Numéro 4

Prison de Rodez : témoignages

Julien P. médecin à la prison
de Seysses puis à celle Druelle de 2015 à 2016

« Les soins médicaux étaient auparavant intégrés à l’administration pénitentiaire. En matière de santé, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Avec la réforme de 1994, c’est l’hôpital et sa vision humaniste qui entrent dans la prison qui avait une vision répressive : ça a été le choc des cultures. Les unités sanitaires dans les prisons deviennent ainsi indépendantes du ministère de la justice, en théorie… Car entre la sécurité et la santé, il y a parfois des incompatibilités ! En fait, tu es dans les murs, et les services de la pénitentiaire tiennent les portes. Dès que j’envoie quelqu’un à l’hôpital, ça demande une « extraction », donc cela a un impact sur les effectifs de surveillants et ça les met en tension car ils sont déjà en sous-effectif avec des conditions de travail difficiles. Quand j’envoie un détenu pour une consultation cardio, je suis l’emmerdeur. En cas de refus du directeur, je lui demande de notifier ça par écrit. Il cède, forcément, mais il me le fera payer plus tard. C’est un fonctionnement par pression insidieuse, il n’y a rien par écrit. Par la suite, on ne va pas être sympa avec moi, on va me laisser attendre à la porte, des choses comme ça. Si je fais une demande pour qu’un détenu soit gardé à l’écart des autres, ou qu’une personne ait accès à telle ou telle chose, sinon il va péter les plombs : là on va me dire non. C’est un jeu de pouvoir et d’influence, avec toujours des conflits larvés. Ce que la pénitentiaire veut à tout prix éviter, c’est qu’il y ait un suicide ou un mort, et que la presse s’empare du sujet. Ils en ont une peur bleue. C’est un univers clos, avec une culture du secret, et qui entend le rester.
Les détenus, grosso modo, sont précaires sur tous les plans : professionnel, social, familial, affectif, et bien sûr au niveau de la santé. En entrant en prison, la plupart sont déjà en retard de soins, sous vaccinés, sous diagnostiqués, etc. Au niveau national, on a un tiers des détenus avec des pathologies psychiatriques, si on ajoute les addictifs et les border-line, on atteint la moitié voire les deux tiers. Certains en prennent plein la gueule. Les tentatives de suicide sont fréquentes, même s’il y a celles qui finissent à l’hosto, et celles qui restent des appels à l’aide.
Druelle, c’est une structure familiale, on sait qui est qui, on connaît les détenus fragiles. Mais c’est aussi une nouvelle prison, sans angle mort, où tout est filmé, avec des surveillants derrière les caméras qui ouvrent les portes, il y a moins de contact humain. Il y avait peut-être des rats à l’ancienne prison de Combarelle, mais il n’y a pas eu un suicide en 20 ans, et déjà deux à Druelle en deux ans.
Les motifs des consultations sont beaucoup liées à l’anxiété, à des syndromes dépressifs, des troubles respiratoires dus au tabac, et plus de la moitié des détenus sont sous psychotropes.
À Rodez, il y a trop de discipline et de règles pour un jeune des quartiers de Toulouse qui préféra la prison de Seysses. Mais le paysan de l’Aubrac incarcéré pour ivresse au volant préféra Druelle… J’ai rencontré plusieurs personnes incarcérées pour conduite sous alcool et on peut se poser la question de leur place en prison, de même pour des gars dans des affaires de stup mineures.»

Kil’, un « gars de la rue » passé par Combarel et Druelle

« La nouvelle, on va pas se plaindre, la chambre c’est un formule 1, ils te filent des produits pour te laver et tout ! Avec les matons ça se passait bien pour moi. C’était pas le cas pour d’autres, et ils subissaient, car ils ne voulaient pas respecter les matons. Dans l’ancienne prison, on était plus soudés, à six par cellule. Ici t’es tout seul, t’as pas les mêmes liens entre détenus. Il y a beaucoup de toxicos, pas mal de malades psychiatriques, les hôpitaux sont pleins alors on les met en prison.
Le plus dur c’est d’être enfermé seul, toute la journée. Ils font l’école aussi, mais une fois en taule c’est trop tard.
21 heures sur 24 en cellule c’est chaud, tu câbles vite. Ça part très vite à Druelle, avec les jeunes tu as une révolution en trois secondes. Ça gueule, ils tapent sur les portes avec des tabourets, etc. Ça peut être pour des conneries, un litre de lait ou un mach de foot : bin ouais, t’as du sport une fois par semaine… s’il y a un prof. Elle n’a rien d’humain cette prison, t’es tout le temps enfermé.
C’est que des privilèges, il y en a qui ont droit à tout, d’autres ont rien. Il faut balancer… Les matons ont leur petit pouvoir, ça les fait bander. Mais moi c’est ma faute si j’ai été pris, eux sont payés pour être là !
Je faisais un trafic très discret à l’intérieur, et je me mettais bien avec les matons, je déconnais avec eux. Il n’y a que deux promenades, sinon t’es en cellule. C’est là qu’il y a le business, qu’il y a tout. Rien n’est compliqué : si t’as de l’argent, t’as tout ce que tu veux. Après c’est sûr, en taule je ne peux pas faire rentrer un sanglier… ou si, en steaks hachés !
J’ai 46 ans et j’ai fait un an à Combarel et un an et demi à Druelle. La taule ça me dérange pas, il me faut deux ou trois heures pour digérer la peine, et après c’est bon. J’ai fait plein de petites conneries, des petits vols, et puis je me présentais pas aux TIG. Si je repasse au tribunal, ils me louperont pas. Je sais que c’est pas ma dernière peine, j’y retournerai un jour ou l’autre.

Audrey, visiteuse de prison à Druelle
pour les « gars de la rue », sur son temps libre

« En ce moment, ils sont cinq enfermés là-bas, sur ceux que je connais. Je vais voir ceux qui m’écrivent et me le demandent. J’y vais une fois par semaine, parfois pour deux parloirs d’affilée. D’après les détenus, il y a pas mal de violences entre eux.
Les gars de la rue passent quasi tous par la prison, à part quelques-uns. Pour violence, petites affaires de drogues et vols.
La prison c’est de la survie, ils troquent entre eux, un bout de shit contre ci ou ça. À Rodez, pour du cannabis ou un portable, c’est plus difficile qu’à Toulouse, car les fouilles intégrales des cellules sont plus fréquentes.
Franchement, le shit en prison, c’est mieux que le Serestat qu’ils leur filent pour avoir la paix, pour s’endormir, comme anti-dépresseur. Avec les matons, ça se passe à peu près bien. À priori ils ne vont pas les chercher pour faire monter la pression. Après ça reste une prison.
Tout se paye. La télé, une plaque électrique, la bouffe, etc. Et que ce soit pour faire rentrer un blouson ou des chaussures achetés par la famille, il faut faire la demande au directeur.
La prison, ça produit juste plus de haine et de violence. Ça veut pas dire que je cautionne tous les actes, loin de là, mais je suis contre la prison, car elle ne remplit pas son rôle de réinsertion, de rééducation. »

Uguette, responsable de Présence 26,
une équipe de bénévole du secours catholique qui accueille les familles avant le parloir

« À Combarel, dès que les familles arrivaient devant la prison, ils se parlaient depuis les fenêtres des cellules. Ici, on n’entend jamais rien. On ne peut pas faire un pas de travers, c’est très très sévère. C’est un retour qu’on a surtout de ceux qui viennent d’ailleurs, des grands centres pénitenciers, où c’est plus permissif qu’ici. On a gardé « le 26 »*, ça nous semblait logique, on retrouve tellement « d’anciennes ». On accueille les familles en attente de parloir, on essaie de leur faire passer un moment qui soit le moins désagréable et le moins stressant possible. Des femmes ont envie de parler. En sortant de parloir, certaines ne peuvent pas partir tout de suite, surtout les mamans, c’est très dur pour elles. En ce moment, c’est compliqué pour une femme avec son jeune de 19 ans qui n’a jamais supporté d’obéir à quelqu’un. Il est là depuis 3 mois, et il finit toujours en quartier disciplinaire.
Il y a un mois d’attente pour la famille avant le 1er parloir. Je sais pas trop pourquoi ça traîne autant. Et pendant le 1er mois, le détenu est toujours tout seul, et souvent sans activité, car ils font le bilan, puis ils étudient son comportement, etc.
Avant le parloir, elles doivent passer au portique et à la fouille, ça prend 20 minutes, puis à nouveau à la sortie. Ici on ne passe rien, même pas un bonbon. Dans d’autres maisons d’arrêt c’est plus flexible. Bien sûr elles essaient…
Les salariés de la Sodexo à côté, ils font la prise de rendez-vous et la gestion des casiers. On a refusé de faire ça. Ça a été compliqué avec la remplaçante de Sodexo. L’ancienne, si les bénévoles de Présence 26 n’étaient pas arrivés, elle préparait le café et les gâteaux pour les familles qui étaient déjà là. La nouvelle ne veut pas le faire, car « ce n’est pas dans son cahier des charges »…
Avant, les détenus venaient des environs proches, aujourd’hui, il ne sont plus que la moitié de l’Aveyron, et certains viennent de loin. Ils ont des cellules neuves, la télé, le frigo, la douche dans les cellules, mais bon, ils sont enfermés… Tous sont très jeunes, et beaucoup sont là pour de petits délits, pour la drogue. Selon le SPIP, ils vont très peu à la bibliothèque. Il y a pas mal d’étrangers qui savent pas lire le français, et puis il y a des jeunes qui ne savent tout simplement pas lire..
La privatisation d’une partie avec Sodexo a tout changé, surtout dans les relations. Maintenant pour beaucoup de choses, le directeur dit : « j’y peux rien, il faut voir avec la Sodexo ».
À Combarel, ils étaient sept ou huit par cellule. Au début ici, ils s’ennuyaient, sans personne pour jouer aux cartes et sans pouvoir sortir de cellule. Les portes sont fermées tout le temps, ils ne se voient que deux fois par jour à la promenade. Parfois ils peuvent avoir un peu d’enseignement, deux heures, ou un peu de sport, une heure par jour par exemple, au maximum. Ils peuvent demander l’accès à la bibliothèque. Mais la plupart du temps, ils sont enfermés.
Certains ont des problèmes psy, et ça arrive qu’ils pètent un plomb. Ils cassent tout dans leur cellule, ils passent quelques jours à Sainte-Marie.. et reviennent. Mais ce n’est pas leur place, non, ni ici ni là-haut. »

*Il y a 20 ans, c’est au n°26 de rue Combarel que les permanences ont commencé.

François, ancien salarié* à Druelle

« À Druelle, on est sur du petit délit, beaucoup sont sans-papiers ou d’origine étrangère. Il y en a qui sont très jeunes, dès 20 ans, et pour certains c’est la deuxième ou troisième incarcération, c’est leur seconde maison. On les relâche ensuite devant la prison, sans ordonnance, sans rien, car ils ont pu être arrêtés les poches vides et parfois, ils viennent de loin.
Il n’y a pas de service dédié à la psychiatrie. Un psychiatre passe de temps en temps… Il n’y a aucun réel suivi psy des détenus, il y a juste une camisole chimique. 
L’institution ne les rend pas autonomes, elle leur donne des limites qu’ils ne peuvent pas réfléchir. Quand tout a loupé… on se retrouve là. Mais pour moi, c’est totalitaire, il faut autre chose, ça peut être une prison ouverte, rendre les gens plus conscients (par une thérapie par exemple), etc. Qu’ils reprennent possession d’une place dans cette société. Mais les gens ont peur de ceux qui passent les limites. C’est juste un échec, ça s’arrête là, il n’y a rien derrière, aucune chance de réinsertion. Un tas de gens n’ont rien à faire en détention, d’autres devraient être en psychiatrie… C’est un cercle vicieux, en prison, ils se retrouvent face à des limites rigides. La psy a un peu évolué, la prison très peu.
À Rodez, on entend souvent qu’ils sont bien lotis… mais la population, en général, ne peut avoir conscience du quotidien d’une personne enfermée. Certaines personnes ont peu de possibilités d’épanouissement et ont du mal à imaginer que le détenu, celui qui franchit les limites, ait un confort que peut-être eux-mêmes n’ont pas. »

*Il a préféré ne pas donner sa fonction dans la prison.