inspirations plus directes à la pensée de Murray Bookchin1 ou aux Gilets jaunes de Commercy, par exemple. Car derrière ce « participatif » ou ce « citoyen », le danger est d’aboutir à un « recyclage de la social-démocratie »2, d’après Floréal M. Romero. Elias Boisjean, de la rédaction de Ballast, affirmait ainsi : « Il ne fait pourtant aucun doute que Bookchin misait sur l’échelon électoral municipal pour permettre aux assemblées de mettre la main sur villes et villages. Seulement voilà : c’était un levier, non une fin en soi ». Car Bookchin théorise l’avènement d’une révolution sociale, basée sur les communes sans se « borner à une simple pratique électorale ». Selon lui, « la seule solution qui existe, c’est de le détruire [le capitalisme], car il incarne tous les maux — des valeurs patriarcales à l’exploitation de classe »3. Ainsi Floréal M.Romero estime qu’il est envisageable de prendre des municipalités, « mais cela suppose d’avoir créé un rapport de force à notre avantage, grâce à un vaste mouvement structuré qui contient, en germe, nos propres institutions parallèles ! »4
Julien, contributeur à l’Empaillé, nous confiait une position intermédiaire : « Murray Bookchin misait sur le municipalisme radical, par en bas ; Frédéric Lordon insiste sur la prise du pouvoir central, par en haut. Peut-être faut-il articuler les deux : faire des communes des foyers de pouvoir populaire capables, en se fédérant, de peser sur l’État. Ni îlots autarciques, ni simples relais administratifs : des points d’appui pour transformer la société ». Et surtout rester connectés, entre ceux et celles qui se jettent corps et âmes dans un communalisme militant, et ceux et celles qui préfèrent des formes d’organisations autonomes à l’institution municipale ?
- Théoricien états-unien du communalisme libertaire (1921-2006) ↩︎
- Agir ici et maintenant, penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, Éditions du commun, 2019 ↩︎
- Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté, Ecosociété, 2011. ↩︎
- Floréal Romero : « Communalisme : se doter d’une organisation », entretien à Ballast, 18 mai 2020. ↩︎

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