Numéro 7

Le Boys club de La Dépêche

Une direction et des postes de rédac’ chef réservés à la gent masculine. Des hommes capables de passer sous silence une agression sexuelle dans leurs rangs et, en même temps, de faire les hypocrites en s’alarmant de ce que des hommes tabassent et tuent leur femme, chaque jour en France.

C’est l’histoire d’une bande de mecs, un groupe quasi non-mixte où les femmes ne sont pas les bienvenues. Hormis pour certains postes subalternes si elles la ferment ou pour jouer l’exception si elles ont la poigne virile. Une bonne vingtaine de mâles blancs en chemise, coupes au poil, belles caisses, grands bureaux, beaux salaires. Des secrétaires à dispo, au smic, et des femmes de ménage, payées à la tâche, une fois le beau gosse rentré chez lui. Des hommes qui contrôlent le groupe La Dépêche, aux ordres de Jean-Michel Baylet. Des hommes à tous les postes importants : direction générale, responsables des services et des éditions. Des hommes capables de faire corps avec leur patron, accusé d’avoir frappé et humilié son assistante, puis de suivre la mode médiatique en pleine découverte des féminicides et du patriarcat ambiant.

Des hommes à tous les étages

Néanmoins, il faut faire preuve d’honnêteté. Il y a bien une femme vice-présidente dans la direction générale, mais c’est une Baylet, Marie-France Marchand-Baylet, l’ancienne femme du grand patron. Et une deuxième, Claire Charbonnel, directrice déléguée qui gère un journal aux abois, Midi Libre, après être passée chez Exxon puis à La Provence, et enfin dans le groupe d’exploitation par intérim, Domino. Deux femmes sur les dix boss du Groupe, on a vu pire. Mais derrière, c’est la Bérézina. Quasi toutes les hiérarchies rédactionnelles sont mâles. Midi Libre, La Dépêche ou Centre Presse : les éditorialistes et les rédac’ chef sont exclusivement masculins. Ce n’est que du côté des chefs d’agence qu’on peut trouver une femme. À La Dépêche, sur douze agences, de Tarbes à Rodez, seule celle d’Ariège est tenue par une femme. Encore récemment, monsieur Souléry, le rédac’ chef de la Dépêche, a laissé place à monsieur Laparade. Puis monsieur José Biosca, le directeur de rédaction, est parti à son tour, laissant le fauteuil à monsieur Berger et monsieur Moscovici. Ce dernier n’était même pas de la maison, mais un produit de la presse de droite (le Journal du Dimanche) ou de la soupe en continue (LCI). Mais on ne peut pas leur en vouloir, il n’y a pas de femmes à promouvoir en interne à ce niveau de hiérarchie : elles sont toutes restées au stade de journaliste… Bien sûr, tout cela est courant et nombre de groupes, d’entreprises et d’institutions agissent de la sorte et excluent les femmes des postes à responsabilité (1). Et vu le carcan sexiste et viriliste attaché à ce genre de postes, on ne conseille à aucune femme d’y accéder. Comme on ne souhaite à personne de travailler dans ce groupe de presse, inféodé au pouvoir de leurs actionnaires et au dogme néolibéral.

Silence dans les rangs

Bref, revenons aux hommes de Baylet. En 2016, une député écolo intervient à l’assemblée pour rappeler les faits d’agression reprochés à Baylet alors ministre, l’interrogeant : « Comment osez-vous vous présenter à l’Assemblée Nationale, sans être submergé par la honte ? ». Toute la presse parisienne est contrainte d’évoquer à nouveau cette affaire qui remonte à 2002, lorsque le patron du groupe La Dépêche est accusé d’avoir frappé à plusieurs reprises son assistante parlementaire au visage, avant de la contraindre à signer une lettre de licenciement sous la menace et de la mettre à la porte entièrement nue. Interrogés, les gendarmes qui ont réalisé les auditions ne comprennent pas pourquoi il n’y a eu ni confrontation ni suites judiciaires… C’est qu’un arrangement financier a été trouvé entre les deux parties, le procureur fermant ensuite les yeux, contre toute logique judiciaire.(2) Face à cela, les hommes de la Dépêche ont détourné le regard, ils ont laissé passer l’orage et rien n’a fuité dans leurs colonnes. Une solidarité sans faille avec la brute dirigeante.

La Dépêche se refait une santé féministe

Maintenant, la moindre des politesses serait de ne pas la ramener. Mais voilà nos valeureux éditocrates qui se découvrent fervents pro-féministes ! Monsieur Soulery ose écrire le 25 novembre dernier qu’il y a « urgence », en évoquant les féminicides, stigmatisant « un mal si profond », « une histoire patriarcale enfouie depuis des siècles » et s’interrogeant « comment sensibiliser le corps social, comment changer les mentalités ? » pour aboutir à «  une approche enfin civilisée des rapports humains ». Monsieur Delpieroux fait encore mieux le 4 septembre 2019, donnant l’impression de s’adresser directement à son patron : « Mais que fait-on des hommes ? Que fait-on de ces bourreaux domestiques qui ont le don de se défiler, d’échapper aux policiers, à la justice et à toute remise en question ? », insistant ensuite sur « une violence décomplexée envers les femmes » et se laissant aller à l’utopie : « peut-on rêver d’un monde où on ne laisserait plus pousser des graines de petits machos cogneurs ? ». Un monde sans « le cogneur radical » (3) Jean-Michel Baylet, et sans éditocrates égocentriques, hypocrites et complices de la domination masculine ?

1 : Seuls 14% des postes de direction dans les entreprises sont tenus par des femmes (Les Echos, 18/06/2015). Si on prend les grandes entreprises, la loi Copé-Zimmermann (2011) les a contraintes d’adopter un conseil d’administration comptant au moins 40 % de femmes, mais au sein des comités exécutifs, véritables lieux de pouvoir, elles sont restées ultra minoritaires à 15%. Et 100 % des patrons du CAC40 sont des hommes. Dans la fonction publique, elles n’occupent que 16 à 18% des postes de direction, la fonction hospitalière faisant exception à 37% (rapport du DGAFP, 2009). Elles ne sont que 32 % à l’Assemblée, et 22% au Sénat.

2 : Infos tirées de www.buzzfeed.com, « La Transaction secrète entre Baylet et son ex-collaboratrice », 10/03/16. Un gendarme témoigne qu’elle « avait un visage tuméfié, elle était très marquée. Les pommettes gonflées, les yeux gonflés. Il y avait des hématomes : c’était bleu, gonflé. Elle avait le visage bouffi, traumatisé. Il était facile de constater que c’était des coups qui étaient à l’origine de ces marques ». « La divergence des versions nécessitait obligatoirement une mise en présence des protagonistes, c’est-à-dire une confrontation entre Bernadette B. et Jean-Michel Baylet ».

3 : En 2006, la presse parisienne se décide à évoquer l’agression de JM Baylet, France Soir titrant en Une : « Baylet, cogneur radical ».

 

[Brève]

Me Too résumé à un effet de mode

Le 12 mai 2018, Patrick Louis, spécialiste bagnole et cyclisme de La Dépêche, avait mis en rage la twittosphère féministe : dans un éditorial titré « Événement extérieur au jeu », il commentait des faits d’agression sexuelle sur une candidate au sein de l’émission Koh Lanta, et se permettait de mettre en doute les accusations de la victime : « Reste à savoir maintenant le poids des faits, leur réalité, la frontière ténue entre ce que l’on appelait il y a peu les «gestes déplacés» et les accusations de viol (…) ». Pour la twitteuse Isabelle Garrigou, ce texte participe « à la normalisation des agressions sexuelles ainsi que des propos sexistes » , en « banalisant le viol » D’autant que cet éditorialiste sportif persévère : « Dans la suspension du tournage aux Fidji, on nous parle donc d’une agression sexuelle. Les émissions à la mode ne peuvent échapper à l’air du temps ». Sûr de son sexisme légitime, monsieur Louis assure que « l’argent a le pouvoir de tout sécher, même les larmes »et ironise sans trembler : « Une jolie fille en maillot n’est pas moins tentante qu’une femme de chambre, ce sera peut-être le titre d’un film, à succès bien sûr, dans quelques années ». Autant dire qu’à La Dépêche, il faut faire le ménage, de haut en bas de la hiérarchie !