Numéro 13 régional

Deux rapports sabotent « l’agrivoltaïsme »

L’industrie photovoltaïque se base sur un argument essentiel pour justifier le déploiement des panneaux solaires sur des hectares de terres : ceux-ci rendraient des services aux cultures agricoles. Hélas, deux rapports confidentiels tombés entre nos mains remettent en cause le mirage d’une agriculture à l’ombre des panneaux métalliques.

 

Produire à la fois de la nourriture et de l’électricité renouvelable sur une même parcelle : telle est la promesse séduisante des promoteurs de « l’agrivoltaïsme ». Cette notion controversée se base sur l’idée qu’en faisant de l’ombre, ces panneaux métalliques permettraient de lutter contre la sécheresse, d’économiser l’eau ou encore de protéger les animaux. Ce concept a été inventé par Christian Dupraz, chercheur à l’INRAE, et Antoine Nogier, PDG de Sun’agri (Cf. ci-contre). Rachetée en 2022 par le groupe Eiffage, cette entreprise vend une technologie qui permet de piloter l’inclinaison de panneaux solaires à distance via un programme d’intelligence artificielle : le nec plus ultra ! En mars 2023, la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER) définit pour la première fois cette notion floue : une installation « agrivoltaïque » doit « augmenter le potentiel agronomique, adapter au changement climatique, protéger contre les aléas et améliorer le bien-être animal ». Pourtant nous avons pu consulter deux rapports qui mettent en doute la réalité de ces prétendus services rendus à l’agriculture.

Court-jus dans les vergers de Sun’agri

En des termes alambiqués, la loi Aper demande aux projets « agrivoltaïques » « d’améliorer le potentiel et l’impact agronomique ». Or dans ce rapport interne de janvier 2023, Sun’agri alerte lui-même sur un ensemble de « risques associés à une diminution trop importante des rayonnements » à cause des panneaux. Ainsi, sur la première parcelle expérimentale installée en 2019, l’entreprise a piloté l’inclinaison des panneaux en leur faisant suivre la course du soleil en permanence. En trois ans, la croissance des troncs des pommiers a ralenti de 30 % en moyenne. Cette « forte diminution reflète que cette stratégie [de pilotage] n’est pas pérenne », admet cette étude interne. Car non seulement l’installation rend les arbres moins vigoureux, mais elle semble « augmenter la chute des jeunes fruits. » Oups... Et ce n’est pas tout ! Même quand Sun’agri pilote les panneaux de manière à réduire l’ombre, les feuilles des fruitiers en-dessous sont « plus grandes et plus fines, ce qui est associé à des risques de pertes d’eau par transpiration et de sensibilité aux ravageurs. »

Pire encore, l’entreprise constate que ces installations n’améliorent même pas le rendement ! En moyenne, elles vont au mieux le maintenir et souvent le baisser. Ainsi, entre 2019 et 2022, les pommiers ont produit en moyenne 28 tonnes par hectare et par an contre 40 tonnes sur la zone témoin, soit une baisse de rendement de 30 % ! Idem pour les cerisiers dont le rendement a stagné tandis que celui des nectariniers a diminué de 21 % par rapport aux témoins.

La loi est si bien faite qu’elle autorise un moindre rendement s’il est alors compensé par une « amélioration qualitative » des fruits cultivés sous des panneaux. Malheureusement les faits sont tenaces, les fruitiers tirent la tronche. Les ingénieurs de l’entreprise ont en effet constaté que « la qualité des fruits reste inférieure aux fruits témoins ». Les arbres captent moins de carbone, ce qui fait baisser la concentration en sucres des fruits de 20 % en moyenne sur les trois premières années. Les pommes sont moins sucrées et contiennent une plus grande proportion d’eau. Les cerises et les pommes sont également moins colorées. Et le poids des nectarines subit une baisse de 9 et 14 %. Enfin, tandis que les panneaux ont diminué les coups de soleil sur les fruits ainsi que les attaques de chenilles foreuses, en revanche, « les dégâts de bitter, de punaises et ceux dus aux traces de doigts lors de la récolte sont à surveiller car favorisés sous agrivoltaïsme », alerte le rapport. Ce dernier précise aussi que « les dégâts d’oiseaux et de punaises ne sont pas observés sur la modalité témoin »…

Sun’agri patine sous les panneaux

Voyons si les ingénieurs vont réussir à démontrer que leur technologie permet de cocher les cases de la « protection contre les aléas » et de « l’adaptation au changement climatique ». Car un épisode de gel au printemps peut détruire les fleurs, et ainsi mettre à mal la production d’un fruitier. Mais « si on regarde l’effet des panneaux photovoltaïques sur la température de l’air, on observe très peu d’effets », admet Sun’agri, dommage ! Sur les nectarines, les panneaux n’ont pas évité la nécessité d’avoir recours à des bougies et ont un effet minime par rapport à celles-ci : les panneaux ont réchauffé l’air de 0,3°C contre 2°C avec les bougies.

Finalement, on réalise avec ce rapport que les dégâts du gel seraient limités surtout par… un retard de croissance des arbres sous les panneaux ! Et oui, coup de bol pour l’agrivoltaisme, comme la croissance des arbres est ralentie, les fleurs sont à des stades moins avancés au printemps, et en mars 2020 ce retard « a permis de limiter la sensibilité au gel des fleurs ». Mais est-ce qu’un choix de variétés plus tardives ne ferait pas l’affaire ? En tous les cas, cet effet indirect n’a pas empêché le rendement des pommiers de diminuer de 27 % par rapport aux témoins en 2020. Un seul cas fait exception : en 2021, les pommiers sous les panneaux ont été moins affectés par le gel que ceux témoins. Dans tous les autres épisodes de gel, les rendements de vergers baissent sous les panneaux.

Alors pourquoi déployer autant d’acier ? Même Sun’agri semble en reconnaître l’absurdité en expliquant que « les méthodes de lutte passive, préventives [contre le gel] sont les plus économiques et les plus efficaces : choix de la parcelle, choix de la variété, enherbement du sol et nutrition de la plante ». D’ailleurs, d’après Noëlle Dorion, enseignante à Agrocampus Ouest, l’agroforesterie permet aux températures nocturnes de gagner jusqu’à 3°C, tandis que les panneaux de Sun’agri peinent à atteindre bien 0,3°C.

L’effet protecteur des panneaux est-il plus net contre la canicule que contre le gel ? Si le rapport de Sun’agri mesure des températures légèrement plus faibles sous l’ombre des panneaux en juillet, il déplore que « lors d’une journée estivale ventée aucune différence significative » n’existe à cause du « vent qui homogénéise la température sur la parcelle ». C’est ballot. Quid de la production de fruits ? En 2019, l’entreprise observe que les fruits des arbres au soleil stoppent leur croissance pendant une vague de chaleur, contrairement aux fruits sous les panneaux. Enfin un effet concret ? Pas si vite. Les premiers rattrapent vite leur retard une fois la canicule finie et retrouvent « leur trajectoire initiale ».

Élevage sous tension

L’autre argument des industriels est de faire croire que l’ombre des panneaux favorise le bien-être animal. C’est même le quatrième critère de la loi Aper, permettant de distinguer « les bons projets agrivoltaïques » des « mauvais projets photovoltaïques . Mais les panneaux s’accompagnent de lignes électriques et plusieurs décisions judiciaires d’indemnisation d’éleveurs confirment les nuisances de ces dernières. Ainsi en novembre 2022, le tribunal administratif d’Alençon reconnaît que la dégradation d’un troupeau de vaches laitières dans l’Orne est « la conséquence directe et certaine » de l’installation d’une ligne souterraine moyenne tension. Cette problématique est aussi présente dans le rapport du Député centriste, Bolo, expliquant en 2021 que « la sensibilité des animaux d’élevage est supérieure à celle des humains ». Il ajoute que les expériences « permettent de comprendre les comportements des animaux d’élevage confrontés à un stress électrique : évitement de certaines zones lorsque la fuite est possible ; prostration accompagnée de conséquences cliniques, zootechniques et sur la production lorsque les animaux ne peuvent pas échapper aux perturbations électriques ; modification du comportement des troupeaux avec le développement de l’agressivité et des chevauchements chez les bovins, voire cannibalisme chez les porcs ». Charmant !

En 2022, lors de notre enquête sur les Pyrénées-Orientales (1), nous avons recueilli le témoignage édifiant d’un éleveur pourtant favorable aux centrales. Il relate que ses 54 agnelles « avaient connu le bélier deux mois avant de les avoir emmenées. Elles sont restées un mois et demi là-bas, je les ai ramenées, normalement elles auraient du agneler et sur 54 il y en a aucune qui a mis bas. Normalement j’ai toujours un carton plein. » Il ajoute : « Mes bêtes, je les change tous les jours de pâtures, quand elles ont plus d’herbe elles me suivent. Là je les ai emmenées dans les parcs, il y avait de l’herbe en pagaille et quand j’allais vers la porte elles me suivaient, elles voulaient sortir. De toute façon j’y allais, moi j’avais mal à la tête, et j’y suis allé avec des copains et ils avaient les mêmes symptômes ».

La même année, la Fondation pour la Recherche et la Biodiversité met en avant « la pollution électromagnétique générée par les câbles utilisés pour le transport de l’électricité en provenance des panneaux [qui] peut affecter les espèces très sensibles à ces champs telles que certains poissons ». Plus surprenant encore, le refus par le préfet de l’Aveyron de l’étude préalable agricole du projet Voltalia sur 60 hectares, affirmant qu’elle « n’a pas abordé la présence de champs électromagnétiques sous les panneaux et leur influence sur le comportement et la santé des animaux qui pâtureront à proximité ».

Une expertise inédite

Pour enfoncer le clou, nous nous sommes intéressés à l’étude réalisée en 2022 par le CRIIREM (2) sur un parc photovoltaïque construit par l’entreprise IEL en Mayenne. Il a fallu saisir la CADA (3) pour obtenir ce rapport que la mairie de Changé refusait de nous transmettre. Alors même que nous savons les animaux plus sensibles que les humains, ce rapport démontre que les valeurs mesurées sur les lignes électriques qui accompagnent les panneaux dépassent également les préconisations sanitaires pour les humains. Ainsi selon l’ANSES « il existe une forte convergence entre les différentes évaluations des expertises internationales qui se maintient dans le temps. Une association statistique entre exposition aux champs magnétiques extrêmement basses fréquences et leucémie infantile a été observée par différentes études épidémiologiques. Elle est statistiquement significative pour des champs magnétiques dont les niveaux sont supérieurs à 0,2 ou à 0,4 µT [microTesla] ». Le problème est que dans la Mayenne, le CRIIREM trouve des valeurs bien supérieures. Par exemple les câbles enterrés sous des chemins émettent 0,62 µT 1,8 µT en production maximale ! Et alors même que des onduleurs se retrouvent nombreux sous toutes les centrales, il est calculé sur l’un d’entre eux 4,5 µT en production maximale. Le CRIIREM met alors en garde : « les mesures extrapolées à production maximale montrent des risques d’effets physiopathologiques ». Allez dire cela aux brebis ! Et le CRIIREM d’insister  : « Des études scientifiques réalisées sur l’animal révèlent des perturbations sur les rythmes circadiens, les défenses immunitaires et le système nerveux auxquelles sont à ajouter des effets promoteurs ou co-promoteurs dans la cancérogenèse ». Sun’Agri n’aura alors qu’à développer ses robots-brouteurs branchés sous panneaux (4) et l’arnaque agrivoltaïque resplendira de tout son cynisme.

Face à ces résultats, nous pouvons légitimement douter des soi-disant services apportés par les projets dits « agrivoltaïques » à l’agriculture. Et pourtant en 2023, l’année où est publiée cette note interne, est le moment où le lobby dirigé par Sun’agri parvient à légiférer sur l’agrivoltaisme pour ouvrir un boulevard aux industriels. Alors, souhaitons-nous favoriser le déploiement de telles technologies ou rémunérer dignement les paysannes et paysans pour leur production d’une alimentation saine ?

Après les blocages et sabotages de centrales photovoltaïques qui déforestent la montagne de Lure dans les Alpes de Hautes-Provence (cf. ci-dessous), c’est désormais contre les forêts métalliques connectées de Sun’Agri, que les habitant·es de Fourques dans les Pyrénées-Orientales, défendent leurs parcelles de beauté.

Texte : Lola Keraron et Loïc Santiago / Illustration : Ludo Adam

Cet article est issu d’un partenariat avec le journal Silence : www.revuesilence.net

(1) ccaves.org : les cultivateurs de kilowatts font main basse sur les Pyrénées-Orientales

(2) Centre de Recherche d’Information Indépendant sur les Rayonnements ElectroMagnétiques

(3) Commission d’Accès aux Documents Administratifs

(4) Revue Silence septembre 2023

 

Communiqué

Dans le massif des monts du Vaucluse, depuis des mois une mobilisation acharnée vise à empêcher l’installation de centaines d’hectares de photovoltaïque. Un texte de revendication signé de « La montagne de Lure qui se défend » nous est parvenu. Extraits.

« Nous, divers groupes d’action, revendiquons les attaques subies par les entreprises Boralex et Engie green dans le sud de la France ces derniers mois. Ces deux multinationales sont responsables du saccage de dizaines d’hectares de Forêts sur la montagne de Lure. Cette catastrophe servira à la mise ne place de dizaines de milliers de panneaux solaires qui alimenteront divers sites industriels de Marseille à Lyon tous plus polluants les uns que les autres. En réponse à ce cauchemar qui dévaste les paysages que nous aimons et dont nous dépendons, nous avons saccagé cinq de leurs sites photovoltaïques en coupant les câbles de milliers de panneaux solaires, saboté huit pelleteuses et bulldozers de chantier à Cruis, incendié le bâtiment abritant les onduleurs de la centrale de Montfort ainsi qu’un stock de panneaux solaires sur le site de Cruis et des bobines de câbles électrique destinées à ce même chantier. Ces dégâts s’élèvent à plusieurs millions d’euros ».

Il est selon eux vital de « revoir la stratégie du mouvement écologiste car la civilisation industrielle est en guerre contre le vivant. Si on ne l’arrête pas, elle poursuivra jusqu’à la dernière forêt à abattre, la dernière prairie à bétonner, le dernier cours d’eau à assécher, la dernière espèce sauvage à détruire ». Ces militant·es appelent donc « tous.tes celleux qui accordent leur loyauté au monde vivant plutôt qu’au monde machine » à « attaquer de toutes nos forces et de tout notre courage les infrastructures de [la civilisation industrielle] ». Le communiqué insiste sur un ensemble de petits matériels pouvant servir à saboter « leurs antennes, leurs machines de mort, leurs câbles et caméras de surveillance », et appelle à désarmer « ceux qui détruisent et pillent ce qui rend la vie digne d’être vécue ! Alors seulement nous serons redevenus libres et la montagne refleurira. » Le ministre de la terreur parlera d’éco-terrorisme ; ça nous donne plutôt l’impression de sortir tout droit d’un tract des FTP-MOI de 1943. À l’avenir, face à ce pouvoir écocidaire, il est à craindre que l’on voit de plus en plus souvent ces écolos-maquisard·es passer à l’action…