Numéro 3

Décharge dans le bassin

Bassin de Decazeville :

Jus de décharge sur terre plombée

À Viviez, se termine l’une des plus grandes opérations de dépollution d’Europe. À la clef, la promesse d’une zone reboisée et végétalisée, histoire de faire oublier la présence de métaux lourds dans les corps et les jardins. C’est pourtant sans honte ni vergogne que les groupes Séché et Sévigné avancent à marche forcée pour y imposer le stockage de milliers de tonnes de détritus par an. À 300 mètres du bourg, une immense décharge au cœur de l’ex-bassin minier. De quoi chauffer le sang de celles et ceux qui refusent d’être pris pour des « sous-citoyens ».

Joël Séché, pour vous servir

Allié au groupe aveyronnais Sévigné, le numéro trois du déchet en France enchaîne caresses et poignées de main pour monter une affaire juteuse.

Son truc, à « Jojo », c’est les déchets dangereux. 60% de ses activités, c’est dire. La vie est bien faite : ce sont aussi les plus rentables. Joël Séché est un comique : il a ajouté « environnement » à son nom, lors du baptême de son groupe. Depuis l’installation de sa première décharge, en Mayenne, il essaime partout en France. Le bras long, il soigne ses liens avec des sénateurs et ministres de droite (1) pour s’imposer dans la gestion de sites publics et racheter à tout va. Quinze ans qu’il fait du shopping, jojo. Il se paye notamment la Drimm, Alcor et Tredi en 2001-2002, reprend la gestion de l’incinérateur de Nantes et de Strasbourg, jusqu’à investir dans le détritus nucléaire avec HPS Nuclear Services. Voilà un homme d’affaire pur jus, qui a oublié jusqu’à la définition du mot scrupule, le cul vissé à la tête d’un mastodonte de 1700 salariés. La sécurité, l’environnement et toutes ces choses-là, il veut bien en entendre parler tant que ça n’affecte pas ses dividendes (2) et ses 450 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il suffit de jeter un œil sur ses activités (« Faits d’armes » ci-contre) afin de s’en persuader : pour Jojo, l’écologie c’est du flan.

C’est lors d’une course hippique – son péché mignon – qu’il a dû avoir le tuyau : le marché des déchets aveyronnais pèse pour 10 à 15 millions d’euros, et voilà que la montagne d’ordures du département se retrouve sans décharge en 2020. Jojo fleure le bon plan. Le village de Changé, où trône sa première décharge, est devenu un aspirateur à déchets pour tout le pays, qu’ils soient ménagers ou dangereux. Surnommé le mont Séché, le site « accueille » plus d’un million de tonnes de déchets par an. S’il a pu prendre sa Mayenne natale pour un dépotoir, pourquoi se gêner quand il s’agit d’un coin perdu de l’Aveyron ?

Pas de pitié

Quelques coups de fil bien placés, et voilà qu’il s’allie avec un patron local, Sévigné. Il teste le terrain près de Millau, puis à Salles-Curan et à Ségur, où ils achètent 50 hectares, pensant l’affaire pliée. Chaque fois, les habitant-es leur barrent la route. Séché pense alors à ces terrains chargés en métaux lourds qu’il dépollue près de Decazeville, pour le compte d’Umicor (cf ci-contre). À l’époque, ils promettent à l’unisson que ces terrains seront ensuite transformés en zone naturelle, végétalisée et bio-diversifiée. Jojo se souvient bien de cette promesse à la con. Mais aujourd’hui, quoi de mieux que ce genre de terrain pour une décharge ? Pas un seul paysan à exproprier ! Une zone sinistrée prête à tout pour quelques emplois ! Une population déjà habituée à vivre avec l’arsenic et le cadmium, qui ne s’offusquera pas d’un surplus d’émanations toxiques ! Sacré jojo. Il met la machine en route. En coulisse, les maires et les élus sont rencontrés et ils donnent la patte. La presse locale n’est pas farouche et lui léchera le petit orteil comme par le passé (3).

À l’hippodrome, Jojo peut sabrer le champagne avec ses petites copains sénateurs. En peu de temps, il parvient à amadouer suffisamment d’élus du département et du Sydom. Ceux-ci votent contre le projet de partenariat public avec le Tarn qui était pourtant sur les rails. La voie est libre. Le futur appel d’offre sera taillé sur mesure. En attendant, Séché achète un à un les terrains privés qui jouxtent les 74 hectares de terres d’Umicor – qui lui sont déjà acquises. Le géant du zinc est plutôt soulagé de se débarrasser de cette zone infectée jusqu’à l’os, qu’il avait du mal à fourguer sur le Bon coin. Jojo a les yeux qui brillent, et table sur un investissement de 40 millions bien tassés. Un de ses émissaires ne s’en cache pas : le projet sera « évolutif » (4). Car Jojo a bien imaginé les convois de déchets qui pourraient venir du Lot et du Cantal. Sans parler des déchets industriels auquel il ferait une petite place. Certes, ce ne sera pas beau à voir, et les ploucs du coin l’accuseront de les empoisonner. Jojo le sait bien : quelques jus de décharge suinteront ici et là, des gaz toxiques s’échapperont parfois dans un sens ou dans l’autre. Mais il n’y aura pas de quoi fouetter une vache : ça s’immiscera dans le quotidien, comme les terrils dans le paysage.

Belles ordures

Tout est affaire de com’, Jojo le sait mieux que personne. Il faut savoir vendre une décharge comme un site écologique. On ne récolte pas les déchets de la société industrielle, non madame, on est à la pointe de la transition vers « l’économie verte ». On invente « l’économie circulaire » de demain. On acclame les « solutions nouvelles », on accole « valorisation » à déchets, on met du « bio » à toutes les sauces. On s’emporte sur « une ambition pour le territoire », un « projet vertueux »*. On peut même feindre de soutenir la sainte « réduction des déchets » tout en freinant des quatre fers puisque ces mêmes déchets font bouillir la marmite.

Il restera certainement quelques gauchistes et écolos pour fouiller. Ceux-là, jojo sait qu’il faut s’en méfier et les noyer sous sa propagande. Aller plus vite que leurs recours et les ignorer. Ils se plaignent d’être traités comme des sous-citoyens ? C’est vrai. Et Jojo le sait quand il prend le bassin pour sa poubelle de cuisine. Après tout, à zone sinistrée, projet sinistre non ? Ils voudraient quoi, un golf ? Un multiplexe ?Faut pas déconner. Qu’ils s’estiment heureux qu’on n’installe pas un centre de stockage de déchets nucléaires. Si on les écoutait, on irait mettre une décharge dans ce beau vallon de Marcillac ou en bordure des résidences chics d’Onet-village. Chaque chose à sa place. Un peu de sérieux tout de même, il s’agit de 350 tonnes de merde par jour.

1. Selon le site Bakchich.info en date du 13/01/11, Séché « a misé sur de fortes relations politiques, il a mis le paquet sur les associations de maires et a noyauté les associations environnementales ». Il est proche de sénateurs et anciens ministres comme Alain Lambert, Jean Arthuis, ou François Zocchetto. Il est propriétaire d’une écurie et le milieu hippique lui est précieux pour négocier ses petites affaires et démarcher les collectivités locales.

2. Le « salaire » de Séché, selon Fortune, était de 425 000 euros mensuel en 2009. Il figure dans le cercle des 500 plus gros riches de France, avec un magot qui avoisine les 120 millions en 2012, selon Challenges.

3. La Dépêche du 5/12/0 évoque la « dimension développement durable, caractéristique de la culture d’entreprise de Séché Environnement », « des techniques novatrices en matière de protection de l’environnement mais également de protection de la biodiversité », « un objectif permanent d’excellence environnementale ». Dithyrambique, le journaliste conclut : « Patron visionnaire par excellence, Joël Séché fait partie de ces hommes qui pèsent dans l’histoire du département ».

4. Centre Presse, 25/11, le groupe « Solena » présente son projet au Sydom, baratinant autour d’un « projet multiple, évolutif, vertueux ».

Séché, faits d’armes

Incendie en Alsace. En 2002, Séché prend 30% du capital de Stocamine, une entreprise publique qui stocke des produits industriels dangereux. Peu après, un incendie est déclenché par 500 tonnes de déchets agricoles chimiques mélangés à de l’amiante, livrés par une filiale de Séché. Le cocktail avait été stocké dans les galeries d’une ancienne mine, et ce malgré les réclamations des salariés. Bilan : deux mois d’incendie, des travailleurs exposés sans protection à des fumées toxiques et les alentours pollués. En 2004, Séché revend ses parts à l’État et se fait la malle. Dans le jugement qui a suivi, le procureur souligne que « dès l’arrivée de Séché (…) dans le capital, il y avait une pression plus forte sur les résultats ». Les ouvriers qui crèvent à 60 piges avec des cheminées d’usine à la place des poumons apprécieront la clairvoyance rétrospective de la justice.

Du PCB dans le Rhône. En 2002, Séché rachète le groupe Tredi, lequel possède l’usine de Saint-Vulbas, dans l’Ain, réputée comme l’une des principales sources de pollution du Rhône. Pendant longtemps, le site a effectué des rejets de « PCB », directement dans le fleuve. De l’Ain jusqu’en Isère, les poissons sont contaminés avec ces produits cancérigènes et interdits. Rien qui ne puisse contredire la volonté d’expansion de Séché. Pour d’autres, c’est un désastre écologique.

Des incinérateurs en grève. Sur le site de Strasbourg, une longue grève a lieu en 2014, emboîtant le pas à celle de 2013. Les ouvriers se disent « empoisonnés » par des poussières cancérigènes Preuves vidéo à l’appui. Ils accusent Séché de négliger la sécurité et la vétusté des équipements. Des militants qualifient Séché de « poison pour Strasbourg » et alertent sur les rejets toxiques pour la population alentour. Après douze semaines de grève, le préfet exige des travaux pour sécuriser le site. L’incinérateur de Nantes a aussi été bloqué par des grévistes, en 2012 et 2013. À nouveau, il est reproché à Séché d’être peu regardant, voire de « manquer d’expérience ».

Françafrique. En 2006, le cargo Probo Koala, affrété par Trafigura, déverse à Abidjan des milliers de tonnes de déchets toxiques. Bilan : 17 morts et 100 000 Ivoiriens intoxiqués. Séché se rue sur l’affaire. Il remporte le marché de la dépollution avec un contrat signé en plein week-end. Beaucoup de zones d’ombres demeurent autour de ce tour de force à 30 millions d’euros : un montant largement surestimé, une précipitation louche, une dépollution partielle. Les associations de victimes d’Abidjan portent plainte et soupçonnent des faits de corruption. En toile de fond, des combines de Séché pour prendre le contrôle de Saur un groupe pourtant quatre fois plus important que le sien et actionnaire de la société des eaux de Côte-d’Ivoire…

La nébuleuse du déchet. En 2013, le groupe Ecore s’apprête à installer une méga décharge à Nonant-le-Pin, en Normandie. Des centaines d’opposant-es occupent le site et multiplient les recours. Ils révèlent avoir été contactée par Frédéric Scanvic, se présentant comme l’avocat de Joël Séché, qui leur conseille d’éviter une stratégie trop juridique. Bizarre. Que vient faire Séché dans cette histoire et quels intérêts défend-t-il ? C’est que les principaux actionnaires de Ecore, Dauphin et De Turckheim, sont aussi aux manettes du groupe Trafigura responsable de la pollution d’Abidjan, qui fut dépollué par… Séché. (source : le site Bastamag, 27/11/2013)

Transport louche. En 2011, le site Backchich, avec la CNIID et les Amis de la terre, soupçonnent Séché, photos à l’appui, d’avoir transporté, pendant plusieurs mois, des déchets dangereux non déclarés dans des conteneurs non-étanches, via une plate-forme de transit à Rennes. Soit 1000 tonnes par jour, qui partaient d’une de ses usines Tredi, en Isère, et terminaient leur route à Changé. La plainte n’a pas abouti, mais pour avoir la paix Séché acquiert une autre plate-forme à Longuefuye. Espérant peut-être un voisinage plus clément. C’est raté : des associations se mobilisent contre cette nouvelle de zone de transit.

« On a assez donné !»

Avant d’ installer une montagne de détritus au milieu de Viviez, le patronat du déchet et les élus locaux à leurs côtés vont devoir se cogner à une population pas franchement enthousiaste…

« Ici tous les terrains sont arceniés, les jeunes sont partis, et les gens qui sont restés, on voudrait bien qu’ils s’en aillent ? Et bé nan, on a assez donné ! ». Ça fuse à la réunion publique de Decazeville, contre le projet de décharge. « Il y a quelques années, on a crée des zones industrielles et commerciales, on nous les a vendues comme ce qui allait sauver le bassin. Aujourd’hui elles sont vides… on a juste un mac do ! Est-ce qu’une décharge va attirer des commerces ? » Les habitant-es ne sont pas dupes. Ce n’est pas une grosse décharge régionale qui va changer quoi que ce soit à la situation du bassin. Alors pourquoi subiraient-ils à nouveau les rejets de la société industrielle en servant de « poubelle du Rouergue » ? Refusant d’être pris pour des « sous-citoyens », un autre s’exclame : « Il faut populariser notre lutte, il faut manifester à des milliers à Viviez !» Après avoir perturbé plusieurs conseils municipaux, les réunions publiques s’enchaînent, l’association « Adeba12 » s’est crée et les actions se préparent (1).

Séché dégage !

Il y a encore un an, le projet public d’alliance avec Trifyl dans le Tarn semblait acquis : un partenariat déjà en place, un site dimensionné et opérationnel. Quelles raisons ont poussé les élus locaux à rejeter Trifyl pour préférer Séché? « Demandez au sydom », répondent les co-présidents d’Adeba12. Le projet de Séché va coûter 700 000 euros de plus par an, la part d’enfouissement est de 50% contre 25% pour Trifyl, le site du Tarn n’a aucune habitation aux alentours contre une installation dans une zone à forte densité du côté de Viviez. Séché est un groupe privé, Trifyl relève du public. Alain, adhérent de l’association, soutient que « si l’on délègue au privé, Séché aura le monopole, le Sydom ne contrôlera plus rien : qui décidera du prix à la tonne ? » Sans décharge concurrente, le rapport de force sera bien entendu en faveur de l’industriel. Un récent rapport de la cour des comptes fustige le recours aux entreprises privées, en partie responsables de la flambée des prix en matière de traitement des déchets. Il dénonce des opérateurs « défaillants » à la gestion opaque et un secteur privé géré en famille par le quatuor Veolia, Suez, Séché, Tiru*. (2)

Une « solution départementale » : c’est argument brandi par quelques élus pro-Séché. Ça ne tient toutefois pas la route puisque le projet de Trifyl proposait d’installer une usine de tri côté Aveyron. Adeba12 enfonce le clou : « Une solution de partenariat c’est ce que préconise la loi Notre de 2015 qui donne compétence à la région pour les déchets ». Illogique, comme la localisation de la décharge au nord du département soit une position très décentrée. « Incompréhensible » insiste Alain. Et son collègue de questionner : « Des raisons politiques ? Des inconnues très puissantes qui ont pesé dans la balance ? » Il n’y a qu’un pas à franchir pour imaginer des retours d’ascenseurs, des pressions, des arrangements. Rien d’anormal dans le joyeux monde de la poubelle, connu pour ses relents affairistes.

Une bio-décharge ?

Séché et Sévigné ont choisi de créer une société écran répondant au doux nom de Solena pour « solution environnementale pour l’Aveyron ». Légèrement gonflé pour un projet de décharge. Ils promettent un site propre, écolo et « tourné vers l’avenir ». Alain rappelle que « dans les années 70, les boues [de Umicor] stockées à l’igue du mas, on nous avait juré que ça ne polluerait pas ! On connaît la suite ». Comme dans toutes les décharges, aussi modernes soient-elles, et d’autant plus avec une unité de méthanisation, la pollution sera au rendez-vous, et les risques d’incendie et d’explosion seront omniprésents.(cf ci-contre).

L’enfouissement promis avec la méthode « bio-réacteur » (sic) « n’est rien d’autre qu’une décharge à ciel ouvert », d’après Alain. Il s’agit de gigantesques trous d’un hectare, bâchés, qu’on remplit mois après mois sur une hauteur de 20 à 30 mètres. Ce n’est qu’ensuite que les jus sont récupérés dessous, tout comme les gaz par dessus, avec des cheminées.

Par-dessus le marché, Adeba12 pointe les allers et venues de poids lourds remplis de poubelles, ainsi que la baisse logique mais pas moins drastique du prix des maisons, dont le niveau est déjà très faible.

Des élus dociles

Depuis plus d’un an et demi, Séché travaille la démocratie au corps, en rencontrant les élus un par un pour les convaincre. En novembre 2015, Séché et Sévigné exposent leur plan devant le Sydom, et en février le Conseil Général prend position contre le projet public de Trifyl. Les huiles du département, tel Christian Tieulié, vantent sans faillir un « projet pour l’Aveyron », « l’expertise très forte » de Séché (sic) ou la création de vingt piteux emplois. Les élus du Sydom suivront la même voie en juin, avec les deux tiers des suffrages refusant une solution publique avec le Tarn.

« Nos élus, s’ils étaient si fiers de leur projet, ils l’auraient présenté à la population ! » raille un decazevillois, lors de la réunion de Decazeville. Un autre embraye : « J’ai croisé un élu municipal : il n’est pas venu [à la 1ère réunion publique] car il avait peur de se faire écharper. Pourquoi ils ne s’opposent pas comme dans le Lévézou ? » En effet, Arnaud Viala, député filloniste, « s’oppose catégoriquement à Solena chez lui, et vote pour à Viviez… ». Une grosse voix enchaîne aussi sec : « Les élus faut aller les chauffer , pacifiquement hein, on va pas les plastiquer [rires]. Il y a des années il y avait un projet de décharge à Céron [sur Viviez], on s’est battu, ils ont abandonné ».

En 2009, l’Igue du mas est déjà convoitée pour devenir une décharge, et c’est le maire, Denoit – toujours en poste – qui s’oppose énergiquement. Mais Séché et ses sbires sont passés par là, et Denoit s’abstient aujourd’hui en réunion du Sydom, ouvrant la voie à la décharge privée.

Déjouer la diversion

Laissons-nous aller deux secondes. Imaginons une opposition déterminée et massive qui parvienne à faire reculer le projet. Ici. Faut-il alors laisser Séché amadouer les élus du Sydom pour s’installer ailleurs ? Faut-il, comme le laisse entendre l’Adeba12, envoyer nos déchets dans le Tarn? Faut-il plutôt se battre pour que de telles méga-décharges n’aient leur place nulle part, en préférant de petites unités, gérées les collectivités locales, dans des coins sans habitation ? Et si on poussait un plus loin, jusqu’à la remise en cause de l’existence même de ces montagnes de déchets ?

En France, chaque minute qui passe entraîne la production de plus de 650 tonnes de détritus. 350 millions à l’année. Trois millions rien que pour la région Midi-Pyrénées. Toutes les lois et les campagnes de « réduction des déchets » n’y font rien. La dernière, en date de 2015, émet des objectifs qui ne seront pas atteints. Et quand bien même : réduire les déchets de 10% et passer leur taux de recyclage à 55% ou 65% en 2020 nous laisse toujours avec un sacré tas de merde. Ces lois ne sont là que pour divertir, à un rythme qui convient aux industriels. Divertir, à l’instar du Sydom aveyronnais et ses appels incessant au tri citoyen, dans une belle brochure couleur imprimée à 130 000 exemplaires. Il est pourtant évident qu’on ne trouvera pas les premiers responsables en faisant l’autopsie des poubelles des quartiers de Decazeville, Millau et Villefranche, mais en regardant du côté de ceux qui produisent des milliards de conserves et de canettes en alu par an (3). C’est tout un système économique et industriel qui fonctionne avec une production incessante de déchets. Et qui a depuis longtemps appris à en faire une source de profit comme une autre.

Les industriels, à la décharge !

« Les déchets sont là, il faut bien s’en occuper ». Voilà une rengaine souvent utilisée pour les déchets nucléaires, dont il faudrait forcément gérer le stockage, qu’on soit favorable ou non à ce type d’énergie. Pourtant, si une majorité de la population s’opposait au nucléaire, les nucléocrates seraient bien emmerdés : comment continuer à miser sur l’atome, si à Bure et ailleurs, la population refuse de se faire irradier par ses déchets ? De même, si l’on refuse partout l’installation de méga-décharges – où les profits font de l’alpinisme sur les déchets du BTP, de la grande distribution ou de l’agro-alimentaire – ces massifs de détritus ne deviendraient-ils pas le problème des industriels ?

S’atteler à la question des déchets ne peut se faire en restant au bout de la chaîne. L’aberration que représente cette masse gigantesque produite chaque jour est symptomatique d’un capitalisme débridé, qui nous impose la précarité et la pauvreté, des rythmes de travail toujours plus intenses et des tas de boulots inutiles et ingrats. Faudrait-il en surplus se payer ses déchets aux abords de nos villes et villages ? Laissant au passage des industriels se gaver sur le dos de travailleurs en contrat d’insertion, chargés de trier les poubelles à la chaîne ?

Chaque jour qui passe rend plus évidente la nécessité d’une société un peu moins malade, où les hectares agricoles seraient plus précieux qu’un énième projet de zone commerciale et où l’on ne perdrait pas d’énergie dans des productions aussi nuisibles que les déchets qu’elles génèrent. Une société où on s’inspirerait davantage de l’utopie d’André Gorz, en rupture avec le capitalisme (4). Imaginant un quotidien où chacun donne vingt heures de son temps à la communauté, où l’on favorise les équipements collectifs et une industrie limitée*, plutôt que le monde de Séché où tout s’achète et tout se vend : les promesses, les kalachnikovs ou les droits à polluer.

1. Des réunions publiques ont eu lieu à Combes (200 personnes), ou à Decazeville et Livinhac, ainsi qu’un rassemblement à Viviez. L’Association pour la défense de l’environnement sur le bassin et ses alentours (Adeba12) s’est montée, avec plusieurs co-présidents et plus de 50 adhérents et adhérentes. Ils promettent manifestations et actions allant crescendo, jusqu’au blocage de la départementale s’il faut.

2. Rapport de la cour des comptes de 2011, qui ajoutait aussi « une maîtrise difficile par les collectivités de leurs relations avec les prestataires privés  », la « faiblesse de la prospective », ou encore dans le cadre de l’évolution des contrats qui sont signés entre prestataires et collectivités, des « avenants sont généralement favorables aux entreprises  ».

3. La part des ordures produite par les ménages est de 10% du total, sachant qu’on peut considérer que nos poubelles sont indirectement remplies par les secteurs de la grande distribution, de l’agro-alimentaire, de l’électroménager, etc.

4. « Il faut d’emblée poser la question franchement : que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? » in « Leur écologie et la nôtre », André Gorz, Eco rev, février 2000

Emile Progeault