Numéro 11 Régional

C’est moi qui l’a dit, c’est moi qui l’est

Tout démarrera par une énième soirée solo. J’ai préparé une super playlist. Du punch, bien traître
comme on l’aime. Des drogues en tout genre et la déco. À 21h pile, la soirée commence. Je discute,
je m’offre un verre et, en retour, je m’offre une cigarette. La soirée commence bien. Je me mets à
danser. À un moment, je me propose un peu de cocaïne. Une fois n’est pas coutume, j’accepte. J’ai
l’impression de mieux m’exprimer, de mieux danser. Je me dis « waouh ! tu danses vachement
bien ! ». Je réponds « oui, je sais, je danse vachement bien ». J’apprécie ma franchise et me
demande mon prénom. Mon prénom aussi me plaît. Décidément c’est une bien chouette soirée.
Je demande qu’on mette Amy Winehouse. J’accepte avec plaisir. Je me ré-invite à danser, cette
fois-ci je danse plus serré, plus collé, plus collé-serré. Tout à coup, et sans que je m’y attende, je
me dis « j’ai très envie de m’embrasser ». Je m’embrasse. Décidément cette soirée est très cool.
Dommage, les voisins viennent sonner et menacent d’envoyer les flics. Je finis mon verre, j’arrête
la musique, je prends mon numéro. Puis gentiment je me mets dehors.

Trois jours plus tard, je me revois. Je suis content. J’ai l’air content moi aussi, même si quelque
chose me trouble. Je marche main dans la main dans les rues d’une ville que je trouve de
nouveau magnifique. « C’est beau, toutes ces lumières… », « oui, c’est beau… ». Je suis content.
J’ai l’air content moi aussi mais le trouble persiste. Alors, deux jours plus tard, je m’écris une lettre.
Je la lis. Je suis d’accord sur toute la ligne. Moi non plus je n’ai aucune envie de m’investir dans
une relation si sérieuse et qui plus est à durée indéterminée. Grâce à cette lettre, désormais les
choses sont largement plus claires. Tout démarrera par une énième soirée solo. J’ai préparé une
super playlist. Du punch, bien traître comme on l’aime. Des drogues en tout genre et la déco. A
21h pile, la soirée commence. Je discute, je m’offre un verre et en retour je m’offre une cigarette.

La soirée commence bien. Mais tout à coup et sans que je m’y attende, je m’ennuie. Je me l’avoue,
je me le dis, « je m’ennuie ». Je le prends mal. « Je m’ennuie, je m’ennuie, tu as qu’à dire que je
m’emmerde pendant que tu y es ! ». Le ton monte. Je ne m’ennuie plus. Je me dispute. Je ne
m’ennuie plus puisque je me dispute. Ça m’occupe. Mais tout à coup, et sans que je m’y attende
je me dis « j’ai très envie de te frapper ». Je me frappe. Ou plus exactement j’essaie de me frapper
puisque j’esquive. Je demande qu’on mette Amy Winehouse. Je dis « c’est pas du tout le
moment ! » et me traite d’ordure. Je réponds « ordure moi-même ! ». Ça m’énerve encore plus
alors je me traite de merde. Je réponds « c’est moi qui l’a dit, c’est moi qui l’est ». Ça m’énerve
encore plus et le ton monte encore alors, j’insulte ma mère. En réponse, avec mes deux index je
fais la croix. Mais je le prends mal, très mal, et me rappelle soudainement l’existence du rugby.
« Souviens-moi du rugby ». Des plaquages. « Souviens-moi des plaquages ». Je suis mon conseil
et je me plaque. Une fois au sol je me susurre « c’était quand même plus cool la dernière fois ».
Je réponds « oui, carrément plus cool ». Je suis au sol et je pleure. Je me console. Je m’offre une
cigarette et je me mets dehors.

Trois jours plus tard, je me revois. Je suis méfiant. J’ai l’air méfiant, moi aussi, alors je ne me regarde pas. Me regarder me rappellerait une sale soirée, et mes yeux ne sont pas assez souples. J’essaie quand même mais ça fait mal. Je marche mains dans les poches dans les rues d’une ville que je trouve de nouveau repoussante. Je me suis croisé, mais ouf… sans m’en apercevoir. Je me soulage. Mais tout à coup, et sans que je m’y attende je me dis « j’ai très envie de faire un foot ». C’est un sport qui me plaît. J’accepte avec plaisir et je sors un ballon. Le ballon aussi me plaît. C’est une bien chouette soirée. Le terrain est splendide et le public nombreux. Je m’encourage. Je chante et scande mon nom. Je mets mon sifflet dans la bouche et, à 22h pile, le match commence. « Allez ! Allez ! ». Je suis bouillant. J’ai l’air bouillant moi aussi même si mes résultats récents sont médiocres. Je fais tourner le ballon. Une passe. Deux passes. Trois passes puis quatre, mais tout à coup, et sans que je m’y attende, je me tacle. Le tacle est violent et je me blesse. Je tente de calmer les esprits, je me sépare et sors un carton jaune. Je demande le rouge, me traite d’assassin et en aucun cas ne m’excuse. Je me demande un peu de clémence mais la blessure est trop grave. Je sors le carton rouge. Je proteste mais il est trop tard, ma décision est prise.

Je m’expulse.

Tout démarrera par une énième soirée solo, j’ai préparé une super playlist, du punch, bien traître
comme on l’aime. La déco. A 21h pile, la soirée commence. Mais je n’ai pas de cocaïne.
Aujourd’hui je ne me suis pas livré. Je cherche mon numéro. Je m’appelle pour savoir si j’ai ce
qu’il faut mais tombe sur ma messagerie. « Salut, il y a ce qu’il faut ? ». Je m’appelle à nouveau
et tombe à nouveau sur cette putain de messagerie. Je m’agace. Je m’encolère, je m’en veux puis
je m’attriste en écoutant les messages. Je me fais pitié. Et moi qui exècre la pitié, voilà qu’en plus
de m’offrir la mienne, je dois la recevoir ! D’une main, je mime une arme que je plaque contre ma
tempe mais ne tire pas. De l’autre je mets Amy Winehouse. Non, finalement je mets Nina Simone.
« Oh lord, please don’t let me be misunderstood ». Je m’offre une cigarette et, en échange, je me
caresse le ventre. Je fume et je m’excite. Je me dis « waouh, tu fumes vachement bien !». Je
réponds « oui, je sais, je fume vachement bien ». Je pose ma clope et me propose un pacte. Ni
moi ni moi ne parlerons de ce qui se passe lors de la scène suivante. Je suis d’accord sur toute la
ligne. Le pacte prévoit de résumer la scène suivante à la phrase je passe du bon temps.

Je passe du bon temps. Et je m’endors.

Trois jours plus tard, l’appartement est un capharnaüm. Je dis « waouh, tu parles vachement bien !». Je réponds « oui, je sais, je parle vachement bien !». Je ne suis pas loin de me mettre au ménage mais tout à coup, et sans que je m’y attende, j’organise un concours de synonymes. Je fais un chifoumi pour savoir qui commence. La pierre broie les ciseaux donc c’est moi. Je suis content. J’ai l’air content moi aussi mais je suis mauvais joueur alors je demande « on allait pas en trois ? ». Je réponds « non », sur un ton calme et néanmoins axiomatique. Mon ton est le bon puisque j’accepte les règles sans débattre et c’est donc moi qui commence. Je dis « à quoi on joue déjà ? ». « Aux synonymes ». « Ah, oui, les synonymes ». Je dis foutoir, je dis bien joué puis je dis bazar, je dis facile ! et je dis désordre, je dis merdier, je dis chantier, bastringue, je dis souk et je dis fourbi. Je dis là c’est cool ça commence à pas être évident puis je dis bouillabaisse.

5 à 5. Égalité. Égalité parfaite. Fin de partie. Je me sers la main et me tapote l’épaule. Je dis « bien joué, c’était une chouette partie !». Je réponds « oui, une chouette partie, et waouh quel suspense ! ». Je me propose une revanche mais le bruit d’une casserole qui percute le carrelage de la cuisine me coupe grossièrement la parole. La malotrue rebondit trois fois puis se stabilise. Je me dis « woooh, j’ai eu peur !». Je réponds « la cuisine… commence par la cuisine ». Je me suggère d’aller chercher un balai, une pelle et des sacs poubelle. Je dis « oui, ok, mais pourquoi moi ? ». « Pourquoi toujours moi ? ». Le ménage commence mal. L’ambiance n’est pas bonne. Et bosser dans ces conditions, très peu pour moi. Je dis « si c’est comme ça, je fais rien ». Je réponds « et moi si c’est comme ça, je fais rien ». J’analyse la situation et conclus en déclarant « bon, écoute moi, si c’est ça je fais rien ».

Je boude. Je me le montre. Je me montre que je boude. Je croise les bras à la hauteur de ma poitrine. Je tourne ma tête à quatre-vingts degrés vers le côté opposé à mon interlocuteur en fixant durablement et ostensiblement un point précis mais quelconque. Je dis « tu boudes ? ». Je réponds « non… ». Je dis « si, tu boudes ! ». Je réponds « pfff… n’importe quoi… ». Narquois je poursuis, « oh, il boude… ». Je me cherche. Je réponds « j’te dis que non ! ».

L’ambiance n’est pas propice au ménage alors, tout à coup, et sans que je m’y attende, j’allume
l’ordinateur pour chercher un emploi. Deux heures plus tard, j’ai appris des tas de choses sur
l’intelligence des pies. Des tas de choses dont je ne me souviens pas. Et j’ai revu Koko, la femelle
gorille qui parle un peu la langue des signes. J’ai appris qu’elle était morte et j’ai trouvé une offre
d’emploi. Agent de nettoyage. Je dis « waouh, retour aux sources ! ». Je m’apporte ma trousse et
gentiment me la dézippe. Je dis « merci ». Je m’apporte une feuille blanche A4, et un stylo que je
me débouche en déclarant : « maintenant, à toi de jouer ».

*

Madame, Monsieur,


d’abord vous dire que votre entreprise de nettoyage a l’air géniale, vraiment très belle.
Vous dire également que j’adore son nom, « Net’ éclair », qui démontre que nous, les agents de
nettoyage, pouvons aussi avoir de l’imagination. D’autre part, je trouve votre logo très réussi
(est-il de vous ?) et votre charte graphique impressionnante. De mon côté, force m’est de constater
que je suis ponctuel, dynamique, équilibré, rigoureux et élégant, jamais malade et très musculeux.
Toujours en pleine forme. Parfaitement masculin lorsqu’il s’agit de porter des charges lourdes ou
de rire à des blagues de chantiers et plutôt féminin lorsqu’il s’agit de peaufiner le travail ou de
porter soin à mes collègues. Vous dire également que recevoir des ordres est l’une de mes plus
grandes passions, et ajouter que, si elles devaient advenir – ce qui m’étonnerait beaucoup –
j’accepte volontiers les sanctions lourdes. Vous dire aussi que je sais me remettre en question et,
si j’ose dire, me remettre en réponse en le prouvant par les actes. Vous dire aussi que le salaire
au SMIC me paraît idéal et que de toute façon je pense ne pas mériter mieux. Vous signaler
également que j’adore donner le meilleur de moi-même en toutes circonstances et même me
dépasser en prouvant que rien n’est impossible à qui se donne à fond, vous dire que j’aime
transpirer, avoir soif et m’essouffler dans des caves insalubres. Vous dire également que, par-
dessus tout, je kiffe le travail d’équipe, particulièrement lorsqu’il est géré de manière verticale,
que je me plie avec souplesse aux règles de cette verticalité, sachant tout aussi bien jouer profil
bas devant mes supérieurs que maltraiter mes inférieurs afin qu’ils s’endurcissent.
En résumé, si je puis me permettre, il me paraît évident que Net’ éclair et moi sommes faits l’un
pour l’autre.


Cordialement,
votre déjà dévoué

*

Je suis content. Je l’ai écrite. J’ai l’air content moi aussi alors je me tape dans la main. Je tape une fois. Deux fois. Trois fois puis quatre et de plus en plus vite ; je m’applaudis. Je loue mon courage et salue ma détermination. Je relis la lettre par plaisir mais aussi pour vérifier que je n’en fais pas trop. Je dis « ponctuel » et je souris. Je dis « rigoureux » et je rigole. Je dis « élégant » et je suis mort de rire. Je dis « équilibré » et sans que je m’y attende, je chute. Décidément, cette chaise est pourrie. Je me tends la main pour me relever mais piteusement je re-tombe. Je me relève. Et cette fois-ci ça marche. Je me dis « merci ». Je m’offre ce « merci ». Je me remercie chaleureusement pour ce « merci ». Je suis poli. Tout démarrera par une énième soirée solo. J’ai préparé une super playlist. Du punch, bien traître comme on l’aime. Des drogues en tout genre et la déco.

À 21h pile, la soirée commence. Je discute, je m’offre un verre et, en retour, je m’offre une cigarette. La soirée commence bien. Je me mets à danser. À un moment je me propose un peu de cocaïne. Deux fois fois n’est pas coutume, j’accepte. J’ai l’impression de mieux m’exprimer, de mieux danser. Je me dis « waouh ! Tu danses vachement bien ! ». Je réponds « oui, je sais, je danse vachement bien ! ». J’apprécie ma franchise et me demande mon prénom. Mon prénom aussi me plaît. Décidément c’est une bien chouette soirée. Je demande qu’on mette Amy Winehouse. J’accepte avec plaisir. Je me ré-invite à danser, cette fois-ci je danse plus serré, plus collé, plus collé-serré. Mais tout à coup, et sans que je m’y attende, mon regard tombe sur une feuille A4 blanche avec écrit Madame, monsieur, d’abord vous dire que votre entreprise…

Et merde, je ne l’ai pas envoyée. Je me dis « tu l’as pas envoyée ? ». Je réponds « tu m’as rien
demandé ! ». Je réplique « oui, je sais, mais c’était… logique ». Je rétorque « non, pas forcément ». Je déclare « c’en est trop ». Je ferme les yeux, m’annonce la nouvelle et je pleure. Je me sépare. Tout un film défile sur l’écran trempé de mes paupières. Je dis « waouh, c’est vachement beau ! ». Le film est absolument sublime et l’acteur principal est une vraie bête. C’est un lion, un cerf, une sorte de zèbre ou de petit poney.

Tout démarrera par une énième soirée solo. J’ai préparé une super playlist. Du punch, bien traître comme on l’aime.

Texte : Fabien Drouet / Illustration : Pierro