Numéro 5

Centre Presse, miroir aux alouettes ?

 

« Je compte sur la puissance de votre groupe pour réussir ce challenge ». Ce 10 janvier, lors de la « cérémonie des vœux de Centre Presse », le maire de Rodez convie Baylet à faire la pub de son musée Soulages pour atteindre les 500 000 entrées par an. Ce type de challenge est relevé chaque année par Centre Presse : servir la soupe à tout le monde, sans froisser personne ou presque, et soutenir les pouvoirs en place, en feignant de donner la parole, épisodiquement, à quelques opposant-es. Le tout noyé dans les faits divers, le futile et des pages de nouvelles locales écrites à la pelle par des correspondants… ou par les concernés eux-mêmes.

Ils ne sont plus qu’une poignée de journalistes, vissés sur leurs sièges devant un écran. Chaque jour, remplir quarante pages à toute berzingue, aidés par une centaine de correspondants de presse dispersés dans le département. Compiler des papiers à base de copiés-collés des dépêches AFP, pour les pages « France-Monde ». Se traîner dans une conférence de presse ou un conseil municipal pour les pages locales. Rédiger le papier dans la foulée. Des articles courts, très courts, quinze à vingt phrases maxi. À l’appui, des photos-portraits à la va-vite. Surtout : pas d’investigation, pas de recherche, pas de croisement des sources, pas de points de vue divergents, jamais d’enquête. Un leitmotiv : lorsque les élus entrent en scène, douceur et bienveillance à leur égard. Une tenancière ruthénoise m’affirmait que là-bas, dans les locaux du groupe Baylet, « il n’y a plus de journalistes ». Pour sûr, il n’y a guère plus de « journalisme ».

Lire Centre Presse

Partons pour une plongée en apnée de quatre mois dans les méandres des éditions quotidiennes de ce journal. Pour commencer, quelques spécimens de brosse à reluire : quand le papier transpire la naïveté, la complaisance et la croyance sans faille dans la bonté et le dévouement de l’élu pour l’intérêt général.

23 juin. Le projet de « parc des expositions » de l’agglo de Rodez est en Une. Le gratte-papier taille un costard à ce futur « phare culturel et économique », reprenant les mots de la conférence de presse à laquelle il vient d’assister. « C’est un projet important, insiste Teyssedre », l’illustre maire de Rodez. Rien que « du beau et du bon » avec 20 millions d’euros sur 23 hectares et les services du « grand maître français de l’architecture », Alain Serfati. Rebelote le 27 juillet, avec une demi-page vendue à Monsieur Serfati, qui promet en toute humilité de faire de ce parc « une météorite, un phénix, quelque chose d’envoûtant ». L’affaire est emballée, le gratte-papier s’incline. Incapable de mener la moindre investigation, même pour un tel projet pharaonique. Ni l’utilité, ni le financement ou la localisation de ce futur complexe ne sont mis en doute. C’est un peu la ligne éditoriale de Centre Presse : ne jamais chercher plus loin que le dossier de presse tendu par l’administration.

25 juin. Une pleine page est consacrée au député aveyronnais Mazar (LREM), après s’être offert les jours précédents aux deux autres députés locaux, Blanc (LREM) et Viala (Les Rep). Un micro ouvert, sans véritables questions, où l’élu peut raconter peinard ses douze derniers mois à l’assemblée. Il ne se gène pas, nous confie « la difficulté de courir après le temps », égrène les « textes importants » qu’il a fait passer et les causes aveyronnaises qu’il défend comme un diable. Il s’enorgueillit de sa « liberté de parole », ayant eu le courage incroyable d’exprimer son désaccord sur la limitation à 80km/heure. Pour sauver la face, l’entretien se termine par la « question qui fâche » de Sarah Vidal (adjointe PS au maire macroniste Teyssedre), lui laissant toute latitude afin d’envoyer bouler l’élu. Bien entendu, le journaliste n’évoquera pas le soutien actif de Mazar à la pérennisation de l’état d’urgence dans le droit commun avec la « loi sur la sécurité intérieure » qui constitue un pas de plus vers un État liberticide. Ni tant d’autres lois votées par le député contre l’immigration ou en faveur des riches et du patronat. Cela aurait été prendre parti… contre un gouvernement soutenu avec force par le groupe Baylet.

Tout-va-bien

30 août. C’est la conférence de rentrée de la présidente de région, Madame Delga. Centre Presse est catégorique et titre en page 2 : « Une rentrée des classes la moins chère de France ». Inutile de penser que le journaliste ait pris le temps de vérifier ce slogan imaginé par des conseillers en communication. Ni qu’il lui soit traversé l’esprit de contredire cette élue qui certifie que la rentrée 2018 sera formidable, promettant de nouveaux lycées, une pointe de bio dans les barquettes en plastiques des cantines, « 100% de lycées numériques en 2020 » pour mettre tous les gosses devant des écrans et « renoncer à des manuels papier ». Le 4 septembre, rebelote avec le Conseil Général : « Département : un engagement permanent pour les collèges ». Encore un effet de style soufflé par les communicants, car on a envie de dire : encore heureux, c’est une compétence qui relève du département ! Alors que nos fiers élus se gaussent de faire le travail qu’on leur demande, leurs doux serviteurs nous retranscrivent fidèlement leurs divines paroles : 1,4 millions pour la sécurisation anti-terroriste des collèges, avec renforcement des clôtures, systèmes de contrôle d’accès, etc. Aucune mise en question, aucun détail. En prime, un encadré titre sur une « une rentrée sereine », quasi rédigé par le directeur académique. Rien sur le manque de personnel dans l’Éducation, rien sur les fermetures d’écoles. C’est simple, il suffit d’oublier les syndicalistes et les parents d’élèves, et tout est… serein.

Doper l’info

Centre presse aime les aveyronnais, surtout s’ils sont célèbres. Le 11 septembre, Richard Ferrand est mis à l’honneur pour son accession à la présidence de l’assemblée. « Un aveyronnais en route pour le perchoir ». Le quotidien se mue en club de supporter et préfère, évidemment, souligner l’origine locale de ce type plutôt que sa fonction : bras-droit du président de la République, dont la mission va être d’accentuer son contrôle sur l’assemblée nationale. L’article qui lui est consacré insiste, naturellement, sur « un choix de stabilité » et de « cohérence ».

En page 2 de cette édition, c’est un bouquet de fleurs offert à Jean-François Gaillard : « Être debout et revendiquer ». Nom d’un chien, le chef du département est dépeint en quasi résistant ! Comprenez, cet homme de droite macron-compatible – il eut fallu le préciser – doit faire face au dossier des « mineurs non-accompagnés » qui mettent le département en « overdose », avec 647 gosses sans-papiers. À l’inverse, les parisiens sont les bienvenus, avec un « job dating » organisé dans la capitale pour recruter 200 CDI et booster « l’attractivité du territoire ». Jean-François Gaillard se gratifie aussi du contournement d’Espalion, mis en valeur dans la page suivante du quotidien. Ce Gaillard est un vaillant : « il faut se battre », sermonne-t-il. Ses paroles raisonnent encore à Centre Presse. Le grand frisson qui laissa le journaliste sans voix et sans questions.

30 septembre. Retour de Richard Ferrand en Une, qui « retrouve ses racines aveyronnaises » pour une visite du département très médiatisée. En pages intérieures, le quotidien brasse du vent à son honneur. Il est « heureux de raviver quelques souvenirs », « multiplie les rencontres ». Avant d’aller se dandiner à la foire bovine de Laissac, il balance deux ou trois phrases prémâchées sur un territoire qui doit avoir un « projet » pour renforcer son « attractivité ».

Le 12 octobre, Ferrand refait parler de lui…Trois juges d’instruction sont nommés dans une affaire le concernant. Diantre ! Centre Presse va sortir une première page sur cet aveyronnais qui salit notre honneur ? Non, un tout petit entrefilet dans une colonne de la page 22, qu’on a failli louper et qui évacue les faits pour lesquels il est poursuivi. Pourtant, les juges enquêtent sur une prise illégale d’intérêts, « une infraction caractérisée » selon l’association Anticor : en 2011, la femme de Richard avait financé l’achat d’un bien immobilier de 375 000 euros en le louant aux mutuelles de Bretagne que son bon mari dirigeait alors. Un petit arrangement entre époux qu’il faut vite oublier.

Baratin sécuritaire

1er octobre. Changement de registre. L’adjoint à la sécurité de Rodez est poignardé en pleine rue. Le quotidien tente d’appuyer le sentiment d’insécurité qui se propage parmi le lectorat. Sur son site Internet, lors d’un entretien avec le maire de Rodez, les questions s’enchaînent et se répètent, une matraque à la place du cerveau : « Faut-il plus de policiers municipaux ? », « Faut-il armer la police municipale ? », « Ces armes non létales peuvent-elles aussi être affectées aux travailleurs sociaux de la mairie ? ». Teyssedre semblant un peu tiède, le journaliste insiste à nouveau : « On a l’impression que les élus et leurs services sont impuissants à résoudre ce genre de situation. Partagez-vous ce sentiment ? C’est donc à la police nationale d’agir, mais a-t-elle les moyens suffisants ? » Teyssedre sert alors la soupe qu’on lui réclame, confie son souhait de municipaux supplémentaires et la création d’une BAC de jour. Centre Presse est ravi. D’autant que lors de la venue du premier ministre, le 5 octobre, ce dernier annonce six flics supplémentaires pour monter la brigade demandée. Pour faire passer la pilule sécuritaire, le quotidien relate l’idée d’une énigmatique « équipe mobile de précarité », « évoquée » par Édouard Philippe pour porter assistance aux « personnes en souffrance », sans plus de précisions, et dont nous sommes sans nouvelles depuis. Avis de recherche…

18 octobre. Le quotidien poursuit sa campagne sécuritaire sur son site web : « Rodez : la BAC de jour fera-t-elle son retour ? ». Le journaliste assure que « restaurer une brigade anti-criminalité en journée pour Rodez et Onet répond à l’urgence dont il faut convaincre l’état [sic] qui étudie la question ». Il soutient que « ces policiers, le plus souvent en civil, ont vocation à accroître la rapidité des interventions ». Ce genre de salade est largement contredite par l’anthropologue Didier Fassin (1), après quinze mois passés avec des équipes de la BAC. Il décrit une police « rude et humiliante », qui « harcèle » certaines populations. Contrôles au faciès, racisme, provocations gratuites, fouilles à répétition, arrestations de sans-papiers et petits délits liés aux stupéfiants pour faire du chiffre. Tous les témoignages de celles et ceux qui ont eu affaire à ces brutes ces dernières années vont dans le même sens. À Millau, une manifestation en 2011 réclamait ainsi la dissolution de la BAC, protestant contre ses méthodes agressives. Puis en 2012, une mobilisation eut lieu pour demander vérité et justice après que le jeune Nabil ait été abattu dans sa voiture par des flics de la BAC. Mais de tout ça, le lectorat de Centre Presse n’en saura rien.

L’attraction Occitanie

29 octobre. La région est encore à l’honneur de la première page, pour donner la « parole aux citoyens » en vue du « pacte alimentaire ». Parole se résumant à cocher des cases dans un questionnaire pour le moins consensuel. Pas question ici de mettre en cause les grands groupes agro-alimentaires responsables de la malbouffe ni le hors-sol ou les pesticides. Parlons « bien être » et « bien vivre », consommer local, bio en pourcentage saupoudré de « transition » et de « durable ». Sans se forcer, le quotidien adoube le PS qui arrose ce pacte de 75 millions d’euros, et encense une région décorée de la médaille d’or du bio français. Incroyable. Comme l’impression de ne pas habiter la même région. Et le journaliste d’insister : cette consultation « débouchera donc sur des décisions concrètes ». Comment pourrait-il en douter, ressortant de cette conférence de presse honorifique sur le meilleur des mondes de l’Occitanie ? À moins de joindre un syndicat agricole, une association… et de faire son boulot.(2)

On vous voit venir : tout cela n’est qu’une caricature qui sélectionne les pires articles pour construire une image dévalorisante du journal. La preuve : Centre Presse donne la parole à tout le monde. Et oui, c’est vrai. Comme dans la plupart des journaux, de L’Huma à Valeurs actuelles. Dans le quotidien aveyronnais, parfois, des opposants au gouvernement, des syndicalistes, même des zadistes ont droit à un papier, souvent plutôt amical et très court de préférence. Mais c’est si rare. Pour cinquante papiers élogieux envers les élus locaux, le patronat ou le gouvernement, on a un papier sur une initiative militante. Sur les dizaines de numéros consultés ces quatre derniers mois, le constat est sans appel. Sous couvert de neutralité, Centre Presse est largement acquis aux « responsables »  locaux ainsi qu’au gouvernement actuel.

Le 10 octobre, au lendemain d’une grosse journée de mobilisation nationale qui a rassemblé 1500 personnes sur la pavé ruthénois, la Une de Centre Presse titre logiquement sur « une forte mobilisation à Rodez ». Mais en pages intérieures on ne trouve qu’un petit encart très bref sur la manif, à peine un quart de page. Une place ridicule comparée à la place donnée ordinairement à un sujet de Une. S’il n’y avait eu la photo, on aurait pu douter de la présence du journaliste sur place… Pourtant, les manifestant-es ne manquaient pas de sujets : suppressions d’emplois massives dans les services publics, baisses de salaire, destruction des CHSCT, mise en place de la machine de tri social « Parcoursup », réformes du système éducatif, etc. En vérité, c’est la pratique des gratte-papiers de Centre Presse : un petit saut à la manif pendant les prises de paroles syndicales et retour au bureau. Les slogans chantés par la foule, les écriteaux sur les pancartes, les témoignages de manifestants, l’ambiance : vous n’avez qu’à y aller vous-mêmes !

Un journalisme végétatif

À chaque édition, Centre Presse se distingue par la flagrance de son manque de travail journalistique. Sans intelligence, sans curiosité, sans esprit critique. Par conditionnement, par manque de temps, le journal ressemble souvent à une caisse enregistreuse.

31 août. Le journal se surpasse dans la médiocrité en affichant en Une la photo d’une rangée de vélos d’appartement, titrée : « Pour la rentrée, tous au sport ! ». Ce n’est pas une blague. L’article fait ensuite une belle pub rapido à cinq enseignes de salles de body-sport qui prospèrent à Rodez. Citations et slogans à l’appui, offres tarifaires en encadré. Les sports collectifs, la dimension populaire, l’engagement des bénévoles, du balai ! Dans cette édition, pour le retour à la semaine des quatre jours en école primaire, nous avons droit à la reproduction d’un communiqué de l’académie : rien sur le pourquoi de ces quatre jours, pas d’avis pédagogique, pas d’enseignant, pas de syndicaliste, pas de parents d’élèves.

Le 11 septembre. « La culture passe à l’action » en Une. La « création d’un agenda culturel commun » est annoncé, puisqu’à Rodez « il y a foison d’activités ». Les esprits curieux passeront leur chemin, tout cela est sans chiffres, sans statistiques, sans détails sur le type d’animations, de lieux, de publics qui font vivre la « culture » locale. Et loin du journal l’idée d’évoquer un débat sur quelle culture, avec qui et à quel prix. Rebelote le 24 septembre, avec le relais d’une campagne gouvernementale pour se vacciner contre la grippe en pharmacie. Le débat sur la vaccination, l’avis des médecins, les effets secondaires de ce vaccin, son utilité contestée ? Hors sujet, vous l’aurez deviné.

Le 7 septembre, le quotidien choisit pour sa Une un titre choc d’inspiration sarkozyste : « En finir avec les arrêts maladie ». Bien sûr, on pourrait s’inquiéter de la santé au travail, se pencher sur les méthodes de management modernes et agressifs, sur toutes les maladies et les accidents dus au travail répétitif, à l’exposition aux produits nocifs ou aux exigences de rendements. Mais il eut fallu titrer « En finir avec les mauvaises conditions de travail », dont les arrêts maladie sont une conséquence. En inversant la logique, c’est faire la chasse aux feignants qui abusent le patronat et profitent de la sécu. Bien sûr, Centre Presse ne fait qu’emboîter le pas à la presse parisienne ce jour-là. Mais si certains titres se demandent comment limiter les arrêts maladie, Centre Presse pousse le bouchon un peu plus loin, comme son clone La Dépêche, qui titre ce jour-là sur un Premier ministre qui « part en guerre contre l’augmentation des arrêts maladie ». Avec plusieurs journaux à son arc, Baylet peut enfumer toute une région incognito.

Illusion d’optique

Vous fatiguez ? Ok, on ne s’attarde pas sur cette Une du 26 septembre, à propos de la fibre optique, se posant la question que personne ne se pose : « Quand serez-vous raccordés ?». Pour « surfer sur Internet à la vitesse de la lumière », qui grâce à Orange « devient une réalité ». À coup de millions payés par les communes et le département. De même, inutile d’évoquer cette Une du 12 octobre, qui frôle le ridicule en relayant l’anniversaire… d’une aire d’autoroute : « L’aire de l’Aveyron, une vitrine pour le département ». Un « formidable outil en matière d’attractivité » comprenant un parking de 17 hectares et un accueil touristique tenu par deux hôtesses. En panne d’inspiration, le rédac chef aurait-il eu cette idée en allant pisser le matin même dans les urinoirs de la station service ?

Tout aussi « formidable » est cette Une sur l’association « familles rurales », un « fleuron », un « acteur incontournable » et « solidaire ». Et le journaliste ne dira mot sur le fait que leur congrès soit introduit par un ministre de Macron, et que le premier débat ait mis en avant un économiste libéral, Nicolas Boyou, fervent soutien des contre-réformes anti-sociales des derniers gouvernements.

Passons aussi sur cette Une du 21 octobre affichant un poids lourd pour célébrer l’entreprise locale « Combemale », un  « poids lourd de l’événementiel », qui organise une « sacrée aventure » au Turkménistan : le « Turkmen desert race ». Que ce soit l’une des pires dictatures les plus fermées au monde n’intéresse personne, naturellement.

Attardons-nous plutôt sur l’édition du 7 octobre. C’est week-end. Il faut de la culture, du beau, du bon, du plaisant. Mais après quelques pages consensuelles, le quotidien présente en page 8 la création de l’association «  Défense de nos libertés » par six retraités à Decazeville, dans leur cuisine. Des anciens du FN qui promeuvent « l’identité », le « patriotisme » et le blog « Lou Roumeigaire ». Jusque-là c’est très soft. De l’extrême-droite policée qui ne dérange pas le quotidien. Mais le journaliste, s’il existe, n’a pas pensé à vérifier le blog relayé dans son article. Représentant de la « ligue patriotique aveyronnaise », ce blog s’insurge contre les « bateaux négriers », ces « collabos » qui secourent les « envahisseurs » en pleine mer. Ils sont « responsables du chaos », de « l’arrivée des maladies » et de « cette calamité qui s’appelle l’immigration afro-arabo-islamique ». Ce groupuscule de vieux fachos peut remercier Centre Presse pour la petite pub sympatoche.

9 novembre. Le ridicule, à nouveau. La manchette était déjà toute vue : « Condamnée pour barbarie ». Mais le reste de la Une manque d’inspiration… C’est le service com’ de la préfecture qui sauve la rédaction grâce à la simulation d’une « tuerie de masse » la veille. Le rédac chef s’illumine et lâche en Une : « Rodez : prêts à affronter le pire », illustré par un flic du RAID qui tient le lecteur en joue, à côté d’une étudiante morte, à terre. En page 3, on se délecte de « la rixe entre étudiants » qui «  se termine dans un bain de sang », grâce à l’imagination de la préfecture : une fête arrosée, une baston, une prise d’otage, orgie de coups de couteaux. Des jeunes volontaires sont donc venus faire joujou avec les mitraillettes du RAID, s’amuser à simuler des cadavres et des rescapés de la terreur, vite secourus par les bienfaiteurs de la BAC. « Une action riche d’enseignements » concluent Centre Presse et la préfecture. Sans préciser lesquels.

10 novembre. La parole est donnée à la directrice du SPIP (4) Aveyron-Lot, chargée du suivi des personnes sous main de la justice, en taule ou en liberté surveillée. Titré « la prison n’est pas la solution idéale », l’accent est mis sur les peines alternatives à la prison que s’efforcerait de mettre en place le SPIP. Mais la directrice en profite pour glisser son soutien à la ministre des prisons et des tribunaux, Nicole Belloubet, et à son projet de loi « Justice » qui va favoriser les travaux d’intérêt généraux (TIG) en les ouvrant aux entreprises et collectivités. Mais tout cela relève de la désinformation, car chaque année, toutes les catégories augmentent : à la fois les incarcérations et les peines dites « alternatives » (liberté surveillée, TIG, etc). C’est pourquoi Belloubet veut à la fois élargir les possibilités de TIG et construire de nouvelles prisons pour créer 15 000 places de prison supplémentaires. Cette directrice du SPIP soutient ainsi ce « moment punitif sans précédent dans notre histoire en temps de paix » depuis plus de 30 ans : on est passé de 36 900 emprisonnés en 1980 à 68 900 en ce début d’année et on a franchi aujourd’hui les 250 000 personnes « sous la main de justice » (toutes peines confondues), contre 108 000 en 1980.

Centre Presse, à votre service

C’est « vide » : critique récurrente à l’évocation de Centre Presse. Qu’on nous apprenne qu’un soûlard ait été pris au volant, que Philippe Gildas soit mort, que les JO seniors de Millau aient été chroniqués sur TMC ou encore que le Paris-Rodez soit désormais équipé de prises et de wifi, on s’ennuie péniblement. Bourdieu parlait de « faits omnibus », « qui ne doivent choquer personne, qui sont sans enjeu, qui ne divisent pas, qui font le consensus, qui intéressent tout le monde mais sur un mode tel qu’ils ne touchent à rien d’important ».

Le quotidien est le reflet d’une société lisse et harmonieuse. Des pages locales remplies d’articles insipides, un catalogue de compte-rendus sur les assemblées générales d’associations, les quines, les ouvertures de magasins, les compétitions sportives. Tout est formidable, sans fausses notes, sans le moindre malentendu, plus belle la vie. Des photos en rang d’oignon à la pelle, parfois plus importantes que les textes eux-mêmes. C’est le propre du « journal-miroir » qui imprime ce que le lectorat aurait envie de voir. Centre Presse prend alors la fonction d’un service de comm’ que tout à un chacun peut contacter. Les « correspondants locaux de presse » assurent le boulot. Des sous-pigistes, précaires, sans formation, payés une misère et logiquement portés davantage sur la quantité de mots vendus que sur la qualité de leur production.

Mais Centre Presse enfonce le clou, en réduisant à néant le travail journalistique : parfois, (souvent ?) il est demandé aux acteurs, aux organisateurs, aux associations, d’écrire eux-mêmes leur propre papier et d’envoyer une photo à l’appui. Le correspondant n’a pas le temps, c’est ça ou rien. C’est une externalisation qui ne coûte pas un rond, et dont on ne verra pas la différence, alors pourquoi se gêner ! Mais le 9 novembre, le quotidien s’emmêle les pinceaux. La page 10 met en avant une « convergence des consciences avec Pierre Rabhi » organisée par « Rencontres citoyennes de Rignac ». Le supposé journaliste, euphorique, fait l’éloge du conférencier. Pourquoi pas, on est habitué. Mais voilà qu’en page 23, où sont publiés les communiqués, on trouve le même article avec le même titre et la même photo, précédé de la mention : « Le président de Rencontres citoyennes de Rignac nous prie d’insérer ». Voilà une belle bourde ! Et depuis peu, cette pratique est assumée en page 5, dénommée « Rodez Sport » et consacrée à l’auto-publication par les clubs ruthénois de leur actualité. Un petit encart précise qu’il « suffit d’envoyer un mail (texte + photo) ». Forcément, les clubs s’envoient des fleurs, on ne va pas le leur reprocher.

Pour mettre du piment à ce bonheur en boîte, les faits divers sont à l’honneur en Une et dans les premières pages. Des carcasses de bagnoles fracassées, des affaires de crimes sanglants, des viols, du trafic de drogues, du vol à l’étalage. Des plus grosses affaires aux délits les plus insignifiants, toute l’activité judiciaire et policière de la veille est mentionnée. Les brèves en page 2 sont ainsi la simple copie du procès verbal des flics. « Hier, un mineur a été pris avec 2 grammes de cannabis, vers 14h45, rue des martyrs de la résistance ». Ça remplit les pages et ça alimente la nécessité d’une société policière.

L’économie du copié-collé

Après avoir apprécié la révérence du quotidien à l’égard des pouvoirs, le tronquage de l’information, l’entretien du climat sécuritaire, la propagande politique et au final, la vacuité de ces pages, il ne reste plus qu’à accuser Centre Presse de plagiat à outrance. Ce n’est même plus une imposture, c’est une vaste blague. Tout le canard, à peu de choses près, est pompé de Midi-Libre et de La Dépêche. À moins que ce ne soit le contraire… on ne sait plus bien. Puisque c’est le même groupe, pourquoi payer trois journalistes pour écrire sur le même sujet ? Ainsi, les premières moitiés des éditions de Centre Presse et Midi libre sont identiques, avec 13 à 20 pages parfaitement similaires, et plus de la moitié des articles de La Dépêche sont des copiés-collés de Centre Presse, ou inversement. Une longue interview du premier ministre le 26 octobre se retrouve alors à la Une de toute la presse du Sud Ouest. Le groupe Baylet est en service commandé ce jour là pour passer le message : le gouvernement tient « le cap des réformes ».

La poignée de journalistes qui travaillent encore pour ces quotidiens ne méritent pas toujours qu’on leur jette la pierre. C’est bien le cadre qui leur est donné par la direction et la famille Baylet qui doit être mis au pilori. Sous un vernis démocratique, cette presse locale ne sert qu’a neutraliser la réflexion critique, occuper les esprits et porter haut et fort la parole des dirigeants et les valeurs dominantes. Vendredi 7 décembre, à la veille d’un week-end qui s’annonce explosif, en Aveyron comme ailleurs, nous aurions besoin d’un quotidien qui titre sur « Gilets jaunes : l’appel au soulèvement ». Mais à l’entrée des supermarchés et des kiosques du département, l’affichette publicitaire de Centre Presse place le quotidien de l’autre côté du manche : « Mazar : le député appelle à la raison ». Il s’agira de s’en souvenir.

1 :  La force de l’ordre, Le Seuil, 2011.                                                                  2 2 :  Ou de se rappeler qu’une semaine plus tôt, lors de la soirée organisée par les Jeudi en question et l’APABA (Association pour la Promotion de l’Agriculture Bio) à Marcillac pour débattre du bio dans les cantines, pas un seul de ces supers élus ne s’est déplacé.                                                       3 :  Le 24 septembre, le journal s’excitera en titrant « L’Aveyron bientôt au JT de TF1 » : le département est à l’honneur d’un reportage au sujet du ras-le-bol suite à la baisse des dotations de l’État, qui sera notamment illustré par « l’afflux de mineurs non-accompagnés dans le département ». 647 jeunes arrivés en 2018 sont-ils réellement un « afflux » démentiel ? Faut-il s’aligner sur Gaillard et alimenter le racisme ambiant ?                               4 4 :  Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation

Brèves du dossier :

Le Lidl de l’Info. Centre presse vit de la pub, comme ses frères siamois. En moyenne, dans la presse locale, le tiers des recettes d’un journal provient des recettes publicitaires. Dans ce quotidien, l’équivalent de quatre à cinq pages sont remplies de pub chaque jour. De petites annonces locales éparpillées, des demis ou des pleines pages pour toutes les grandes marques, notamment la grande distribution, l’automobile et les banques. L’abonné des pages du quotidien est sans conteste Lidl, le roi du discount à deux balles. À vrai dire, ils se ressemblent : travail bâclé, compression de personnel, mauvais produits.

Chute libre. Comme toute la presse mainstream, les journaux de Baylet diminuent leurs ventes chaque année. Midi Libre vient de passer sous la barre des 100 000 exemplaires vendus, avec près de 17 000 lecteurs perdus en quatre ans. Centre Presse est passé de 17 850 en 2014 à 16 400 aujourd’hui, et La Dépêche a chuté de 155 000 à 135 000 exemplaires. Prenons la calculatrice… D’ici une vingtaine d’années, les trois titres auront disparu !