Numéro 3

À Jean Michel Baylet, ministre et patron de La Dépêche

Franchement, ne crois pas que qu’on en fasse une affaire personnelle. Si on se permet de te chafouiner une nouvelle fois, c’est que tu nous sers l’occasion sur un plateau. Alors qu’on rédigeait cet Empaillé, ne voilà-t-il pas que je tombe, au beau milieu de l’Internet mondial, sur plusieurs articles te concernant.

En 2002, alors sénateur, tu n’aurais pas pu t’empêcher de cogner ton assistante parlementaire. Un soir, chez toi. Je te fais l’économie de la retranscription des procès verbaux – qui accompagnent dépôt de plainte et enquête préliminaire. Je pense que tu les connais mieux que moi. Notons tout de même qu’ils mentionnent des coups au visage et qu’après lui avoir extorqué sous la contrainte – sans dec’ – une lettre de démission, tu l’as laissée partir à poil. Avec ses clefs et ses lunettes néanmoins. Gentleman.

J’ai d’abord songé ne pas évoquer tout ça. Le site1 qui a récemment déterré l’affaire est un torche-cul qui, même virtuel, défie la douceur pour les fesses des tiens, de journaux. C’est dire. Devait-on, à l’Empaillé, se presser dans le caniveau comme tu sais si bien le faire ? Je ne sais toujours pas. Ce qui m’amène à t’en toucher deux mots, c’est un certain silence. Le peu de journaux qui évoquent l’affaire, même quand, en 2006, tu t’affiches comme soutien d’une Ségolène Royal pourfendeuse des violences faites aux femmes. Pourtant, on le connaît le zèle de ces mêmes journaux, pour détruire des vies et des carrières quand bon leur semble.

Quand France Soir se décide enfin à te dépeindre en « cogneur radical », en référence à ta mafia politique à toi2, tu portes plainte pour atteinte à la vie privée. Mais pas pour diffamation. Si je te suis : pas parce que ce serait faux, mais parce que ça t’embête que ce soit rendu public. Je te reconnais là une certaine sincérité, celle de ne même pas prendre la peine de nier les faits. Y compris à l’Assemblée Nationale où t’as récemment été interpellé à ce sujet par une député écologiste. Du pouvoir t’en as tellement, que dans ce genre de cas, t’as même plus à faire semblant d’être innocent. L’avantage d’être assis sur le trône.

J’aimerais t’accorder le bénéfice du doute concernant les faits en présence. Presque, comme tu le recommandes, je pourrais être tenté de regarder en direction de la justice, qui a classé l’affaire sans suite. Aïe : problème. De conscience. Regarde dans le dico si tu veux voir ce que c’est. La justice, comme tout le reste, tu l’as achetée. C’est feu Dominique Baudis – il te détestait au moins autant que nous – qui a sournoisement obtenu l’aveu de ta victime au sujet de la transaction que tu as conclue avec elle, pour qu’elle se taise et retire sa plainte. Je t’avoue que ça ne me surprend pas trop de ta part. Ce qui me surprend plus, c’est que le Parquet de Montauban en ait profité pour clore l’instruction. Alors qu’il pouvait – devait ? – la continuer, malgré tes manœuvres.

Ça fait 23 ans que tu slalomes entre les procès, attendant patiemment dans l’antichambre de l’exécutif, de pouvoir enfin revenir au gouvernement. Alors quand Hollande déclare ne vouloir aucun ministre mis en examen à ses côtés, ça tombe étrangement bien que tout le monde ferme sa gueule au sujet de ton sang chaud et de tes poings serrés. Merci l’omerta. Et merci la justice qui joue à colin maillard. Quand on voit les ramifications de ton empire dans le coin, je crois qu’on est en droit d’interroger l’attitude du Parquet de Montauban. Les tribunaux sont façonnés pour les gens comme toi. Pourquoi se gêner?

Ces coups, ils m’ont trotté en tête. Tu sais pourquoi? Dans cette violence, il y a tout ce que ta caste s’efforce habituellement de cacher. Toi et tes pairs, vous glissez de taxis en réus, de réus en restos chics, de restos chics en espaces sécurisés. Il y a toujours quelqu’un pour maintenir à distance – à votre place – les éventuels grains de sable. À grand renfort de procédures, de lois, de référés, de remparts administratifs et autres « la décision c’est pas moi qui la prend, ça vient d’en haut ». Sans parler des flics, qui frappent quand vous ne savez plus quoi dire. Et pourtant, ce soir-là de 2002, Jean-Mi, t’as vu rouge. Tu as frappé. Dans ton monde où tout se déroule comme tu le décides, quelque chose s’est grippé. À quoi je le devine ? T’as pris un risque pour ta précieuse carrière.

Ce soir-là, t’as parlé ce langage qui est le tien et qui suinte quand on essore tes journaux. Celui de la haine « à la papa ». Qu’est-ce que je fais quand les choses m’échappent ? Je cogne. Qu’est-ce que je fais quand cette chose (sic) est une femme et qu’elle n’agit plus comme je le souhaite ? Je cogne. L’idée même qu’une personne puisse en contraindre une autre, sous une pluie de coups, à signer un contrat, est une métaphore puissante pour comprendre ton monde. Votre monde. La raison pour laquelle, peut-être, certains de tes copains journalistes et magistrats ferment leur gueule devant le miroir que tu leur tends. Logique alors que vous bossiez de concert pour absorber l’événement afin d’en faire un non-événement. Jean-Michel, sache que nous sommes et serons toujours quelques-un.es à ne pas être dupes. Et si jamais on se croisait un jour, ici ou ailleurs, entre un resto et un taxi, t’inquiète : on te laissera tes clefs. T’as des lunettes?

Au plaisir.

 

Brèves du numéro 3 :

Confit d’intérêt. Baylet, qui détient toute la presse aveyronnaise, a remporté l’appel d’offre pour l’impression des 300 000 exemplaires du magazine publicitaire de la Région, dirigée par Delga, dont le parti gouverne avec celui de Baylet. Pour s’assurer que tout se déroule comme prévu, Pinel, la présidente du parti de Baylet, faisait partie de la commission supervisant l’appel d’offre. Un projet concurrent, qui n’a pas compris comment les choses se passent dans le Sud-Ouest, proposait une impression de 400 000 euros moins chère et plus « écolo ». Il est allé se rhabiller. Le marché et ses quatre millions d’euros, c’est pour la famille.

La Dépêche prend l’eau. Le syndicat SNJ du groupe alerte fin septembre sur une « rédaction à l’agonie » : « Partout, [les] manques d’effectifs engendrent des difficultés de fonctionnement, des impossibilités de faire son travail, des impossibilités de mener à bien des tâches de plus en plus nombreuses et du stress. Des faits-divers aux informations générales, tous les services sont en état de surchauffe et, à la limite de l’explosion, en danger sanitaire». Même l’insignifiante Itélé a réussi à se mettre en grève, alors on attendait enfin un débrayage du côté de chez Baylet, après les couleuvres en série de ces derniers mois : licenciements et suppressions de postes en cascade, fermetures d’agences, fusion de certains contenus en attendant celle des rédactions de La Dépêche, Centre Presse et Midi libre. On ne perd sans doute pas grand chose, mais c’est un pas de plus vers la médiocrité de l’info locale. Pour sauver l’honneur, deux heures de grève ont eu lieu le 3 janvier.

Qu’elle crève. Selon le SNJ, « il n’y a plus que huit journalistes Dépêche sur l’ensemble du département ». Mais qu’il les vire ! Baylet, avec tes grosses couilles, mais saborde tout ça ! Ces journalistes qui tentent encore, rarement mais parfois, de dire quelque chose sur le réel : ils font chier ! Aux oubliettes ! On s’en balance de ces intellos à deux balles, on s’en balance de tous ces bouffeurs de pub qui te servent de lectorat. Jean-Michel, mais lâche-toi, lance un Direct Aveyron bien débile ! Trouve une enflure de banquier dans tes amis pour te subventionner, chope des correspondants sous-payés à la pelle, crée un vrai torchon de pubs et de compte-rendus, à diffuser gratos aux entrées des Mac do et Carrefour market ! Tranche dans le lard, Jean-Mi !