Numéro 8

Les veines ouvertes de Decazeville – Épisode 3

Séché, une des principales entreprises du déchet, voudrait bien construire une décharge industrielle sur les collines du bassin de Decazeville, via sa filiale Soléna. C’est sans compter sur la résistance des habitant.e.s et les changements d’équipes municipales qui rebattent les cartes en défaveur de l’industriel. Nouveau plongeon dans cet écrin de verdure en danger.

Durant les semaines qui ont précédé les élections municipales, un empressement effréné s’est emparé des élus du bassin. Autorisation de permis de construire, transformation du PLU-i pour industrialiser des zones classés naturelles (1), vente des dernières parcelles à Séché in-extrémis avant le confinement (2). Au pas de course, il fallait mettre tout en œuvre pour le passage en force de l’industriel avant l’échéance électorale. Avaient-ils peur que les habitant.e.s du bassin, qui n’ont jamais véritablement été consultés, se prononcent dans les urnes contre l’usine à ordures?

Pour sûr, ces notables qui rêvaient de transformer leurs villages en décharge high-tech ont dû trembler le soir des résultats. À Viviez, la principale commune impactée par le projet, une liste anti-Soléna s’était constituée contre Denoit, l’ancien maire à la botte des industriels. Si celui-ci l’a finalement emporté, ce n’est qu’avec 18 voix d’avance ! Preuve que l’unanimité pour les pourvoyeurs de décharge n’est plus de mise.

C’est à Aubin que la claque est la plus cinglante : André Martinez, l’ancien maire, monarque autoritaire en poste depuis douze ans (3) et fervent adepte de la décharge, a été démis à plates coutures. Il n’a récolté que 35% des voix quand la liste adverse, opposée au projet, en récoltait 65%. Lors du précédent scrutin de 2014, les élus qui connaissaient pourtant l’existence du projet Soléna avaient camouflé aux électeurs. Désormais, le danger de voir s’installer la funeste usine est connu de tou.te.s et a clairement clivé les votes.

Pour autant, face à ce mastodonte du déchet, le pouvoir d’une mairie reste limité. La balle est dans le camp de la communauté de communes et du Sydom (4) : deux instances sans base démocratique qui avaient jusqu’ici soutenu l’industriel. Malgré l’arrivée récente d’élus opposés au projet, il paraît peu probable que ces cénacles deviennent subitement écolos. L’enjeu du moment se situe plutôt dans les recours juridiques entrepris par des particuliers et l’ADEBA, l’association qui lutte sans relâche pour éviter une nouvelle ère de pollution dans le bassin (cf ci-contre). Portant sur de nombreuses incohérences techniques et administratives, ces attaques juridiques devraient mettre de sérieux obstacles sur le tapis rouge jusqu’ici déroulé pour Séché.

Cependant, il est bien évident que Séché ne va pas lâcher le bassin comme ça. Ici comme sur ses autres sites, l’entreprise a une technique simple : à ses projets de décharges industrielles, elle y ajoute les dernières options de « technologies vertes » (méthanisation, tri automatisé) et noie le poisson en usant d’une éco-novlangue de haute volée : « préservation de la biodiversité », « pilotage écologique», « extraction du potentiel de ressources matière et énergie ». Une technique de com’ qui a pour but de se positionner pour gagner des marchés publics face à d’autres géants du déchet comme Véolia ou Suez.

À Aubin, la stratégie a porté ses fruits pourris. Laurent Alexandre, le nouveau maire, ancien élu d’opposition, nous confie que les industriels venaient vendre leur usine lors de réunions privées du conseil municipal. « Avec leurs powerpoints, ça paraissait bucolique leurs usines. C’était fantastique quand on regardait ça. Mais dès qu’on commençait à creuser un peu, à poser des questions qui fâchent, ils balayaient ça d’un revers de main et passaient à autre chose. On avait aucun document écrit […], la seule chose qu’on pouvait faire c’était noter ce qu’ils nous disaient en leur faisant confiance. Si on creuse un peu on se rend compte qu’il y a un danger énorme, et ce danger ils l’embellissent ou le dissimulent. »

Comme beaucoup d’habitant.e.s du bassin, le nouveau maire ne s’y trompe pas : derrière les fleurs et les arbres qui ne leur coûtent pas bien cher à planter, il y a bien une décharge industrielle dangereuse. Derrière les mots rassurants, il y a bien une stratégie de charognards.

Avec un chiffre d’affaire de plus de 700 millions d’euros en 2019, on peut dire que la famille Séché se porte bien. Malgré cela, Joël, le papa et PDG du groupe, se lamente dans Les Échos de la baisse d’activité du groupe à cause de la pandémie (5). Afin de se sortir de cette mauvaise passe, Maxime, le fils et Directeur Général, mise sur le traitement des déchets toxiques à l’étranger et les « services de dépollutions en urgence, portés par les interventions post-incendies de Lubrizol ou de Notre-Dame de Paris ». S’enrichir sur les catastrophes industrielles et les déchets de la société de consommation, voilà le véritable visage d’une entreprise toxique qui, si on ne s’y oppose pas, s’apprête à infliger une balafre irréversible au bassin de Decazeville.

1 : PLU-i : Plan local d’urbanisme intercommunal: voté par la communauté de commune, ce document détermine l’utilisation des sols des communes. Un rapport récent de la MRAE (Mission Régionale d’autorité environnementale) critique sévèrement le PLU-i qui est fait sur mesure pour Séché.

2 : Outrepassant l’habituel délai de deux mois, l’acte de vente d’un chemin communal qui se situe sur la zone d’implantation de la décharge a été signé par l’ancien maire d’Aubin le 13 mars, soit deux jours avant les élections.

3 : Les faits d’armes d’André Martinez sont racontés dans l’épisode précédent de L’Empaillé n°7.

4: SYDOM : Syndicat Départemental des Ordures Ménagères de l’Aveyron. Cet organisme public, au lien étroit avec le conseil départemental, était jusqu’ici un fervent soutien de Solena.

5 : « L’expert des déchets dangereux Séché Environnement décolle à l’international », Les Échos, 10/03/2020.

Le B.

La cagnotte anti-Séché

L’association ADEBA, qui a permis de rendre public les dangers du projet Solena et de porter une réflexion sur les alternatives possibles, lutte aussi sur le plan juridique. Ayant engagé des procédures contre l’industriel, elle compte sur votre soutien pour financer ces démarches coûteuses. Contact : https://www.facebook.com/nonauprojetsolena/