Après le chaos
Le 5 août dernier au crépuscule, je ne suis pas dans mon village lorsque tout brûle. Je suis de l’autre côté du col, chez une copine. Nous scrutons l’horizon écarlate et respirons la tramontane suffocante de fumée, nos pensées tendues vers les ami·es resté·es là-bas, injoignables au milieu du brasier. Trois jours suspendus à des nouvelles qui arrivent par bribes : elle est vivante, lui aussi, il a perdu sa maison, les routes sont coupées, on a retrouvé le chat, la montagne est calcinée, les vignes sont perdues. À la lisière de la catastrophe, nous servons d’interface entre les Corbières recluses et le reste du monde qui s’inquiète. Le téléphone sonne sans cesse, c’est étourdissant. Mais peu à peu j’assiste à travers mon écran à la naissance progressive d’un réseau d’entraide qui mobilise les paysan·nes, les habitant·es, les voisin·es. Des milliers de messages pour se serrer les coudes, au-delà des affinités, des appartenances politiques ou syndicales. Je sens que quelque chose de très fort est en train de se mettre en place. Certes, le retour à la maison est une épreuve, plus de 17 000 hectares sont anéantis, les personnes sont choquées, certaines scrutent le ciel sans cesse et sursautent au moindre bruit. Et pourtant, dans les rues de mon village, les gens s’arrêtent, discutent, prennent le temps de l’accolade, du sourire, du mot qui soigne.
Le temps file et déjà il faut commencer les vendanges de ce qui n’a pas brûlé. Alors on ne réfléchit pas trop et on fonce tête baissée vers la suite. Pendant un mois, on accueille, on cuisine, on coupe nos raisins, et on va en chercher ailleurs pour celles et ceux dont les parcelles sont parties en fumée. On met en cuve, on presse, on boit, on mange, on fait famille. Dans ce paysage couleur d’encre, des éclats de rire fusent dans la nuit. On verra bien.
Maintenant les vendanges sont terminées, quelques petites pluies ont lessivé le noir, et ce qui reste de la végétation calcinée est maintenant d’un joli brun-roux. Ça va bien avec l’automne. L’odeur de suie est toujours tenace par endroits mais des touffes d’herbes vertes surgissent déjà çà et là, et les cannes de Provence toutes neuves donnent un air tropical au lit de la rivière.
Lorsque tout brûle … on s’organise !
Régénérer la terre
