Numéro 13 régional

Main-basse sur la vallée

Dimanche 24 mars, malgré le mauvais temps, 350 personnes ont marché pour défendre leur rivière, le Lot. À l’origine de cette mobilisation, l’opposition à l’extension de la base nautique de Luzech et à la création d’un golf à Albas. Ces projets ont pour points communs leur démesure, leur inadaptation et leur aveuglement face aux enjeux écologiques. Et aussi d’être menés par le semi-milliardaire Édouard Carle.

Le magnat Edouard Carle a fait fortune dans les crèches Babilou. Il aime à se présenter comme un enfant du pays, qui s’est « fait » tout seul. Pourtant, si son grand-père était maire de Luzech, sa famille fortunée l’a élevé à Paris. Plus ou moins retiré des affaires, depuis qu’il a vendu une partie de ses parts dans Babilou, il a décidé de revenir au village (pas trop souvent, il ne faut pas exagérer), et de l’éclairer de sa présence. Mais voilà, on s’ennuie à la campagne, alors Édouard rachète des bâtiments pour y installer un coiffeur, deux restaurants, un hôtel de luxe ou y maintenir une fleuriste : il a le cœur sur la main. Son travail dans les crèches l’ayant fait passer maître dans la captation d’argent public et sa transformation en profit privé, il souhaite désormais s’appuyer sur des élus locaux complaisants pour mener à bien divers projets insensés…

Un aqualand sur le Lot

Premier en date, l’extension de la base nautique de Caïx, à Luzech, proposée par la société Ecolot, dont notre multimillionnaire détient 40 % des parts. Aucun plan ni vision d’ensemble de ce projet, pourtant fomenté depuis plus de deux ans, n’avaient jamais été présentés jusqu’à la réunion publique du 14 mars 2024. Une réunion qui a été provoquée par les révélations d’opposantes et d’opposants locaux, ayant peu à peu rassemblé les pièces du puzzle pour dévoiler la démesure et les nuisances du projet : il s’agit de transformer une base nautique familiale en « aqualand », avec la création d’un navire accrobranche, d’une « tour toboggan » et d’un téléski de 470 mètres et ses pylônes de plus de 12 mètres, installés de part et d’autre du Lot, dont les fondations importantes devront soutenir des câbles pesant 1,5 tonnes sur un terrain alluvionnaire. Ce serait le premier téléski nautique sur une rivière de France. Pour rentabiliser cette merveille, Ecolot prévoit le passage d’au moins 500 personnes par jour en été… et donc l’aménagement (en secteur historique classé et en zone inondable) de parkings et de bâtiments pour les accueillir.

Mais c’est le plan de financement qui est le plus fascinant. Sur un investissement total de neuf millions d’euros, la mairie de Luzech, propriétaire de la base, doit engager 1,2 millions pour la rénovation du restaurant existant, tandis que la Communauté de communes versera 3,6 millions pour les travaux. Or, cet argent public doit être investi avant juin 2026 alors que la société Écolot a 20 ans pour engager les 4,2 millions restants. Elle pourra donc faire ses investissements sur les bénéfices que lui rapportera la base nautique ! Non contente de ce favoritisme incroyable, la mairie de Luzech ne demandera qu’un loyer de 12 500 euros par an à Ecolot… L’entretien des espaces verts, tout comme la surveillance des plages durant l’été, restent à la charge de la commune qui, décidément très généreuse, ne recevra chaque année que 0,5 % des bénéfices ; la société Écolot en conservera donc 99,5 % !

Le croirez-vous ? Aucun montant n’a été évoqué lors de la réunion publique du 14 mars, qui s’est pourtant déroulée en présence du président de la Comcom. Il s’est contenté de jouer le rôle du VRP de M. Carle et d’annoncer fièrement que le parking serait gratuit pour les Luzéchois et les Luzéchoises ! Sans les questions d’un public révolté, on aurait même oublié de parler de l’avis de la Dreal, pourtant très critique sur le projet et le soumettant à une étude d’impact environnemental. Un représentant de M. Carle, M. Michaud, ancien haut fonctionnaire pantouflant dans le privé, a rétorqué que la Dreal ne savait pas ce qu’elle disait puisqu’elle croyait que la base était abandonnée, et retournée à la nature ! C’est bien connu : plus c’est gros et plus ça passe…

Du greenwashing à Albas

Après avoir fait du ski nautique, M. Carle souhaiterait également s’adonner à son autre passion : le golf. Dans ce projet-là, il est épaulé par le maire d’Albas, J.-P. Alaux. Ancien journaliste radio, il est devenu écrivain et a transformé le genre du polar en agence de placement de produits, en créant la série Le sang de la vigne. Il aime autant tenir des discours ampoulés qu’être pris en photo aux côtés de stars décrépies qu’il parvient à faire venir dans son village. Enfant du pays lui aussi, il a tourné mégalomane et il projette de faire de sa commune un haut lieu touristique, à l’instar de Saint-Cirq-Lapopie. L’installation d’un golf prend alors une dimension stratégique pour lui.

Ce sera un éco-golf !

Là aussi, ils ont d’abord agi dans l’ombre, jusqu’à ce qu’un corbeau juge bon d’informer la population grâce à un tract distribué dans les boîtes aux lettres. Une réunion publique fut alors organisée fissa. Les promoteurs avaient bien appris leur leçon : ils savent que notre temps exige que tout projet affiche ses ambitions écologiques. Or, dans un village répertorié « en crise » par le site gouvernemental VigiEau de l’été à l’automne 2023, interdira-t-on aux habitant·es d’arroser leurs jardins, pendant qu’on inondera les greens des nantis ? C’est là que notre millionnaire intervient : M. Carle a pris conscience de la crise climatique, il y a trois ans. Et oui, ébloui par tant de lumières, il a avoué lors de la réunion publique s’être découvert une fibre écolo : lorsqu’il se trouve sur un green, il y voit une « réserve pour la biodiversité » et lorsqu’il sort de son parking souterrain pour voitures de luxe, « il éteint la lumière ». C’est donc convenu, ce sera un éco-golf ! Un vrai miracle : aménagé par des éco-pelleteuses et des éco-abatteuses, il éco-consommera de l’eau et des éco-pesticides, et il sera un éco-exemple. Et peu importe si l’on manifeste partout en France contre ce type de projet ou si les avis des organismes publics ou associations versés au dossier du nouveau PLUI de la Comcom alertent sur la dangerosité du projet : l’argent a ses raisons que la raison ignore. L’enjeu des mois à venir est bien le suivant : les lotois·es laisseront-ils défigurer leur territoire par ces projets écocidaires ? Ceux et celles qui se sont levés le 24 mars dernier pour défendre leur rivière l’ont bien dit : « Nous le Lot on l’aime nature ».

Texte : le collectif L’Appel de la Forêt / Illustration : Triton

appeldelaforet46@proton.me

 

Écolot, une société digne d’intérêt !

Le 6 décembre 2022, Kamal Benfouzari, conseiller municipal de Luzech et entrepreneur de Cap Nature (accrobranches de Pradines et Figeac), annonce son intérêt pour reprendre la gestion de la base nautique décrépie de Caïx, propriété de la commune. Un « appel à manifestation d’intérêt concurrent » est réalisé par la mairie le… 9 décembre. Le 14, Benfouzari démissionne de ses fonctions municipales et huit jours plus tard, il fonde la société Écolot. Sans surprise, elle sera l’unique candidate à la reprise de la base mais aussi la seule à connaître l’engagement massif d’argent public prévu pour le projet ! Le 9 juin 2023, la mairie de Luzech délègue pour trente ans la gestion de la base nautique à Écolot. Le 20 juillet 2023, Édouard Carle entre au capital de la société à hauteur de 40 %. Cet enchaînement d’étranges coïncidences pourrait étonner l’esprit le moins soupçonneux… d’autant plus que dès avril 2022, un salarié de Carle faisait déjà une demande d’étude de faisabilité auprès d’un fabricant de téléski !