Numéro 8

Empaillé n°8

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ÉDITO

De Paris à Minneapolis, une police violente et raciste

« Je m’appelle Mohamed Helmi Gabsi. J’ai 34 ans à peine, je suis père de trois enfants. Hier soir, j’ai rencontré la police municipale de Béziers… Le couvre-feu avait déjà sonné… J’en suis mort. J’ai été violenté par plusieurs hommes, bien trop nombreux, puis porté comme un objet dans la voiture…Une violence inouïe, j’appelais au secours, mais… J’étais seul. Le policier municipal l’avouera plus tard : ils m’ont mis sur le ventre dans la voiture, et il s’est assis sur moi tout le long du trajet… Il dira tout simplement qu’il croyait “que je dormais”. (…) J’ai fait des erreurs dans ma vie, car elle n’était pas aussi simple que la vôtre… Mais malgré ça : j’étais très aimé dans ma ville. J’ai perdu ma mère jeune, j’ai perdu un frère, j’ai vécu des choses atroces que vous ne pouvez pas connaître, loin de mon environnement et pourtant si proches. (…) Mais les médias ne vous le diront pas. Pour justifier l’horreur, pour minimiser l’injustifiable : ils feront tout pour me salir… Et comme d’habitude : vous les croirez.(…) Qu’est ce qui méritait que je sois traité bien pire que la manière dont ils traitent les meurtriers et les pires criminels ? (…) Mes enfants seront sans père… Car hier… J’ai rencontré la police municipale ». Ce texte écrit par un proche de Mohamed, mort le 8 Avril 2020, est un nouveau récit, glaçant, de ce que la police française, arbitraire, raciste, violente, est capable de faire.

L’explosion de colère et de manifestations qui a suivi la mort de George Floyd à Minneapolis montre le ras-le-bol et l’écœurement des populations racisées et de tous celles et ceux qui subissent ces forces répressives, au quotidien ou dans les luttes. Et dans chaque pays, dans chaque ville, une liste des morts, des blessés, de toutes les fois où la police insulte, contrôle au faciès, violente et use d’un pouvoir liberticide. De Lille à Marseille, dans tous les cortèges de ce début juin, il y a un comité « vérité et justice » qui mène un combat local, judiciaire et politique, suite à une ou plusieurs morts, de noirs ou d’arabes presque à chaque fois. Lamine, Abdelhakim, Abou, Ricardo, Mohamed, Adama, Cédric, Ali, Abdou, Wissam… Chaque année la liste s’allonge. Alors quand des dizaines de milliers personnes répondent présent à l’appel du Collectif Adama à Paris, c’est le point de départ d’une forte mobilisation partout en France. La jeunesse des quartiers est dans la rue, la police est inlassablement accusée de racisme et de meurtres. Très vite, le petit monde bourgeois et réac s’empresse de dénoncer des communautaristes qui fabulent sur un racisme structurel, et que non-non-non la plupart des flics sont des gens sérieux et formés. Mais ces élus, ministres ou journalistes sont des blancs qui n’ont jamais mis un orteil dans un quartier populaire ou une manif, et qui ferment les yeux sur la réalité d’aujourd’hui comme sur l’histoire de ce pays et de sa police. Grégory Pierrot, professeur à l’université du Connecticut, l’affirme : « Il existe bien une ligne directe entre les pratiques de la police impériale et celles de la police contemporaine. Mathieu Rigouste a étudié cet état d’esprit faisant de tout Français racisé un « ennemi intérieur » potentiel dont il trace l’origine dans les forces de police coloniales nord-africaines. Les racines historiques du racisme policier sont cependant encore plus anciennes, et liées aux Antilles tout autant qu’à l’Afrique. (…) Si l’on veut sincèrement une France solidaire, il va bien falloir avoir le courage de regarder en face l’histoire de tous les Français. » (1). Et ce n’est pas les deux groupes de flics de 8000 et 9000 membres découverts sur les réseaux sociaux et échangeant des propos racistes qui vont le contredire…

Alors longue vie à tous les cortèges de noirs, d’arabes, de blancs et de tous celles et ceux qui scandent comme à Toulouse ce 10 juin, « Pas de justice, pas de paix ! » et «  Zied, Bouna, Théo et Adama, on n’oublie pas, on ne pardonne pas ! ». Big up aux femmes des quartiers, d’Assa Traoré à Ramata Dieng, en passant par le Front des mères, qui ont le verbe haut et sont la fierté de milliers de jeunes. Qu’on réclame un désarmement de la police, sa refondation ou son abolition, une chose est sûre : ce mouvement est historique et promet de belles choses…

1 : Tribune parue dans Libé, 15/06/20.

L’équipe de l’Empaillé