Numéro 7

Et la mairie elle est à qui ? Elle est à nous !

Un centre-ville qui s’embourgeoise sous le béton, un maire narcissique, autoritaire et une tripotée de petits notables et d’opportunistes qui font la queue au bureau de l’édile pour arracher un strapontin. Mais voilà qu’un collectif de ruthénois et de ruthénoises décide d’enrayer cette machine bien huilée, et de mener campagne au nom de « Rodez Citoyen » pour redonner le pouvoir aux habitant-es, tout en conservant un rôle aux élus…

« Si tu n’en peux plus des promesses, des combines / De tous ceux qui croient qu’une fois qu’ils ont ta voix, ils dominent / Ohé ruthénois, toi l’ami qui nous voit, pousse la porte / Ici tu trouveras la Causette au combat, tendre et forte / Pour que nos enfants apprennent à devenir grands, nous on souhaite / Des lieux pour jouer, courir en sécurité, et des fêtes / Pour tous des jardins, des lieux où l’on se sent bien, et des rades / Assez de béton, de voitures sur le piton / Ensemble agissons, quittons la résignation, on se révolte ». Ce 18 janvier, une quinzaine de femmes chantent en cadence sur l’air du chant des partisans, dans leur local rue Tarayre, à Rodez. Avec leurs camarades masculins, elles souhaitent prendre la mairie, pour construire une organisation communale où les habitant-es décident. Il n’en fallait pas plus pour qu’on s’incruste dans leur tanière pour causer une paire d’heures avec trois d’entre eux, Matthieu, Éléonore et Marion.

Un maire omnipotent

Leur équipe avait déjà tenté le coup il y a six ans, réunissant 16,8% des voix. Trois d’entre eux siègent dans le conseil municipal actuel et ont pu voir à quoi ressemble la gestion Teyssèdre de l’intérieur. « C’est une gouvernance monolithique, complètement verticale, avec des dérives autocratiques. Le maire est dans la toute puissance », analyse Matthieu . « On le voit à travers l’organigramme de la mairie : depuis quatre ou cinq ans, il n’y a plus de Directeur Général des Services (DGS) ! Monsieur Teyssèdre dit être en capacité d’être à la fois maire et DGS. Chaque semaine, dans une mairie normale, les directeurs généraux adjoints (DGA) se réunissent avec le DGS. Mais à Rodez, chaque DGA en réfère directement au maire », qui cumule alors la fonction politique et administrative. « Et c’est pareil à l’agglo : il réussit à étouffer la démocratie, à empêcher tout débat d’idée ».

Marion enchaîne : « Au sein du conseil, il s’est fait voter toute une série de délégations de pouvoir, qui devraient être réparties entre les adjoints. Pour les appels d’offre, il y a une commission des marchés publics qui se réunit, eh bien Teyssedre, par deux fois, est allé à l’encontre de leur avis défavorable, comme en décembre pour les travaux place de la cité. » Elle ajoute que « sa technique, c’est de railler ce qu’on dit ; l’ironie qu’il met dans sa réponse, c’est pas des contre-arguments mais des attaques contre des personnes, quand il ne choisit pas de les humilier ».

Une cour docile

Éléonore fulmine : « Il voudrait personne en face de lui, il intimide les gens… Ce comportement n’est pas uniquement réservé aux membres de la minorité, il l’adopte également avec sa majorité et les agents municipaux. Une fois on l’a vu vociférer contre un employé, il était hors de lui ! ». On pourrait rajouter les journalistes, qu’il prend un peu trop pour ses larbins (cf. ci-contre). Matthieu décrit un système clientéliste : « Il tisse sa toile pour parvenir à tout étouffer. Son mode de fonctionnement le conduit à créer des conditions de soumission de certains élus de sa majorité et de certains agents envers lui. » Et évidemment, un emploi ou une indemnité d’élu, quoi de mieux pour arriver à ses fins. Surtout que les sommes ne sont pas anodines pour les conseillers, quand elles sont concentrées entre quelques mains, et d’autant que l’agglo a engendré des rémunérations supplémentaires. Après l’augmentation sympathique de 25% votée en début de mandat, Teyssèdre touche 4180 euros bruts par mois, auxquels s’ajoutent 4258 euros bruts en tant que président d’agglo… Elles ont bon dos les intercommunalités, ça double les indemnités d’élus pour le même travail ! Du côté des adjoints, les indemnités peuvent aller jusqu’à 1500 euros, avec des compléments pour les délégations supplémentaires ou lorsqu’ils sont au bureau de l’agglo. On comprend donc que que le maire tient à son trône et que « certains ne souhaitent pas voir ce système s’interrompre », selon Matthieu. Résultat, « Il ne doute pas, il a sa cour autour de lui. » Et les rares personnes qui l’ouvrent dans sa majorité partent ou sont invitées à le faire, d’où plusieurs démissions de conseillers.

Le petit Macron sur le piton

Le maire de Rodez est parvenu à rassembler la gauche pour prendre la mairie il y a dix ans, et le voilà ancré à droite pour la garder. Il quitte ses vieux amis du PS pour suivre la mode macroniste anti-sociale et policière, et débauche ses opposants réacs au conseil. Chapeau l’artiste ! Et pour verdir sa liste, le voilà séduisant une poignée d’écologistes en mal de reconnaissance (1). Un ralliement qui fait bondir Éléonore pour qui c’est « complètement incompréhensible », tellement le bilan est désastreux sur l’écologie : « c’est du saupoudrage quand c’est obligatoire, ou quand ça ne coûte rien. Du béton, de la minéralisation partout. Des pistes cyclables aux abonnés absents ». Marion renchérit sur la critique des années Teyssèdre : « un oubli des quartiers populaires ; tout pour le centre ville et ce qui se voit, et deux écoles publiques fermées, une par mandat. Le quartier Ramadier, on a constaté sa détérioration ces dernières années. Avant, il y avait des animations, des éducs de rue… Pour de prétendues d’économies budgétaires, la mairie s’est désengagée de la gestion des centres sociaux, en mettant à mal un partenariat institutionnel avec la CAF de plus de 30 ans, plébiscité par les habitants des quartiers concernés. » Deux centres sociaux mettent la clef sous la porte, et les travailleurs sociaux peuvent aller voir ailleurs : « À la place, une maison de quartier, avec des agents qui sont mis en difficulté car leur formation n’est pas adaptée aux problématiques rencontrées dans ces quartiers ».Quant à Matthieu, il insiste sur « une instrumentalisation de la démocratie participative, en allant consulter les comités de quartiers dans le seul but de cautionner des projets ficelés ». On pourrait ajouter sa politique sécuritaire de l’édile avec notamment l’installation d’un système de vidéo surveillance – pour lequel il promet des centaines de nouvelles caméras s’il est réélu ! – et la création d’une BAC de jour, dont on sait les comportements agressifs. Ou encore son soutien aux grandes-surfaces, avec notamment l’installation d’Intermarché en plein quartier du faubourg (2). Et pour finir, d’après Marion « une obsession : désendetter la ville », soit l’austérité au niveau local.

Le pouvoir au peuple ?

Voilà pour la critique cinglante d’une gestion municipale qu’on retrouve dans la plupart des moyennes et grandes villes. Sauf que ce coup-ci, des centaines de listes se présentent partout en France pour remettre l’habitant-e aux centres des débats, à des degrés variables (voir ci-contre).

Du côté de « Rodez Citoyen », la proposition d’organisation politique aurait de quoi plaire à certains gilets jaunes ou partisans d’un communalisme libertaire : des conseils de vie de quartiers où tout est sur la table, des délégué-es envoyés ensuite au conseil de ville, instance décisionnelle ouverte aux habitant-es, pour présenter les projets. Lorsqu’une proposition est validée, un groupe action-projet est créé pour étudier les conditions de sa faisabilité et suivre sa mise en place, toujours avec les élus et les délégués. Le conseil municipal ? Réduit au rôle de chambre d’enregistrement.

Soit, on n’est pas sur un schéma de démocratie directe totale, les élus ont encore un rôle important et l’utilisation ici du concept de « démocratie participative » semble plutôt inopportune au vu de sa récupération par la classe politique ces trente dernières années. On pourrait donc qualifier leur proposition de démocratie semi-directe, «  pour rendre les habitants co-auteurs avec les élus des politiques publiques de la ville », (3) selon Matthieu.

Les indemnités seront partagées entre tous les élus de la majorité et des binômes d’élus auront la charge des différentes délégations. Les élus seront révocables par « référendum d’initiative citoyenne » à mi-mandat. Pour que les gens s’investissent réellement dans la vie communale, un service d’agents municipaux formés et payés pour animer cette « démocratie participative » sera mis en place. Pour Marion, « C’est l’antithèse de la gestion de Monsieur Teyssedre : donner du temps, faire en sorte que les gens s’expriment et construisent. La culture de l’implication, de l’engagement, ça ne se décrète pas, cela s’accompagne ». Éléonore renchérit : « C’est un désir de réappropriation de la chose politique, cette expression a pris son envol avec les gilets jaunes et continue ».

Les femmes en nombre

S’ils évitent d’afficher une étiquette de gauche ou d’extrême gauche, Éléonore avoue qu’il n’y a pas vraiment de gens de droite dans leur groupe… Plutôt des adhérent-es de la France insoumise, d’Europe Écologie, du PS, des militant-es associatifs, des gilets jaunes, des syndiqués… et « des « invisibles » comme moi, juste très engagée et voulant faire bouger les choses au niveau local ». Ils revendiquent leur présence dans les manifs pour le climat, pour la défense des retraites, auprès des Gilets Jaunes, contre les violences faites aux femmes. « Mais on est un mélange de gens différents », précise-t-elle. « C’est des valeurs qu’on partage. Et puis on veut faire de la politique autrement. On a des intérêts communs, quelle que soit notre appartenance politique ». Matthieu estime que « l’échelon municipal, c’est là où on peut se retrouver et fédérer largement au delà des appartenances politiques », ajoutant que « l’écœurement envers les partis politiques est tel, que dès qu’il y a un tampon, la méfiance s’éveille chez la plupart des gens ».

Ils et elles sont une cinquantaine à participer à « Rodez citoyen », dont une trentaine très engagée. « Des nouvelles têtes arrivent à chaque réunion… Et surtout beaucoup de femmes ! », insiste Marion. « C’est génial le nombre de femmes qui s’investissent ! Depuis qu’on est gamines, c’est sois belle et tais-toi. Alors il faut être en confiance, et nous on prend le temps, les femmes ont le temps pour s’exprimer ici. Dans nos réunions, on organise les tours de parole, avec un temps limité, une écoute active, etc. »

Faites le programme 

C’est bien beau leur machin participatif, mais ils proposent quoi au juste, les révolutionnaires citoyens ? Justement, ils revendiquent l’absence de programme détaillé, pour décider des actions et des mesures à prendre dans les conseils, une fois élus. Mais quelques propositions émergent tout de même : diminuer la place de la bagnole via des parkings relais avec des navettes gratos, une expérimentation de transports en commun gratuits, des éducs de rue plutôt que des caméras et du répressif, une aide à la rénovation thermique des habitations, de l’éducation populaire dans les quartiers, une activité gratuite par enfant, un soutien à l’économie locale et solidaire contre les grandes surfaces (avec la suppression du projet de parc d’exposition de Malan et de sa zone commerciale sur 25 hectares de terres agricoles).

Alors on a cogité un peu, réfléchissant à quelques mesures qu’ils n’évoquaient pas et qui ont plutôt notre sympathie. En vrac, on pense au bannissement de la pub, des mesures fortes en terme de justice sociale, l’achat de foncier pour installer des maraîchers bio et fournir toutes les cantines, l’hébergement de sans papiers, la réquisition des bâtiments vides, le plafonnement des loyers, la suppression de la BAC, l’interdiction des pesticides… On espérait ainsi trouver matière à critiquer cette liste. Mais ils nous ont coupé l’herbe sous le pied : c’est le genre de propositions qui leur plaît également. Alors si le 22 mars Rodez Citoyen met Teyssèdre à la porte, ça ne coûte rien de rappliquer dans les conseils de quartiers et de faire de la politique…

1 : Des dissidents d’EELV, avec à leur tête William Fraysse, qui vient de s’enfuir du PS pour revenir dans une mairie LREM : un vrai sportif ! Iils ont affirmé que les discussions avec « Rodez Citoyens » n’avaient pas abouti, ceux-ci étant « bloqués sur la démocratie participative » alors que « l’urgence climatique n’attend pas ». Si cette aversion pour la démocratie réelle ne surprend pas, il faut souligner que selon « Rodez Citoyen », il n’y a eu aucune discussion avec ces écologistes macron-compatibles. (Centre Presse, 04/01/20).

2 : Dans un communiqué fin novembre, intitulé « L’extrême gauche en spectacle au Faubourg », Teyssedre se vante d’avoir « favorisé l’installation d’Intermarché, installation très utile aux habitants ».

3 : L’organisation est assez complexe. Pour décider au final des projets, cela se fait au travers du budget participatif, ou avec la mise en place de référendums si ce sont des projets « coûteux ». Un forum citoyen a lieu une fois par an pour construire les grandes orientations.

Teyssèdre veut une presse aux ordres

Dans un communiqué du 22/01/20, la section SNJ (Syndicat national des journalistes) de Centre Presse« s’élève contre les pratiques récurrentes du maire de Rodez envers les journalistes qu’il s’imagine pouvoir insulter en fonction de ses humeurs et du jugement très personnel qu’il porte sur leur travail ». Tentatives d’intimidation et de déstabilisation des journalistes, réponses méprisantes,refus d’interview… Mais il faut croire que le maire agit de cette façon depuis des années : « Son attitude se répète depuis trop longtemps. En pleine campagne électorale en 2014, il s’était permis de franchir le seuil de certaines rédactions locales comme s’il était chez lui, faisant preuve d’une arrogance insupportable. Mais, déjà, dès son premier mandat, M. Teyssèdre était coutumier d’incivilités envers certains journalistes, dès que ceux-ci avaient osé écrire un article de manière un peu trop indépendante à son goût. Et il n’avait alors pas hésité à commettre des actes d’intimidation, oralement auprès des journalistes, ou en brandissant par écrit la menace de poursuites ».

La démocratie directe en campagne ?

De nombreuses listes se revendiquant de la démocratie directe ou participative ont surgi partout en France, entre 200 et 300 selon les sources. Bien entendu, on trouvera à boire et à manger. Néanmoins, la chose mérite qu’on s’y attarde, notamment pour ses dynamiques les plus intéressantes. Celles se réclamant du communalisme libertaire, dans la lignée des gilets jaunes de Commercy, qui ont récemment organisé en janvier la rencontre des « communes des communes ». Ou du côté du village de Saillans, dont l’un de ses membres, Tristan Rechid, a parcouru la France ces derniers mois pour rencontrer pas moins de 200 collectifs, afin de les initier à leur système de démocratie semi-directe, dont s’inspire « Rodez Citoyen ».

Le municipalisme libertaire

Dans « Municipalisme radical : le futur que nous méritons » (n°6, ROAR Magazine), Debbie Bookchin évoque le municipalisme théorisé par son père, Murray Bookckin, qui « exige que nous restituions le pouvoir aux citoyens ordinaires. (…) La vraie politique est le contraire de la politique parlementaire. Elle commence à la base, dans les assemblées locales. Elle est transparente, avec des candidats qui sont responsables à 100 % devant les organisations de leur quartier, qui sont des délégués plutôt que des représentants (…). Elle rappelle l’existence d’une « riche histoire de démocratie directe, de politique radicale et d’autonomie gouvernementale par les citoyens : de l’ancienne Athènes à la Commune de Paris, en passant par les collectifs anarchistes d’Espagne en 1936, jusqu’au Chiapas, au Mexique, à Barcelone et dans d’autres villes espagnoles ces dernières années – et maintenant au Rojava, dans le nord de la Syrie ».

Floréal M. Romero se méfie de la multiplication actuelle de listes citoyennes, participatives ou municipalistes  : « Le communalisme (ou municipalisme libertaire) propose par un processus révolutionnaire social et écologique, de « remplacer l’État, l’urbanisation, la hiérarchie et le capitalisme par des institutions de démocratie directe et de coopération ». Oublier une seule de ces dimensions, ou se réclamer de Bookchin en piochant de ci, de là dans son œuvre alors que l´on pratique le parlementarisme, revient à usurper son nom et sa pensée » (Médiapart, le 17/02/20). Ainsi selon Elias Boisjean, dans « Le moment communaliste ? » (revue Ballast, 11/2/2019), se limiter à « des espaces de dialogue « participatifs », « concertés » et, pour les plus ambitieux d’entre eux, « éthiques » n’y suffiront pas. Pas plus que l’économie sociale et solidaire, commerce équitable et les seuls circuits courts coopératifs chers à nos municipalistes ». 

Texte : Emile Progeault / Dessins : Foolmoon